Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs : les régions tracent la voie

Un rapport parlementaire d’évaluation de l’impact de la loi de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire fait état de "premiers constats encourageants" s’agissant de l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, singulièrement grâce au "volontarisme de certaines régions". Les députés soulignent néanmoins les freins persistants au déploiement de l’offre, qui tiennent, entre autres, à l’état vieillissant du réseau, au niveau élevé des redevances d’infrastructures ou encore à l’accès au matériel roulant et aux centres de maintenance.

"Le bilan du déploiement de l’ouverture à la concurrence en France [du transport domestique ferroviaire de voyageurs] apparaît à ce jour encourageant". Tel est le constat que dressent les députés Emmanuel Maquet (Somme, LR) et David Valence (Vosges, app. Renaissance) dans leur rapport sur l’évaluation de l’impact de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire (voir notre article du 14 juin 2018). Ils estiment que cinq ans après l’adoption du texte, le cadre juridique – qui a été long à se déployer (voir notre article du 15 avril 2019) en dépit d’une "réforme par ordonnances" (voir notre article du 14 mars 2018) – "apparaît désormais achevé, stabilisé et en bonne voie d’appropriation", et ce, "même si deux décrets se font encore attendre" (dont celui sur la possibilité de fixer des tarifs sociaux). Dans les faits, ils relèvent néanmoins que l’ouverture à la concurrence "apparaît surtout comme un processus très récemment amorcé en France et dont le rythme de déploiement s’inscrira nécessairement dans le temps long". Un constat déjà dressé lors du salon EuMo Expo de l’an passé (voir notre article du 13 juin 2022).

Des régions à l’avant-garde

Pour l’heure, côté services publics conventionnés (et en général), l’ouverture est surtout portée par "le volontarisme de certaines régions", qui "se saisissent pleinement des possibilités offertes par la loi de 2018", relèvent les rapporteurs. C'est le cas de Provence-Alpes-Côte d'Azur - la pionnière -, mais aussi des Hauts-de-France, de Grand Est, des Pays de la Loire et de l’Île-de-France. Les députés constatent qu’elles y voient "un véritable levier de développement de leur offre de transport", permettant de "provoquer du report modal" et "d’accélérer la décarbonation des mobilités", mais aussi "d’amélioration de la qualité du service au bénéfice des usagers". Et ce, notamment en leur permettant "d’augmenter le niveau d’exigence dans leurs négociations avec l’opérateur historique".

Si les auteurs observent un rythme de déploiement "très inégal", ils l’estiment pour autant "satisfaisant". D’autant que l’opération est qualifiée de "défi d’ampleur" pour ces collectivités et que "le processus d’élaboration et de suivi des appels d’offres apparaît nécessairement long et coûteux", nécessitant "une expertise accrue". Les rapporteurs semblent d’ailleurs approuver "l’inscription dans le temps long" de ces régions, qui leur permet "d’améliorer leurs compétences et leur expérience avant d’envisager l’ouverture à la concurrence de l’ensemble de leurs lignes régionales" (en relevant que certaines préfèrent attendre les retours d’expérience de leurs homologues "avant de se lancer"). Un temps long qui devrait en outre permettre aux opérateurs de s’organiser, alors que "le manque de concertation" entre les régions pour déterminer leur calendrier d’appels d’offres peut "décourager par défaut les opérateurs à y répondre", compte tenu de l’importance de l’investissement exigé (il faut "souvent plus d’un million d’euros et une trentaine de salariés" pour répondre à un appel d’offres).

L’État à la traîne

À l’inverse, l’ouverture à la concurrence des trains d’équilibre du territoire, "à la charge de l’État", reste "balbutiante", estiment les rapporteurs. Si les difficultés économiques engendrées par la crise sanitaire semblent prépondérantes (voir notre article du 21 septembre 2022), les députés pointent également "la faiblesse des moyens humains dévolus à l’organisation des appels d’offres", mise en exergue par l’audition de la DGTIM.

