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Assises des villes moyennes - Saint-Dié-des-Vosges : "Un élu se doit d'être innovant"

Les quatrièmes Assises des villes moyennes et intercommunalités, organisées les 4 et 5 juin à Châlons-en-Champagne par la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), vont permettre aux maires de ces villes de 20.000 à 100.000 habitants de débattre des réformes en cours et d'échanger autour des solutions innovantes qu'ils déploient pour faire face à la crise. Quelles sont, dans ce contexte difficile, les stratégies mises en œuvre par les villes moyennes et leurs agglomérations pour accroître leur dynamisme et leur attractivité ? Localtis a recueilli, en partenariat avec la FMVM, les témoignages de quelques-uns de ces élus de terrain.
Aujourd'hui, Christian Pierret, maire de Saint-Dié-des-Vosges (23.000 habitants), explique que seule l'innovation permet à sa ville de rester dans la compétition industrielle. Sa stratégie repose également sur les services, aux entreprises et aux personnes. Il veut privilégier le tourisme de courts séjours. Il regrette que sa ville ne fasse pas partie d'une intercommunalité.


 
Localtis - Comment Saint-Dié-des-Vosges a-t-elle géré les mutations économiques récentes et quelle stratégie de développement mettez-vous en œuvre ?

Christian Pierret -Pour passer d'une situation d'industrie manufacturière classique fondée à la fois sur la papeterie, le textile, l'habillement, la métallurgie, aux industries de demain, il faut avoir une vision de ce que peut devenir dans les 25-30 ans une ville moyenne ouverte sur l'Europe, très bien placée géographiquement par rapport aux pôles de développement que constituent l'Allemagne, la Suisse et l'Italie du Nord. C'est par cette vision que l'on doit assurer son deuxième souffle économique social et culturel. C'est plus difficile pour une ville de montagne car elle est enclavée et les moyens de communication sont parfois difficiles.
Il faut donc que cette vision soit cohérente avec la situation géographique, avec les capacités des hommes et des femmes, avec l'appareil de formation et avec le partage d'un projet de développement. Nous en avons longtemps débattu, avec les  acteurs locaux, sociaux, économiques, culturels, sportifs car je pense que le développement est un tout.
Nous avons  choisi de demeurer une ville industrielle mais dans d'autres conditions : il faut assurer la transformation technologique d'une industrie manufacturière fondée sur le bas coût de la main-d'oeuvre et son abondance, sur le travail à la chaîne répétitif - cette voie est sans issue face à la concurrence des pays de l'Europe centrale et orientale,  de l'Inde ou de la Chine  -  pour aller vers des produits et des services innovants. Pour cela, la solution est la recherche et le développement. C'est le choix que nous avons fait en créant le Cirtes (Centre européen de prototypage et d'outillage rapide) qui travaille avec de très nombreuses entreprises nationales et internationales, avec des universités, avec des centres de recherche ou avec des Ecoles des mines. Leurs animateurs arrivent à attirer chaque année une vingtaine de doctorants qui, dans le domaine de la conception de produits, du design industriel, de la simulation de la fabrication de modèles..., sont parmi les premiers en Europe. Dans la région, 5.500 emplois dépendent de ses recherches et de la modélisation. La bouteille d'eau d'Evian, par exemple, est dessinée et modélisée à Saint-Dié-des-Vosges.
Dans une stratégie industrielle innovante, il s'agit non pas d'être le énième dans toutes les spécialités mais les premiers dans un créneau précis et de le rester. Nous sommes parmi les tout premiers en matière de modélisation,  nous travaillons avec le CEA, Renault, Peugeot, Baccarat, dans le domaine de l'art aussi. Le deuxième point d'appui de cette industrie de pointe technologique est la création d'un pôle de chimie verte avec la venue d'une entreprise très innovante - elle croît de 20 à 30 emplois par an -  qui a mis au point un procédé  rendant miscible de manière stable l'eau et l'huile. Cette société exploite  un brevet mondial dans le domaine du nettoiement et de la désinfection biodégradables.

Quels sont les leviers qui vous permettent de faciliter l'innovation et l'esprit d'entreprise sur votre territoire ?

