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Transports - Révision du Schéma national des infrastructures de transport : la Fnaut livre ses propositions chiffrées

La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) a présenté le 21 mars ses propositions en vue de la révision du Schéma national des infrastructures de transport (Snit), après les avoir soumises à la commission Mobilités 21 chargée par le gouvernement de faire le tri dans les projets du Snit. Pour appuyer ses suggestions, la Fnaut se fonde sur un rapport que RFF vient de faire réaliser par trois experts du secteur des transports, Gérard Mathieu, Jacques Pavaux et Marc Gaudry, évaluant la contribution du réseau et de la politique ferroviaires aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de consommation d'énergie pour les déplacements de voyageurs à moyenne et longue distance. "Nous souhaitons qu'il y ait moins de voitures en ville, moins d'avions sur courte distance, moins de camions sur longue distance donc davantage de transports collectifs urbains et davantage de trains, souligne d'emblée Jean Sivardière, président de la Fnaut. Le choix des nouvelles infrastructures est donc crucial : il faut éliminer les projets inutiles et dangereux, hiérarchiser les projets vertueux, dégager les financements nécessaires. Il y a suffisamment de bons projets dans le Snit pour qu'on évite les gaspillages."

Notre-Dame-des-Landes et le canal Seine-Nord dans le collimateur

Parmi les projets à éliminer aux yeux de la Fnaut, il y a d'abord le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, "inutile et surdimensionné". "Ce projet est bâti sur des mensonges car l'aéroport existant de Nantes-Atlantique n'est pas saturé et repose sur des illusions, avec des prévisions de trafic irréalistes, des vols quotidiens pour New-York, Pékin, Rio..., une nouvelle voie ferrée Rennes-Nantes infinançable, estime Jean Sivardière. De plus, il y a des coûts immédiats non comptabilisés (accès routiers, création et exploitation d'une desserte par tram-train) et, à plus long terme, des risques financiers pour la collectivité, sans oublier que l'enjeu environnemental est totalement ignoré." Pour la Fnaut, le projet doit être purement et simplement abandonné. Pour mieux desservir le Grand Ouest, il suffirait donc d'améliorer l'accès par TGV aux aéroports parisiens, Orly et Roissy.
Autre projet jugé "inutile", "très coûteux" et même "dangereux" : le canal à grand gabarit Seine-Nord. "Nous ne sommes pas opposés au transport fluvial à condition de le développer à bon escient, explique Jean Sivardière. Le transport sur les fleuves, qui relient un grand port et un arrière-pays industriel, est à encourager car sur ces axes, le trafic de conteneurs est massif, le rail et la voie d'eau ne sont pas de trop pour concurrencer la route. En outre, une forte capacité est disponible sur les fleuves et les investissements nécessaires sont limités. Par contre, sur les axes interbassins, les trafics sont bien plus faibles et il est absurde de concurrencer le rail qui dispose de capacités inutilisées. A notre avis, un canal à grand gabarit comme le canal Seine-Nord est non seulement inutile et ruineux, mais dangereux car il concurrencerait les ports du Havre et de Rouen au bénéfice de celui d'Anvers."

Autoroutes : ça suffit

La Fnaut souhaite aussi l'élimination de la plupart des projets autoroutiers inscrits dans le Snit. "Les autoroutes rentables sont construites depuis longtemps et les plus récentes comme l'A63 Pau-Langon sont des échecs financiers faute de trafic, soutient Jean Sivardière. Pour améliorer la sécurité sur les routes "accidentogènes", quelques radars suffisent. Augmenter la capacité des voiries, en particulier dans les zones urbaines, pour éviter les embouteillages est un processus sans fin et contre-productif, car on induit du trafic. Enfin une bonne desserte ferroviaire est plus utile aujourd'hui au développement local. Grenoble, Clermont-Ferrand, Cholet, Oyonnax se sont développés sans autoroutes."
Le projet de LGV Poitiers-Limoges (1,7 milliard d'euros) est aussi jugé "injustifié". "La desserte de Limoges doit se faire non par Poitiers, au risque de surcharger la LGV Atlantique et d'assécher la ligne classique POLT [Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, NDLR], mais par modernisation de la ligne POLT puis ultérieurement par branchement sur le POCL [Paris-Orléans-Clermont-Lyon]", estime la Fnaut. De même le projet Transline ("barreau Est-Ouest", maillon de la "Via Atlantica") est qualifié d'"irrationnel" et "doit être éliminé", l'axe Lyon-Limoges n'étant pas "pertinent" pour une liaison Alpes-Atlantique, souligne la Fnaut.

