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Relocalisations : le dialogue entre élus et industriels a changé la donne

Grâce aux crédits du plan de relance et au dispositif Territoires d'industrie, les (re)localisations ont le vent en poupe. Prisée par les investisseurs, la destination France redevient intéressante. Parmi les grands changements survenus ces dernières années : le dialogue entre élus et industriels qui avaient tendance à se regarder en chiens de faïence. Il assure une plus grande rapidité dans les prises de décision.

"Délocaliser devient une hérésie, une hérésie sociale, une hérésie économique, une hérésie technologique, commerciale et écologique…" Cette diatribe enflammée du député du Vaucluse Adrien Morenas (LREM), prononcée le 10 novembre, lors d’une table ronde sur les relocalisations d'activité organisée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée, montre à quel point le regard de la classe politique sur l’industrie a changé avec la crise. Celle-ci a mis au grand jour l’incapacité du pays à produire des masques ou le moindre comprimé de paracétamol. Alors l'"entreprise sans usines" chère à Serge Tchuruk, l’ancien patron d’Alcatel, est-elle vouée au musée des chimères ? À l’approche de l’élection présidentielle, la plupart des responsables politiques entendent en tout cas faire jouer la fibre du patriotisme économique, comme l’a montré l’émotion suscitée récemment par la fabrication des pulls de l’armée française en Tunisie et au Maroc. Pour preuve de cette préoccupation nouvelle : le Salon du Made in France, qui s'est tenu du 11 au 14 novembre à Paris, a fait le plein de candidats, déclarés ou non…

Les créations d'usines sont repassées dans le vert

Il y a un an, le haut-commissaire au plan, François Bayrou, avait tiré le signal d’alarme, jugeant l’industrie française dans une "situation critique" et comparant la balance commerciale à celle des pays en développement. Pourtant, l’exécutif se targue d’avoir redressé l’industrie après des décennies de déclin. L’embellie aura en fait été de trois ans, car dès 2019 (avant la crise donc), le solde des créations-fermetures d’usines en France redevenait négatif. Mais il est repassé dans le vert depuis le troisième trimestre 2020, selon les dernières données du cabinet Trendeo qui, depuis 2009, comptabilise les investissements et les désinvestissements en France. C’est également le cas du solde net des créations et suppressions d’emplois industriels. Sur la période qui va de janvier 2020 à septembre 2021, le cabinet recense en particulier de gros investissements pour la fabrication de batteries de véhicules électriques, notamment dans la région grenobloise ou le Grand Est. "Les pénuries apparues pendant le premier confinement ont accéléré la prise de conscience de la fragilité des chaînes de production globalisées et des risques de dépendance à des approvisionnements trop éloignés, aux variations des prix des transports et à d’autres facteurs", commente Trendeo.

Le plan de relance, avec la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production sur deux ans et ses deux dispositifs d’aide à la relocalisation aurait-il permis de changer de braquet ? En un an, 624 projets de "relocalisations" ont été financés qui ont permis de créer ou consolider quelque 77.000 emplois industriels, selon Bercy. 407 projets ont été retenus dans le cadre de l’appel à projets sur les secteurs critiques (santé, l’électronique, l’agroalimentaire ou les intrants clés de la chimie ou des métaux) pour 729 millions d’euros de soutien public. Parallèlement, 217 projets de relocalisation ont été financés via le fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires, qui s’inscrit dans le cadre du programme Territoires d’industrie. Ce fonds a été doté par l’État et les régions de 850 millions d’euros. Parmi ces projets : une usine de bottes Aigle dans la Nièvre, une start-up de terres rares à Lyon ou encore l'usine Seqens de Roussillon en Isère qui se remettra à fabriquer du paracétamol en France à partir de 2023…

"Le terme de 'relocalisation' appelle une grande prudence"

Soulignant les effets positifs des aides de la relance, Trendeo constate ainsi une forte augmentation des relocalisations depuis le troisième trimestre 2020, les délocalisations étant au plus bas. Mais le cabinet met aussi en garde contre le terme "relocalisations". Ces dernières demeurent très minoritaires dans les projets d’investissements et ne représentent que 3,6% des créations d’emplois industriels et les délocalisations 2,6% de pertes. "Beaucoup d’investissements, notamment les plus grands, sont des nouvelles générations d’investissement qui concernent de nouveaux produits, et donc ne peuvent être relocalisés."