Côté services librement organisés (SLO), qui ne sont "ouverts à la concurrence que depuis le 13 décembre 2020", le rapport observe que sur les 42 notifications émanant de six entreprises ferroviaires reçues par l’Autorité de régulation des transports (ART) depuis 2019, trois services seulement sont entrés en exploitation. Un seul émane d’un nouvel acteur, Trenitalia. Un maigre bilan, alors que les rapporteurs soulignent que l’arrivée de ce nouvel opérateur "depuis décembre 2021 sur la ligne Paris-Lyon a permis une augmentation de l’offre et de la demande de trajets, ainsi qu’une légère baisse des prix, conformément aux bénéfices attendus de l’ouverture à la concurrence pour les usagers, et observés dans d’autres pays européens" (voir notre article du 30 septembre 2021). 

Des freins persistants

Ce bilan, les députés l’expliquent, comme l’ART (voir notre article du 16 février 2022), par la persistance de freins désormais bien connus. L’état vieillissant du réseau constitue le "frein majeur", d’autant plus important que "le choc d’offre attendu ne pourra avoir lieu sur un réseau dégradé" et que, selon la DG Move, il ne peut "y avoir de concurrence pérenne sur un réseau défaillant". Autre facteur de ralentissement conséquent déjà déploré à maintes reprises, le niveau élevé de redevances d’infrastructures que doivent acquitter les opérateurs, dont "la structure est en outre faiblement incitative au développement de l’offre". S’y ajoutent encore les difficultés d’accès au matériel roulant (compliqué pour les opérateurs étrangers historiques par le retard important de la France dans le développement du système européen de gestion du trafic ferroviaire) ou les "fragilités du modèle de gouvernance de la SNCF, notamment concernant l’indépendance du gestionnaire d’infrastructures". Un gestionnaire dont on déplore notamment le manque de visibilité qu’il donne sur les processus d’allocation des sillons (avec une absence de visibilité pluriannuelle) et de planification des travaux. Par ailleurs, est en outre constatée "la frilosité des acteurs bancaires et financiers" pour soutenir les nouveaux entrants, alors que l’ouverture de nouveaux SLO exige "des investissements massifs".

Obstacles supplémentaires pour les régions, "en voie de résolution"

Les régions ont, elles, dû faire face à d’autres obstacles, comme les "importantes difficultés" à obtenir de l’opérateur historique les données nécessaires à l’élaboration des appels d’offres. Il est relevé que les Hauts-de-France n’ont obtenu ces dernières que plus de trois ans après leurs premières demandes, et deux ans après la décision de règlement de différend rendue par l’ART (voir notre article du 23 avril 2019). L’organisation des transferts de matériel roulant et des centres de maintenance ou les inquiétudes suscitées par les transferts de personnel en cas de changement d’opérateur ont également ralenti le processus.

Les rapporteurs estiment néanmoins que ces difficultés "semblent plutôt en voie de résolution". Pour l’heure, ils observent toutefois qu’"il n’y a pas eu de transferts massifs de personnels", seule la ligne attribuée à Transdev en région Sud (voir notre article du 8 septembre 2021) étant pour l’heure concernée (la période de volontariat s’achèvera le 1er juin prochain, et la liste des agents transférés à l’automne). En outre, l’Union des transports publics et ferroviaires attire l’attention sur les critères de l’appel à volontariat, qui ne prévoit notamment pas le nombre d’équivalent temps-plein transférables par lieu d’affectation et par sous-catégories d’emploi.

Des inquiétudes qui demeurent

Dans ce contexte, l’annonce en février dernier par la Première ministre d’une enveloppe de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire d’ici 2040 (voir notre article du 24 février), notamment réclamée par Régions de France pour rénover un système jugé "au bord de l’explosion" (voir notre article du 19 septembre 2022), est saluée. Au-delà du montant, il est relevé que "ces engagements financiers rompent avec le modèle de financement de la régénération et de la modernisation du réseau ferré national qui prévalait jusqu’à présent", modèle qualifié d’"atypique" et présentant "plusieurs fragilités et insuffisances, soulignées à de nombreuses reprises par l’ART". Les députés observent cependant que "les modalités de financement de cette enveloppe demeurent encore méconnues", non sans rejoindre ici leurs collègues du Sénat (voir notre article du 2 mars).