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Le principe de neutralité consacré pour les collaborateurs du service public

L'article 1 du projet de loi confortant le respect des principes de la République affirme que le principe de neutralité s'applique à tous les organismes, de droit public ou privé, assurant en vertu de la loi ou d’un contrat l’exécution d’une mission de service public. En séance, les députés ont élargi son champ aux bailleurs sociaux et à tous les services de transport de voyageurs, y compris le TGV. En revanche, ils ont écarté la notion d'"espace de service public" promue par l'Association des maires de France.

 

Une consécration législative du principe de neutralité des agents publics et des collaborateurs du service public – qui pouvait jusqu'à une époque récente sembler superflue – apparait aujourd'hui opportune." Cette préconisation n'est nullement nouvelle, puisque extraite du rapport Rossinot sur la laïcité dans les services publics de 2006 – qui n'accuse pas le poids des ans. Si le législateur a pris soin – dix ans plus tard – d'inscrire ce principe d'origine jurisprudentielle dans la loi pour les agents publics, il s'était jusqu'ici gardé de le faire pour les collaborateurs du service public. L'article 1er du projet de loi confortant le respect des principes de la République entend y remédier.

Le gouvernement argue en effet de la difficulté rencontrée par des organismes privés ou publics chargés de l'exécution d'un service public "à faire appliquer un principe dont ils ne mesuraient pas toujours la portée, notamment dans les entreprises délégataires de transports publics". L'étude d'impact évoque singulièrement le cas de la RATP, tout en relevant que cette dernière a déjà "mis en place plusieurs outils pour y remédier, dont l'introduction d'une clause de laïcité et de neutralité dans les contrats de travail des salariés", ce qui en passant va bien au-delà de ce que permet le texte (v. infra).

Comme le concède l'étude d'impact, "la loi inscrivant un principe jurisprudentiel préexistant, la mise en œuvre de ces dispositions ne devrait pas impliquer de modification de [l'] organisation" des organismes concernés. "L’article 1er n’a pas pour objet de prévoir des sanctions, mais d’inscrire dans la loi un principe affirmé par le Conseil d’État et la Cour de cassation", a rappelé Laurence Vichnievsky, rapporteure du texte, en séance, le 3 février.

Pas de "sobriété normative"

Pour ce faire, il n'a, au grand dam du Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), pas choisi la voie de la "sobriété normative". Après l'avoir envisagée, le gouvernement n'a en effet pas retenu une disposition unique visant toute personne chargée d'une mission de service public, mais "une rédaction fondée sur le critère du contrat public".

In fine, le texte distingue ainsi deux hypothèses, selon que l'exécution du service public est confiée :

directement par la loi ou le règlement à un organisme de droit public ou de droit privé, ce qui, explique l'étude d'impact, permet d'exclure les catégories d'organismes privés qui, même désignées par la loi, sont soumises à habilitation, agrément ou toute autre forme de décision de l'autorité publique. Concrètement, les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic) – restriction déjà prévue par la loi, souligne le Conseil d'État –, les sociétés anonymes d'HLM (v. ci-dessous toutefois) et les établissements d'enseignement privé sous contrat, qui dans tous les cas "ne sauraient être soumis à une obligation de respecter le principe de laïcité en application du principe de la liberté de l’enseignement", comme le rappellent et l'étude d'impact, et le rapporteur ;

• ou de manière contractuelle, entendre les contrats passés conformément aux dispositions du code de commande publique mais aussi ceux attribués en application de règles sectorielles, telles que les contrats concernant les transports publics en Île-de-France, les lignes d'équilibre du territoire opérées par la SNCF ou encore les aéroports concédés.

Un champ d'application élargi au cours des discussions

Revers de la médaille, "ce choix a laissé hors du champ d’application […] des cas d’exécution du service public par un organisme privé", a constaté en séance Laurence Vichnievsky, rejetant paradoxalement plusieurs amendements qui selon elle auraient eu "le mérite de permettre à l’article 1er de couvrir tous les contrats et tout le champ du service public dégagés par la jurisprudence". L'ancienne magistrate d'invoquer le risque d'inclure alors les Espic et les établissements d'enseignement confessionnel, alors que "ces établissements sont de toute façon exclus", comme le lui a rappelé le député Francis Chouat (apparenté LREM, Essonne).

