Sébastien Lecornu : dans la crise actuelle, "il n'est pas question d'abandonner les collectivités"

Auditionné jeudi 9 avril par des sénateurs, le ministre chargé des collectivités territoriales a souligné le rôle protecteur que l'État jouera pour les finances locales, pendant et après la crise. Il a notamment assuré que la dotation globale de fonctionnement ne baissera pas. "On va avoir besoin des collectivités pour relancer l'économie et singulièrement l'investissement local", a-t-il aussi estimé.

La crise va "faire souffrir" les finances des collectivités locales. C'est le ministre en charge de leurs dossiers, Sébastien Lecornu, qui l'a affirmé le 9 avril, au cours d'une audition en visioconférence avec les sénateurs de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de la Haute Assemblée. Du fait du confinement, les services publics locaux soumis à une tarification (crèches, accueils de loisirs sans hébergements, équipements culturels et sportifs…) vont enregistrer de lourds déficits. C'est "la vraie question" pour les collectivités en 2020, a estimé l'ancien maire de Vernon au cours de cette audition, à laquelle les journalistes de Localtis ont pu assister (sur les questions institutionnelles liées aux municipales abordées lors de cette même édition, lire notre autre article de ce jour).

S'agissant des recettes de fiscalité économique (CVAE, TVA, TASCOM), il n'y aura "pas de panne en 2020", a-t-il assuré. "L'État perçoit la fiscalité" et la "reverse aux collectivités locales, par douzièmes bien souvent." Autrement dit, "s'il y a un choc, c'est l'État qui va le prendre pour lui". Le ministre a admis toutefois une exception concernant les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) que les départements perçoivent "au fil" des transactions immobilières. En outre, les régions disposent d'une garantie en ce qui concerne la fraction de TVA qui leur est affectée. Au titre d'une année, celle-ci ne peut être inférieure aux montants des dotations supprimées en 2017 (4,1 milliards d’euros), détaillait dans une note, fin mars, la commission des finances du Sénat. Le système mis au point sous le gouvernement de Manuel Valls "est plutôt bien fait", a jugé Sébastien Lecornu. Qui a promis de "ne pas abandonner" les collectivités.

Si l'autonomie fiscale était inscrite dans la Constitution – soit la possibilité pour les collectivités de fixer l'assiette et le taux de leurs ressources, à savoir une hypothèse que la majorité a rejetée à l'été 2018, lors de la discussion à l'Assemblée nationale sur le projet de réforme de la Constitution – l'État "pourrait-il venir systématiquement au secours des collectivités ?", s'est interrogé, au passage, Sébastien Lecornu. "Notre État-nation est ce qu'il est, avec ses défauts", a-t-il poursuivi. "Si cette solidarité fonctionne, c'est parce qu'il y a une autonomie financière des collectivités locales dans la Constitution" (autrement dit : la garantie pour les collectivités locales de disposer de ressources financières, mais dont l'assiette et le taux peuvent être fixés nationalement).

La DGF ne baissera pas

En dépit de l'obligation pour les collaborateurs de la direction générale des collectivités locales (DGCL) de télétravailler à leur domicile, la dotation globale de fonctionnement (DGF) "est versée dans les temps", a-t-il dit. Il s'agissait bien sûr de rappeler que les montants de DGF attribués cette année à chaque collectivité ont été dévoilés le 6 avril (voir notre article du même jour), en respectant le calendrier. Ils sont acquis pour les collectivités. Mais qu'en sera-t-il en 2021 ? "Y aura-t-il une baisse de la DGF, parce qu'il y aura une rétractation financière de l'État ?", a lancé le ministre. Que les élus locaux se rassurent. "La réponse est : non !", a-t-il aussitôt ajouté. "Ce n'est pas au moment où les collectivités locales ont besoin d'accompagnement financier qu'on va commencer à réduire la voilure. Bien au contraire. On va avoir besoin des collectivités pour relancer l'économie et singulièrement l'investissement local", a-t-il dit. En précisant plus tard que, parce que les dotations d'investissement (DETR, DSIL, etc.) pouvaient jouer un rôle dans cet exercice, il n'était "pas question d'y toucher". Ces propos du ministre tranchent nettement avec ceux qu'il avait tenus dans une interview à La Gazette des communes, publiée le 27 mars. "Il n’y aura pas d’argent magique", disait-il. "Par définition, poursuivait-il, cette situation va nous conduire à faire des choix. (…) Les efforts vont être colossaux et tout le monde devra y contribuer, État, entreprises, mais aussi les collectivités." Sébastien Lecornu a par ailleurs confirmé aux sénateurs que la réforme de la fiscalité locale qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain ne sera pas remise en cause.

