Rendez-vous de l'artisanat : les artisans face au défi du numérique et au manque de main-d'oeuvre
En plein débat sur la réforme de l'apprentissage et sur la revitalisation des centres-ville, l'artisanat montre qu'il occupe une place centrale pour dynamiser l'économie territoriale. Les deuxièmes Rendez-vous de l’artisanat ont permis de découvrir des artisans enthousiastes prouvant que leur métier était porteur d’avenir et capable de se transformer. A condition de répondre à deux enjeux : le tournant numérique et la formation des jeunes...
Invité par Delphine Geny-Stephann, secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’Economie et des Finances, une dizaine d’acteurs de l’artisanat se sont retrouvés à Bercy le 12 décembre 2017. Face à leurs pairs et une classe de lycée professionnel, ces entrepreneurs et responsables d’organisation étaient venus pour présenter des initiatives locales notables. L’idée : montrer à quel point l’artisan peut tirer parti des richesses de son territoire pour dynamiser son entreprise et la développer, mais aussi qu'il participe au rayonnement de son territoire. A travers les témoignages de la présidente du syndicat des bouchers, du président de la fonderie Cornille Havard ou du président adjoint du syndicat des boulangers-pâtissiers du Grand Paris, deux conclusions ont émergé : le numérique devient vital pour ce secteur et le manque de main-d’oeuvre est criant. François Asselin, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) insiste, surtout auprès des lycéens présents, sur le poids de l'artisanat dans l'économie française : 50% des chefs d’entreprise en France sont des artisans.
Entreprendre, former, se rassembler
En plein débat sur la revitalisation des centres-ville, de nombreuses voix ont souligné le problème, mettant en cause la concurrence de la grande distribution. Mais les artisans ne sont pas défaitistes. Entreprendre, former, se rassembler : ils ne baissent pas les bras.
Ainsi Charlotte Pronesti, présidente fondatrice de Tokenstok à Bergheim dans le Haut-Rhin, se fait remarquer avec son site internet qui met en relation clients et artisans. Cette ancienne communicante devenue pâtissière propose depuis un an une e-boutique mutualisée où déjà 45 artisans des métiers de bouche proposent leurs produits ultra frais : "Cela n’a pas été facile de convaincre les artisans d’aller dans le numérique, beaucoup se sont fait arnaquer, d’autres ne sont pas assez formés, mais en un an grâce au site, nombre d'entre eux ont retrouvé une clientèle. Ils ne vont pas vendre beaucoup en direct, mais ils vont avoir un taux de fréquentation en hausse, car le client va redécouvrir la qualité des produits à travers le site." Dans la salle les "spectateurs" sont interpellés : un site qui mutualise ainsi cela coûte combien ? "15.000 euros de ma poche" répond Charlotte "et cela ne rapporte pas énormément pour l’instant. Mais ce n’est que le départ", insiste-t-elle.
Le vrai problème, c'est l'orientation
La mutualisation, notamment par le numérique, aura été le maître mot de ces deuxièmes rendez-vous de l’artisanat. Mais la formation des jeunes est aussi sur toutes les lèvres : “Nous avons perdu l’équivalent du CFA (2.000 jeunes) en six ans", explique le président de l’association Artisan socialement responsable, à Chartres. "En cause, la mobilité notamment. Mais aussi la responsabilité de l’Education nationale et de l’orientation. On veut emmener en seconde générale toute une classe d’âge : mais c’est une erreur. La formation professionnelle est le moyen de trouver un travail rapidement. Nos métiers ont évolué et ont besoin de jeunes qualifiés. Et peu importe que ce soit les régions ou les branches professionnelles qui gèrent… le vrai problème, c’est l’orientation. La France compte aujourd'hui 400.000 apprentis - dont 35% dans l’artisanat -, soit 7% des jeunes, contre 15 à 20% dans des pays comme l’Allemagne, la Suisse ou l’Autriche. Il faut suivre ces exemples."
Impliquer les entreprises
Jean-Luc François, directeur général et fondateur de l’association Jean-Luc François spécialisée dans l’industrie de la mode, va plus loin. "J’ai appris sur le terrain… l’apprentissage a un avenir certain. Et pour ce faire, il faut impérativement impliquer les entreprises", insiste ce professionnel qui s’est installé à Ham dans la Somme. "Beaucoup de grandes maisons de couture sont en train de changer de façon de faire. Pour connaître l’ADN de leur vêtement, il n’y a que dans leurs ateliers qu’on peut l’apprendre, pas dans une école. Beaucoup des créateurs qui sont dans mon association préfèrent prendre quelqu’un et le former que d’attendre qu’il ait un diplôme", conclut Jean-Luc François.
Modulariser et digitaliser l'apprentissage
Face à ces entrepreneurs enthousiastes et désireux de transmettre leurs connaissances à la nouvelle génération, Bernard Stalter, président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et d’artisanat (APCMA), ne peut que continuer à oeuvrer avec acharnement pour "donner les mêmes lettres de noblesse à l’apprentissage qu’à l’université". Il part donc avec son bâton de pèlerin pour peser dans la réforme de l’apprentissage. "C’est la première fois qu’on a un gouvernement qui prend l’apprentissage à bras le corps et qui a envie que cela devienne une voie d’excellence. Donc je suis fier de me retrouver à côté du président de la République pour reformer l’apprentissage", explique le président de l’APCMA. "Il est clair que pour l’artisanat c’est mieux que ce soient les régions qui s’en occupent, car c’est la voie de la proximité." "Mais ce qui est certain, conclut-il, c’est qu’il faut faire rêver les jeunes. Il faut donc modulariser et digitaliser l’apprentissage."