Stéphane Delautrette : "Nous encourageons les démarches collectives, comme la création de chartes locales de l'IA"
Alors que l'intelligence artificielle s'impose progressivement dans les politiques publiques, les territoires sont appelés à s'emparer de ces technologies pour améliorer leurs services, renforcer leurs capacités d'anticipation et mieux accompagner les transitions. À l'approche des Rencontres de l'ANPP, qui se tiendront ces 12 et 13 juin 2025 à Morlaix, Stéphane Delautrette, président de l'Association nationale des Pôles territoriaux et des Pays (ANPP - Territoires de projet), député de la Haute-Vienne et président de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, revient sur les enjeux de l'IA pour les territoires et la manière dont les Territoires de projet peuvent en faire un levier d'action publique territoriale.

© Christelle RAMA/ Stéphane Delautrette
Localtis - L'État a annoncé son intention de généraliser l'IA générative dans la fonction publique. L'Union européenne a dévoilé son plan d'action "Continent de l'IA". Comment les pôles territoriaux et les pays perçoivent ces dynamiques ?
Stéphane Delautrette - Les Territoires de projet et l'association ANPP, pour leur compte, suivent avec attention ces annonces. En effet, le sujet de l'intelligence artificielle est bien identifié comme étant à la fois une opportunité stratégique et un défi d'appropriation. Il faut toutefois souligner une certaine appréhension, voire méfiance légitime persistante, comme l'illustre notre dernière enquête sur les usages de l'IA révélant que 45% des agents ne mobilisaient pas l'outil pour des raisons d'éthique et de protection des données.
Concernant l'idée d'une généralisation de l'IA dans la fonction publique, elle ne se décrète pas. Elle ne doit pas être simplement descendante, mais le fruit d'un travail collectif incluant les agents de la FPT concernés. D'autre part, l'efficience de l'action publique doit être la motivation première, et non la tentation parfois affichée d'une logique comptable de gestion RH par une quête de réduction des effectifs.
Quant au plan européen, il ouvre certes des perspectives intéressantes, mais encore faut-il que ces dynamiques prennent réellement en compte les échelons locaux. Nous appelons à une véritable territorialisation des politiques d'IA.
L'IA offre des opportunités pour améliorer la gestion des services publics locaux, que ce soit dans la mobilité, l'aménagement ou la transition écologique. Pouvez-vous partager des exemples concrets où l'IA a été mise au service des territoires ?
Oui, plusieurs territoires expérimentent déjà des usages d'IA utiles et concrets. Dans le domaine de la mobilité, certains testent des solutions d'analyse prédictive pour optimiser les transports à la demande, dans le Doubs Central par exemple. Dans l'aménagement, des outils d'IA sont mobilisés pour anticiper l'évolution des zones urbaines ou identifier les îlots de chaleur, comme dans le Pays du Grand Clermont. Et en matière de transition écologique, des systèmes intelligents aident à piloter les consommations d'énergie ou à cartographier la biodiversité. Ces exemples montrent que l'IA peut devenir un levier au service de l'action publique locale, à condition d'être pensée avec et pour les territoires. Mais nous sommes bien aux prémices de l'utilisation de l'outil.
La mise en œuvre de l'IA dans les collectivités territoriales soulève de nombreuses questions. Comment l'ANPP accompagne-t-elle ses membres pour garantir une utilisation responsable de l'IA ?
L'ANPP s'attache à promouvoir une IA éthique, transparente, souveraine et ancrée dans les valeurs du service public. Nous sensibilisons nos membres à ces enjeux et encourageons les démarches collectives, comme la création de chartes locales de l'IA, intégrant les principes de sobriété numérique, de protection des données personnelles et d'accessibilité. Enfin, nous plaidons pour que les collectivités gardent la maîtrise de leurs données et puissent s'appuyer sur des infrastructures publiques ou mutualisées, dans une logique de souveraineté numérique.
Comment répondre aux craintes exprimées par les citoyens ? Quel rôle attribuer aux collectivités ?
On rejoint les chiffres évoqués en début d'interview, même si le terme "peur" est trop intense selon nous. Ces craintes sont légitimes et ne doivent ni être ignorées ni moquées. Les collectivités ont un rôle à jouer dans la pédagogie, la transparence et le dialogue, à l'image d'un tiers de confiance pour rendre accessible l'outil. Cela se traduit par des formations et informations à destination de la population, comme nos adhérents savent déjà le faire avec les espaces publics numériques ou les sites France services.
Qu'est-ce qui pourrait être mutualisé en matière d'IA et à quelle échelle ?
Comme vous le savez, nous sommes par nature des territoires de mutualisation. Beaucoup de choses peuvent être mutualisées à notre échelle : la veille technologique, les infrastructures de données, les outils d'évaluation des usages, les formations ou encore les services d'accompagnement. Le Pays est pertinent à bien des égards, car il permet de construire des coopérations de proximité, à taille humaine, tout en facilitant l'accès des petites collectivités à des compétences ou outils qu'elles ne pourraient acquérir seules.
La formation et l'acculturation des agents publics à l'IA sont essentielles. Quelles initiatives l'ANPP envisage-t-elle pour renforcer les compétences numériques au sein des territoires ?
Déjà en interne, les agents de l'association se forment sur le sujet depuis plusieurs mois. Nous aurons à partir de septembre 2025 à proposer une série de webinaires méthodologiques, calés sur les temps de réflexion amorcés à l'occasion de ces Rencontres. Il ne s'agit pas de faire de chacune et chacun un expert en IA, mais d'aider chaque agent à en comprendre les enjeux, à se situer et se questionner. Nous croyons à l'intelligence collective des territoires, qui elle est avant tout humaine.
À l'approche des Rencontres de l'ANPP à Morlaix, quels messages souhaitez-vous adresser aux acteurs territoriaux concernant l'adoption de l'IA ? Quels sont les objectifs de ces rencontres ?
Les Rencontres de Morlaix seront un temps fort avant tout pour partager, débattre et s'inspirer. Nous aurons de cesse de rappeler que l'IA est un OUTIL à notre service. Nous voulons y affirmer que l'IA n'est pas qu'une affaire d'experts ou de grandes métropoles : c'est un enjeu d'aménagement du territoire, de solidarité, d'égalité d'accès aux services publics. Notre message est clair : l'IA est un levier de développement local, les territoires ruraux doivent en être acteurs, et non spectateurs.