Les collectivités qui, malgré les filets de sécurité existants, pourraient connaître des difficultés, ne seront pas laissées à elles-mêmes. "Au moment où je vous parle, nous regardons avec Gérald Darmanin [le ministre de l'Action et des Comptes publics], si des avances de trésorerie sont possibles", a-t-il dit, confirmant ainsi une information dévoilée début avril par la commission des finances du Sénat (voir notre article du 7 avril). Les collectivités qui seraient "en panne de trésorerie" pourraient ainsi percevoir de manière anticipée des douzièmes de fiscalité. La technique a déjà été régulièrement utilisée par le passé, notamment pour des collectivités d'outre-mer en difficulté.

Assouplissements

Une disposition a en tout cas déjà été prise pour répondre à des besoins de trésorerie : en application de l'ordonnance du 1er avril sur la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice des compétences des collectivités territoriales, le responsable de l'exécutif local peut souscrire des lignes de trésorerie dans la limite de 15% des dépenses réelles figurant au budget de l'exercice 2020, ou, si ce dernier n'a pas été adopté, à celui de l'exercice 2019.

Le ministre a rappelé aussi que pour faciliter l'intervention des collectivités face à la crise, le Parlement "a suspendu" les contrats dits "de Cahors", qui imposaient la limitation des dépenses de fonctionnement des grandes collectivités territoriales à 1,2 % par an, en valeur. Dans un contexte où, par exemple, les dépenses sociales des départements risquent d'exploser, ce pacte "n'a plus lieu d'être." Parmi les autres assouplissements, Sébastien Lecornu a cité le report au 3 juillet de la date limite de vote des taux et des tarifs des impôts locaux par les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre (au lieu du 15 ou du 30 avril). "C'est le dernier carat", a-t-il souligné. Mais l'Association des maires de France et France urbaine, qui avaient estimé difficile de programmer un conseil communautaire ou métropolitain avant cette date, n'ont pas à s'inquiéter. "Bien avant le 3 juillet", les communes et les intercommunalités pourront voter leurs taux en réunissant leur organe délibérant par visio ou audioconférence, a-t-il dit. Sans toutefois répondre à un sénateur qui l'interpellait sur la difficulté pour certaines petites communes d'organiser ce type de réunion. C'est également en prenant une délibération (au cours d'une réunion dématérialisée) que les assemblées locales pourront voter une subvention du budget principal pour abonder un budget annexe déficitaire. De pareils cas, qui seront très fréquents, n'appellent pas la mise en place par l'exécutif de règles particulières.

Compétences des départements et régions : ne pas revenir sur la loi Notr

En revanche, le gouvernement "a concédé" aux régions la possibilité, que leurs présidents réclamaient, de comptabiliser en investissement leur contribution au fonds national de solidarité ouvert le 1er avril aux TPE, indépendants et professions libérales (voir notre article du 7 avril). Une contribution qui a été portée de 250 à 500 millions d'euros, selon un communiqué que Régions de France a diffusé ce 10 avril. Dans la situation d'urgence actuelle, l'intérêt de la mesure est de "pouvoir emprunter", a reconnu le ministre. Qui a aussitôt exprimé de fortes réserves quant à l'idée d'étendre cette possibilité aux autres niveaux de collectivités. En permettant aux collectivités à court terme de s'endetter pour verser "des subventions de fonctionnement", on ne leur rend peut-être "pas service" à long terme, "elles risqueraient d'en sortir plus affaiblies", a-t-il estimé. En ajoutant qu'il "se méfie des sirènes". "On a connu les emprunts structurés sur un autre registre, il y a quelques années. Derrière, c'est quand même l'État, donc le contribuable, qui a volé au secours de tout le monde."

Si le gouvernement a toléré cette entorse aux règles comptables, il ne reviendra ni sur la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions, ni sur l'affectation aux seules régions de l'attribution des aides aux entreprises. C'est en tout cas la position de Sébastien Lecornu, face à certains sénateurs qui souhaiteraient un retour au droit existant avant la loi Notr d'août 2015. De toute façon, ces règles n'empêchent pas actuellement les départements d'abonder le fonds national de solidarité, a rappelé le ministre. En indiquant aussi qu'il sera ouvert, après la crise, à des discussions avec telle ou telle collectivité pour étudier, "dans le cadre de la différenciation", une organisation des compétences qui tienne compte des particularités, sur le modèle de la collectivité européenne d'Alsace. Tout en gérant l'urgence, Sébastien Lecornu pense déjà à l'avenir.

 

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