Un avocat pour chaque enfant protégé : les députés votent pour
L'Assemblée nationale a adopté ce 11 décembre à l'unanimité une proposition de loi visant à systématiser la désignation d'un avocat pour les enfants concernés par une mesure d'assistance éducative et de protection de l'enfance – à domicile ou dans le cadre d'un placement. Attendue de longue date, la mesure "peut tout changer", assure la députée socialiste Ayda Hadizadeh. Sa mise en œuvre appelle toutefois à la prudence pour ne pas désorganiser les juridictions et rallonger encore les délais, selon la ministre Stéphanie Rist qui propose une expérimentation pour préparer cette réforme.
© C. Megglé/ Manifestation le 8 avril, jour de la remise du rapport d’Isabelle Santiago en présence de la députée Ayda Hadizadeh
Une proposition de loi (PPL) socialiste "visant à assurer le droit de chaque enfant à être assisté d'un avocat dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative et de protection de l'enfance" a été adoptée à l'unanimité, ce 11 décembre 2025, par les députés.
Réclamée dans plusieurs rapports ces derniers années, dont le récent rapport de la commission d'enquête parlementaire sur la protection de l'enfance (voir notre article), cette réforme vise à systématiser la désignation d'un avocat – par le bâtonnier ou le mineur lui-même – "dès l'ouverture de la procédure", en abolissant les critères d'âge et de discernement de l'enfant.
"La solution la plus protectrice des droits est la présence de l’avocat pour tous les enfants"
Actuellement, la présence d'un avocat aux côtés de l'enfant n'est obligatoire qu'en matière pénale. Dans le civil, et en l'occurrence dans le domaine de la protection de l'enfance, l'enfant reconnu comme "capable de discernement" peut bénéficier de l'assistance d'un avocat, seuls les mineurs âgés d'au moins 13 ans étant présumés capables de discernement. Pour l'enfant considéré comme non doué de discernement, un administrateur ad hoc peut être désigné par le juge si ce dernier estime que les intérêts du mineur divergent de ceux de ses représentants légaux.
"La présence de l’avocat auprès de l’enfant discernant n’ayant pas fait le choix d’un avocat, souvent par méconnaissance de ses droits, reste laissée à la discrétion du juge des enfants", peut-on lire dans l'exposé des motifs de la PPL. "Or, la solution la plus protectrice des droits est la présence de l’avocat pour tous les enfants, quel que soit leur âge, leur degré de discernement, dès lors qu’il y a risque de danger ou danger immédiat", selon le texte.
"On ne laisse pas un enfant sans défense face à une décision qui peut bouleverser toute sa vie", a plaidé ce 11 décembre la rapporteure Ayda Hadizadeh, qui était déléguée générale de l'association des Oubliés de la République – défendant notamment les enfants placés - avant d'être élue députée.
Assister l'enfant avant, pendant et après l'audience
"L'avocat pourra préparer avec l'enfant son audience chez le juge des enfants, lui expliquer les enjeux, travailler sa parole, être à ses côtés le jour J. Et, après, lui expliquer la décision du juge", indique à l'AFP Isabelle Clanet, avocate spécialisée en droits des enfants, qui a expérimenté cette mesure au tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine). "Il s'agit de mettre aux côtés de l'enfant un gardien de ses droits, une mémoire de son dossier juridique, un fil rouge qui l'accompagne", complète Ayda Hadizadeh. C'est "une loi qui peut tout changer", affirme-t-elle ce jour à la tribune de l'Assemblée nationale.
En dehors des audiences, l'enfant confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE) pourrait solliciter son avocat en cas de problème grave ou d'abus survenu sur son lieu de placement, estiment plusieurs députés, qui évoquent la dernière affaire en date - pour laquelle une enquête judiciaire a été ouverte – concernant un enfant ayant été tondu et filmé par des éducateurs dans son foyer à Paris.
L'avocat (rémunéré 576 euros par audience) serait gratuit pour l’enfant, payé par l'État via l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources.
Un positionnement de l'avocat à clarifier
"Le gouvernement salue la démarche", a indiqué la ministre des Familles, Stéphanie Rist, ce 11 décembre, tout en invitant à la prudence. "Le juge des enfants demeure, tant par formation que par vocation, l'un des premiers garants de l'intérêt supérieur de l'enfant", rappelle d'abord la ministre, considérant que "juge et avocat ne se situent pas dans une logique d'opposition, mais dans deux registres complémentaires au service de l'enfant".
Autre point d'alerte : la définition du rôle de l'avocat qui, pour la ministre, doit être strictement lié à "l'assistance procédurale et la défense en audience". "Il ne peut pas se substituer aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance, il n'a pas pour mission d'assurer le suivi social, éducatif ou psychologique de l'enfant", insiste-t-elle, rappelant que ce suivi incombe aux équipes de l'ASE du département.
"Depuis 2021, la profession d’avocat s’est dotée d’un certificat de spécialisation, mention 'droit des enfants', délivré par le Conseil national des barreaux qui permet à l’avocat d’enfant d’être particulièrement compétent et pertinent dans sa relation avec les magistrats et les cadres médicosociaux spécialisés", peut-on lire dans l'exposé des motifs de la PPL.
"Des moyens humains qui ne pourront pas être déployés à court terme"
Enfin, la systématisation du recours à l'avocat est "un changement de modèle" impliquant un coût et une "mobilisation de moyens humains qui ne pourront pas être déployés à court terme", selon Stéphanie Rist. Cette réforme "pourrait déstabiliser le financement de l'aide juridictionnelle tout entière" et faire courir "le risque d'une désorganisation et d'une saturation de nos juridictions", soulève-t-elle. Cela du fait de délais rallongés par un manque de disponibilité des avocats, "en particulier dans les petits barreaux".
Pour ces raisons, la ministre entend privilégier une expérimentation nationale, d'une durée de deux ans, de la systématisation de l'avocat. Et indique qu'un plan de revalorisation des administrateurs ad hoc sera présenté au printemps 2026, outre le projet de loi de refondation de la protection de l'enfance qui sera dévoilé "au premier trimestre 2026".
Si l'association Départements de France n'a pas "d'opposition de principe" à cette mesure, elle exprime plusieurs "réserves" qui rejoignent celles mises en avant par la ministre, dont le "coût" de la réforme, sa "faisabilité" et le "risque de ralentir les délais des décisions".
La réforme pourrait coûter 230 millions d'euros par an, selon la députée DR Élisabeth de Maistre, seule de l'hémicycle à s'être abstenue et déclarant partager "l’objectif [du texte], mais pas la méthode". Une expérimentation dans les Hauts-de-Seine "a produit des résultats intéressants, mais reste limitée à un seul territoire, où le barreau est structuré et la coordination remarquable avec les deux juges des enfants", avait-elle indiqué en commission, appelant à mener "une expérimentation plus large" pour "déterminer si une application nationale est pertinente et soutenable".
"L'heure n'est plus à l'expérimentation", répond la rapporteure, considérant qu'"il est temps d'accélérer" sur cette réforme attendue de longue date. Les députés l'ont suivie, en n'adoptant pas l'amendement introduisant une expérimentation. Adoptée dans le cadre de la niche parlementaire socialiste, la PPL doit désormais être inscrite à l'agenda du Sénat.