Transports collectifs urbains à développer

A l'inverse, il ne faut pas hésiter à dépenser "pour des projets utiles pour l'économie et vertueux pour l'environnement, même qualifiés de 'gigantesques, faramineux, titanesques, pharaoniques' par leurs adversaires", poursuit la Fédération car selon elle, à l'avenir, "la hausse vraisemblable du prix du pétrole et la nécessaire prise en compte du réchauffement climatique provoqueront des transferts de trafic de l'avion et de la route sur les transports urbains et sur le rail".
Dans cette perspective, les transports collectifs urbains sont plus que jamais à encourager. La Fnaut est satisfaite des annonces du Premier ministre sur le Grand Paris car elle juge important d'"assurer la robustesse du réseau existant" et d'"équiper en priorité les zones denses en première couronne". Elle regrette toutefois que l'emprise de la Petite Ceinture, à Paris, soit ignorée dans le projet alors qu'elle devrait être "impérativement préservée" pour les transports. Dans les villes de province, la Fnaut appelle à poursuivre l'équipement en transports collectifs en site propre. Elle estime notamment que le tramway classique a toute sa place dans les villes moyennes, dès lors qu'il dessert une population suffisamment nombreuse, et qu'il faut renforcer ou rouvrir certaines lignes ferroviaires périurbaines comme par exemple Lyon-Sathonay-Trévoux.

Accélérer la régénération du réseau ferroviaire classique

Autre priorité pour la Fnaut : l'accélération de la régénération et de la modernisation du réseau ferroviaire classique, à la fois pour enrayer le vieillissement et pour renforcer la capacité et les performances pour les trafics voyageurs et fret. Certaines lignes nouvelles mériteraient aussi de voir le jour, selon la Fnaut. Entre Paris et Mantes, une ligne nouvelle serait nécessaire pour séparer et fiabiliser les trafics franciliens et normands, plutôt qu'une LGV Paris-Normandie qui "n'est pas justifiée économiquement". Il faudrait aussi construire le contournement ferroviaire ouest de l'agglomération lyonnaise et le tunnel international Saint-Jean-de-Maurienne-Suse, première phase du projet Lyon-Turin, dès lors que trois financeurs sont prévus (la France, l'Italie et l'Union européenne).

1.200 km de LGV à construire

La Fnaut estime aussi que le moratoire préconisé par le ministre du Budget en juillet dernier, ou plus récemment par Jean-Louis Bianco, pour les lignes à grande vitesse (LGV) n'est pas acceptable. "Le réseau français actuel des LGV, même complété par les 'coups partis' (Le Mans-Rennes, Tours-Bordeaux, Baudrecourt-Strasbourg et le contournement de Nîmes-Montpellier) est encore loin de sa consistance optimale, insiste Jean Sivardière. D'autant que des lignes classiques (Perpignan-Nice) et même des LGV (Paris-Lyon, Paris-Courtalain) sont saturées, et qu'il serait difficile et très coûteux d'augmenter leur capacité. Elles doivent être donc dédoublées pour permettre le développement du trafic TER et du trafic de fret." Pour la Fnaut, il resterait 1.200 km de LGV à construire, à condition de respecter plusieurs critères de pertinence : rapprocher de Paris une "poche territoriale" aujourd'hui située à nettement plus de 3h par le train (Toulouse, Béarn, Côte d'Azur), provoquer des transferts massifs de trafic aérien sur le rail (Paris-Toulouse/Marseille-Nice/Milan/Barcelone) ou permettre la circulation de TER à grande vitesse concurrents de la voiture (Avignon-Nice), offrir un maillage du réseau français des LGV ou un raccordement aux réseaux des pays voisins.
Dans ces conditions, la Fédération propose de retenir moins de dix projets : Bordeaux-Toulouse (Captieux-Dax en deuxième phase), Perpignan-Montpellier, la LGV Paca (Marseille-Toulon et Saint-Raphaël-Nice), la deuxième phase de la branche Est du projet Rhin-Rhône, l'interconnexion sud en Ile-de-France, entre Massy et Valenton, le POCL (suivant le tracé médian par Roanne), les deux barreaux Orléans-Courtalain et Dijon-Saulieu pour créer deux grandes transversales Lyon-Strasbourg et Lyon-Rennes/Nantes. D'autres projets de LGV, considérés moins urgents, seraient à reporter à plus ou moins long terme - Bordeaux-Espagne (Dax-Hendaye), Lyon - Saint-Jean-de-Maurienne, Toulouse-Narbonne,  Paris-Amiens-Calais (la LGV Nord ne sera pas saturée avant 2050) ou à écarter, faute de trafic potentiel suffisant (branches Ouest et Sud du projet Rhin-Rhône que la Fnaut propose de remplacer par l'unique barreau Dijon-Saulieu).
Au final, la Fnaut propose donc de retenir environ la moitié des LGV inscrites au Snit, et de les construire d'ici à 2035, soit un effort financier de 2 à 2,5 milliards d'euros par an qu'elle ne juge pas hors de portée. "La Suisse a financé son plan Rail 2000 financé par la taxe poids lourds, illustre Jean Sivardière, et la fiscalité écologique offre de nombreuses possibilités." Et de citer parmi les pistes possibles la taxation du kérosène ou une écotaxe sur les billets d'avion du trafic intérieur, une taxation nouvelle du gazole (7 milliards d'euros par an en cas d'alignement de sa fiscalité sur celle de l'essence), une taxe sur les péages autoroutiers, la taxe poids lourds, le péage urbain ou encore une correction du barème fiscal kilométrique "qui surévalue de 30% environ le coût d'usage de la voiture".