Le principal écueil pour nos villes moyennes, c'est le fatalisme. Pour en sortir, il faut donner confiance aux gens en mettant des grains de sable dans le ronron traditionnel. C'est la meilleure des stratégies que l'on peut avoir. Cela suscite une réflexion, une initiative, une capacité à réagir. Mon idée est que pour créer une dynamique innovante, il faut avoir des diplômes, des formations et s'adresser à des jeunes (ou des moins jeunes) dont l'objectif est la création intellectuelle et la valorisation sur place. Nous avons créé avec le Cirtes une école d'ingénieurs délivrant le diplôme national, ce qui est exceptionnel dans une ville de 23.000 habitants. Nous avons aussi un IUT qui délivre des licences et des maîtrises professionnelles. Au total, nous avons 1.400 étudiants dans la ville.
Notre leitmotiv est de créer un environnement favorable au développement entrepreneurial. Nous avons en projet une zone d'activités de 40 hectares dans laquelle on maintient les paysages, on fait des cheminements sportifs, des promenades familiales, on conserve de petites forêts. Nous créons maintenant une pépinière d'entreprises qui va accueillir 20 entreprises (TPE) chaque année. Tout sera fait pour que l'implant de la TPE puisse pousser et réussir. Et tous les trois ans, comme dans toute pépinière, on change et on en accueille de nouvelles. 
Nous allons aussi développer les technologies de l'information et de la communication pour rattraper le retard de la région dans ce domaine. Nous allons offrir un débit de 50 mégabits symétrique à nos entreprises car beaucoup l'exigent pour se développer localement.
Nous devons aussi mettre l'accent sur les services aux entreprises. Les entreprises locales doivent fournir tout ce qui s'externalise aujourd'hui (restaurants d'entreprises, formation, nettoiement, informatique, imprimerie) et disposer des qualifications correspondantes. Nous offrons une prime municipale de création d'entreprise, la Primuce. Elle vise les entreprises individuelles, sous certaines conditions. Elle est de l'ordre de 3.000 à 5.000 euros, selon la taille de l'entreprise et donne droit à un accompagnement pendant les premiers mois de la vie de l'entreprise.

Quels sont les grands axes de votre politique en matière de logement, d'équipements publics et de services aux habitants ?

Nous attachons beaucoup d'importance au logement, à la culture, au sport, à la distraction, en fait, à tout ce qui fait que des jeunes veulent rester. Ils ont, sur place, des équipements sportifs hors pair dans l'Est de la France. Nous avons aujourd'hui 10.500 licenciés sportifs. Nous allons construire un centre aqua-ludique innovant (sur le plan des soins du corps, de l'hygiène, de la détente, de la beauté...).
Dans le domaine culturel, le festival international de géographie dont c'est le 20e anniversaire cette année, identifie la ville à un challenge. Nous avons ainsi donné une identité intellectuelle et culturelle à une ville qui était peu connue. On a fait de la carte de géographie un argument positif d'innovation, de mobilisation et d'entraînement pour une population qui n'avait pas l'habitude de la sollicitation de la nouveauté. C'est notre problème d'ailleurs, le nouveau, le neuf, l'innovant, n'est pas spontanément la manière de penser et la manière de voir. Et le rôle des élus, s'ils veulent redynamiser leur région et leur ville, c'est d'avoir en  permanence en tête, l'esprit de création. Pour ma part, je pense qu'un élu se doit d'être innovant.
L'innovation se retrouve aussi dans le logement, tous nos bâtiments sont maintenant construits dans un souci de développement durable et d'économies d'énergie. Nous avons, au dernier conseil municipal, décidé de créer un nouveau lotissement qui sera aux normes énergies positives, ce qui est très nouveau dans une ville moyenne de 23.000 habitants. J'ai aussi créé des transports publics quasi gratuits qui sont extrêmement modernes, aux normes environnementales de 2014 et donc très en avance en matière de rejets.
Nous sommes aussi très actifs en matière de services à la personne. Nous avons depuis longtemps une activité dédiée au traitement des enfants handicapés, du  handicap moteur au handicap mental, et nous avons fait de gros efforts d'adaptabilité dans nos écoles et nos équipements publics. Nous développons aussi les services auprès des personnes âgées. Cela s'accompagne d'un effort de formation : nous allons signer avec l'Etat une convention visant à former 200 personnes par an pour toute la région pour fournir du service qualifié aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

Le tourisme s'est-il beaucoup développé avec l'arrivée du TGV?