C’est aussi l’avis de Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée d’Invest (Business France) qui, le 10 novembre, lors de la table ronde organisée à l’Assemblée, a considéré que "le terme de 'relocalisation' appelle une grande prudence". Tout d'abord parce qu'on ne fait pas la distinction avec les investissements étrangers  et qu'en plus, 48% de ces investissements directs étrangers (IDE) en France sont des "extensions", a-t-elle indiqué, se félicitant toutefois que "pour la deuxième année consécutive, la France est le premier pays d’accueil des investissements directs étrangers en Europe". Mais "avant d’aller chercher à relocaliser, il faut garder et étendre", a-t-elle souligné. Business France sert ainsi de courroie de transmission entre les industriels et les territoires. Chaque vendredi, ses équipes présentent aux agences régionales de développement les projets d’investissements étrangers afin qu’elles se positionnent. On est loin cependant de l'image que l'on se fait des relocalisations. Business France s’occupe en effet des "méchants", comme elle le dit elle-même, les Amazon, Google, Facebook, "des industries qui peuvent être très polluantes", ce qui pose la question de l’acceptabilité par la population. En 2020, 40 projets d’investissement ont aussi été actés dans le domaine de la santé, notamment Merck qui prévoit d’agrandir son site de Molsheim (Bas-Rhin), pour la fabrication de poches stériles. 350 emplois doivent être créés. C’est avant tout la "rapidité" qui motivé ce choix, alors que la France était notamment en concurrence avec l’Irlande. "Quand on travaille localement - les industriels, les collectivités territoriales, Business France, etc. - en collectif très serré, on arrive à avoir cette agilité", a insisté Marie-Cécile Tardieu. Autre enjeu décisif pour le choix des investisseurs : la taille du marché de consommateurs. La France est à cet égard "très attractive pour les entreprises étrangères". Ainsi, dans la course aux localisations, la France ne part plus perdante...

Études de relocalisations

"Avec les relocalisations, on évite les aberrations du transport", a notamment fait valoir Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des Territoire. Selon lui, les Territoires d’industrie lancés il y a trois ans ont changé la donne. Leur succès tient à la "très bonne coopération sur les territoires entre les élus et les chefs d’entreprise". "C’est un peu nouveau. Il y avait un contexte de défiance entre les industriels et la chose publique." La Banque des Territoires investit environ 1 milliard dans les Territoires d’industrie, à quatre niveaux : l’immobilier industriel pour près des deux tiers de l’enveloppe (sites clés en main, reconversions de friches), l’accompagnement à la transition énergétique (environ 300 millions d’euros), l’accompagnement à la formation vers les métiers industriels, et le financement très en amont d’études de relocalisation. "À date, au bout d’un an de déploiement, on est à une consommation d’un tiers, avec plus d’une centaine de projets industriels financés", a indiqué Antoine Troesch. La Banque des Territoires a aussi financé 145 études de "relocalisations". "L’idée est qu’il y ait une vraie stratégie de territoire et pas juste de reverser de l’argent de manière aveugle", a-t-il précisé. Selon lui, l’industrie a un rôle majeur en matière d’aménagement du territoire. "Les sujets industriels sont clés dans la cohésion sociale des territoires" en ce qu’ils génèrent "des emplois à valeur ajoutée, des emplois qualifiés, un certain pouvoir d’achat". Lorsqu’il s’agit de traiter la dévitalisation des cœurs de ville (programmes Action coeur de ville, Petites Villes de demain), "avant d’y remettre du commerce (…), la question du bassin de population et du pouvoir d’achat est essentielle". Antoine Troesch souligne aussi le fort enjeu de la formation professionnelle, alors que 75.000 emplois sont non pourvus dans l’industrie. "Aujourd’hui, on a perdu le lien entre le monde universitaire et l’industrie", a-t-il déploré. "Si on ne fait pas des efforts majeurs en matière de formation, sur ces tensions que l’on a sur les métiers industries, ces difficultés à trouver des bac+2 (…), on va vraiment avoir des difficultés", a abondé Marie-Cécile Tardieu.