In fine, le périmètre d'application a toutefois été étendu aux "services de transport à la personne librement organisés ou non conventionnés, ainsi qu'aux bailleurs sociaux, qu'ils soient privés ou publics, en tant qu’ils participent à une mission de service public au 1er janvier 2021".

En l'état initial du texte, les services de la SNCF "grandes lignes" n'auraient en effet pas été concernés "dans la mesure où, en l’absence d’autorité organisatrice de transport, il ne s’agit pas d’un service public" (étude d'impact). Ce qui n'aurait pas manqué de créer la confusion pour l'usager. Reste à savoir si, comme le souligne la députée Cécile Rilhac (LREM, Val d'Oise), "les taxis qui transportent des enfants en situation de handicap ou des personnes âgées dans certaines communes", voire "des véhicules de tourisme avec chauffeur, des chauffeurs Uber, des ambulanciers", seront concernés.

"À coup sûr, les offices HLM remplissent une mission de service public et ils sont présents dans des territoires où il peut y avoir des difficultés", a reconnu de son côté le ministre de l'Intérieur, sans convaincre le député Stéphane Peu (PCF, Seine-Saint-Denis) qui juge la disposition "inutile" pour ce secteur parce que "tous les cas sont couverts" par la jurisprudence et signalant en outre "que les organismes HLM ne vivent pas forcément très bien cet amendement".

Des contrats à modifier

Dans les deux cas (service public confié par la loi ou le règlement ou par contrat), le texte dispose que l'organisme concerné "est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions, politiques ou religieuses, et traitent de façon égale toutes les personnes".

L'organisme devra aussi veiller à ce que ses éventuels sous-traitants respectent ces obligations. S'agissant des contrats de service public, l'organisme sera en outre "tenu de communiquer à l'acheteur chacun des contrats de sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-traitant ou le sous-concessionnaire à l’exécution de la mission de service public".

Par ailleurs, dans le premier cas, les dispositions réglementaires devront préciser "les modalités de contrôle et de sanction" de ces obligations ; dans le second cas, "les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés". Ces dernières dispositions s'appliqueront "aux contrats de la commande publique pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de la date de publication" de la loi. Dans les autres cas, les contractants auront deux ans pour se mettre en conformité avec ces dispositions (les contrats expirant dans les trois ans suivant la publication de la loi).

Des conséquences pour les salariés non pour les usagers

Concrètement, l'étude d'impact indique qu'il conviendra pour les organismes d'édicter une clause de neutralité dans le règlement intérieur de l'entreprise (déjà en œuvre à la RATP par exemple) ou une note de service soumise aux mêmes dispositions que ce dernier, qui doit être à la fois être "générale" (i.e. visant toute religion, philosophie, courant politique) et spéciale, "c'est-à-dire qu'elle ne peut être imposée qu'aux salariés en contact avec la clientèle dans l'exercice de leur activité auprès d'elle", et qu'aux seuls salariés affectés à l’exécution de la mission de service public. Ce qui, précise l'étude d'impact, "conduit à exclure par principe les entreprises fournissant des services de ménage, de gardiennage ou d'accueil du public" (en séance, relevons toutefois que le ministre de l'Intérieur a indiqué l'inverse, en déclarant que "dans le cas d’une délégation de service public, si, par exemple, une mairie 'privatise', au sens de gauche du terme, son accueil, les agents d’accueil devraient être attentifs à la neutralité"). En outre, si un salarié exerce une partie seulement de son activité dans ce cadre, il ne peut se voir imposer une obligation de neutralité que pour cette partie de son activité. En cas de refus du salarié de se conformer à cette règle, l’employeur devra rechercher si un poste sans contact visuel avec la clientèle peut lui être proposé.

Pour l'usager, aucun changement. Pas même pour les "collaborateurs occasionnels du service public", qui ne sont pas concernés – et singulièrement les parents accompagnateurs de sorties scolaires, en dépit de la volonté de plusieurs élus de les attraire dans le dispositif (d'autres souhaitant au contraire "préciser explicitement dans la loi" qu'ils ne sont pas visés). "Le remède pouvant se révéler pire que le mal", a estimé le député Christophe Euzet (Agir ensemble, Hérault). Si la question du port du voile, notamment à l'Université, a animé quelque peu les débats (portant sur des articles additionnels), les amendements visant son interdiction ont tous été écartés. De même pour ceux visant la notion d'"espace de service public", promue, jusqu'ici en vain, par l'Association des maires de France.