La région a longtemps vécu repliée sur elle-même et maintenant le tourisme s'est pas mal développé. Les Vosges présentent beaucoup de ressources naturelles : la forêt, les lacs, la beauté d'une nature intacte à deux heures vingt de TGV de Paris. Le TGV doit être le tremplin pour développer une nouvelle offre touristique. Celle-ci va s'appuyer sur le cheval, la forêt et de nouveaux équipements touristiques (comme le centre aqua-ludique). Nous allons proposer des produits de court séjour (le climat ne nous permet pas de prévoir de longs séjours) en jouant l'immersion pleine nature : vélo de montagne, cheval, promenade, jeux, terrain d'aventure, connaissance de la nature (il y a énormément de gibier), lacs, forêts, etc.

Saint-Dié ne fait partie d'aucune intercommunalité, pourquoi ?

Nous sommes partisans de développer l'intercommunalité. Malheureusement, pour des raisons politiques qui tiennent à l'existence d'un conseil général hostile à ce que les communes qui nous entourent concluent des accords de coopération intercommunale avec nous, nous sommes l'une des dernières villes moyennes à ne pas avoir d'intercommunalité. C'est un drame : ce n'est pas à celui qui a été rapporteur de la loi du 6 février 1992 (moi-même) que l'on va dire que l'intercommunalité n'est pas bonne. Le conseil général  qui subventionne beaucoup les communes rurales, a réussi à bloquer l'intercommunalité et je ne peux pas dominer l'hostilité politique qui a consisté à construire autour de Saint-Dié-des-Vosges un glacis de petites communautés de communes sans aucun projet, et ce  pour leur éviter de venir avec nous. Elles ont perdu beaucoup d'argent, beaucoup de soutiens de l'Etat, nous aussi d'ailleurs. Heureusement cela va devenir obligatoire.

Quelles sont les grandes orientations de votre budget 2009 ?

Nous avons joué à fond la relance économique. La situation de l'emploi est traditionnellement difficile dans une zone d'industrie manufacturière où le chômage est fort. La sous-qualification accroît la difficulté de l'emploi. Nous réalisons cette année 14 millions d'euros d'investissements, ce qui est beaucoup, grâce au remboursement anticipé de la TVA. Nous en profitons pleinement. J'ai plutôt forcé l'investissement en plafonnant le désendettement pendant un an.  En 1990, avec 13 autres villes, nous avons profité d'un contrat de ville première génération extrêmement important (300 millions de francs de subventions de l'Etat). Ce contrat portait sur la globalité des problèmes de la ville, j'ai pu restructurer beaucoup de choses, aujourd'hui, les contrats de ville ne sont que de petits ersatz de cela. J'ai essayé de jouer pleinement le thème de la relance pour l'emploi, pour l'économie, afin de maintenir l'activité. Cela veut dire créer des infrastructures (sports, culture, logement, transports) qui permettent de donner aux entreprises un environnement favorable.
Par ailleurs, nous sommes encore l'une des dernières villes à construire des logements sociaux et au lieu de faire des barres, nous faisons de petits immeubles moins consommateurs d'énergie, avec une qualité de l'habitat plus conforme à un vrai logement que les HLM que l'on construisait encore il y a dix ou quinze ans. Nous en faisons beaucoup et nous sommes d'ailleurs l'une des dernières villes de la région à construire encore des logements sociaux.

Les impôts locaux vont-ils augmenter ?

Non, ils sont stables depuis 15 ans.  En termes de taux, les impôts des ménages sont peu élevés, sur des bases mal calculées d'ailleurs, puisqu'elles l'ont été dans les années 1970, par les services des impôts, avec les moyens de l'époque. Nous avons des taux de taxe d'habitation faibles par rapport à la moyenne des villes moyennes mais un taux de taxe professionnelle assez élevé.
Nous avons des charges de centralité qui nous obligent à avoir une imposition locale élevée pour fournir des services structurants qui permettent de maintenir l'activité.
De plus, comme nous n'avons pas d'intercommunalité nous portons tout pour tout le monde. Par exemple, nous sommes très modernes en matière d'eau et d'assainissement  et, la rivière la Meurthe figure dans les meilleurs classements du ministère de l'Environnement. Traitement des boues de rejet, désacidification de l'eau, élimination des métaux, nous avons mis en place ces équipements modernes d'environnement pour favoriser l'entrepreneuriat.

Propos recueillis par Catherine Ficat avec Anne Lenormand

 

Retrouvez dans notre prochaine édition l'interview de Bruno Bourg-Broc, président de la Fédération des maires des villes moyennes.

 

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