Un nouveau texte tentaculaire de transposition de 75 textes européens

Un nouveau projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (dit "Ddadue") a été adopté en conseil des ministres, ce 10 novembre. Un texte qui vise à prendre en compte pas moins de 32 directives et 43 règlements, dont plusieurs dispositions concernent évidemment directement les collectivités.

"Nul n'est censé ignorer la loi". En feuilletant les quelque 177 pages du projet de loi "portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, d’information, de transport, de santé, d’agriculture et de pêche" adopté en conseil des ministres ce 10 novembre, l'adage ne manquera pas de faire sourire. 

32 directives, 43 règlements

Il est vrai que ce texte tentaculaire vise à "intégrer" pas moins de 75 textes européens – 32 directives et 43 règlements – dans le droit français, prouvant, si besoin était, que l'inflation législative est loin d'être une affection purement franco-française. 177 pages qui ne manqueront par ailleurs pas de grossir, ne serait-ce que parce que le texte prévoit d'habiliter le gouvernement à prendre plusieurs ordonnances pour assurer les transpositions nécessaires. Et ce, d'autant plus si le gouvernement continue de céder à la tentation de "copier" ou de "reformuler" des articles de règlements de l'UE qui n'ont normalement pas à l'être, comme le souligne le Conseil d'État dans son avis rendu le 23 octobre sur ce projet de loi. On relèvera toutefois que le Palais-Royal fait lui-même état d'"un effacement progressif de ce qui distingue une directive [qui doit être transposée] et un règlement" – lequel est en théorie d'application directe –, ce qui ne facilite pas la tâche. 

Des normes européennes au volume et à la technicité croissants

Le défi est d'autant plus grand que, comme l'observe le Conseil d'État, "si certaines [adaptations] ne conduisent à procéder qu’à des modifications limitées de la législation, d’autres imposent d’en revoir assez profondément certains pans". Non sans quelques retours en arrière, ou suppressions de "sur-transpositions", selon les points de vue.

Une adaptation du droit français que les juristes du Palais-Royal jugent par ailleurs "toujours plus complexe et délicate" en raison précisément du "volume", mais aussi de la "technicité croissante des normes européennes", lesquelles – en outre – renvoient de plus en plus fréquemment leurs mesures d'exécution à des textes ultérieurs…

Collectivités : trois titres à consulter en priorité

Pour l'heure, côté collectivités, trois des neuf titres que comportent le texte retiendront particulièrement l'attention, relatifs à l'énergie et au climat (articles 36 à 45), à l'environnement et l'économie circulaire (articles 46 à 53) ainsi qu'aux transports et infrastructures (articles 54 à 62). Sans pour autant exclure une lecture attentive des dispositions contenues par ailleurs, parmi lesquelles celles de l'article 12 relatif à la collecte et au partage des données relatives aux services de location de logements à court terme, celles de l'article 16 relatif à la plateforme nationale des aides d'État valant registre national des aides de minimis (nouvelles obligations en matière de transparence), ou encore celles de l'article 24 relatif au règlement sur l'intelligence artificielle, qui ont toutes été soumises au Conseil national d'évaluation des normes (Cnen), et y ont reçu un avis favorable.

Transition énergétique et climatique

En la matière, le texte transpose, entre autres, la législation sur l'organisation du marché de l'électricité (art. 37) et le "paquet Gaz" (art. 38) – lequel inclut pour mémoire l'hydrogène, qui fait ici l'objet de longs développements – adoptés l'an passé (lire notre article du 21 mai 2024) ou encore la directive relative aux énergies renouvelables dite RED III (lire notre article du 7 novembre 2023), dont l'absence complète de transposition (opérée en partie par la loi Ddadue du 30 avril dernier – lire notre article) vaut une procédure d'infraction à la France (lire notre article du 24 juillet). En l'espèce, le projet prévoit la création des "zones d'accélération renforcée pour le développement des énergies renouvelables" et des "zones d'infrastructures de réseau" (art. 39 – dispositions qui ont reçu un avis défavorable du CNEN dans la version qui lui a été soumise). Et il intègre les dispositions relatives à la durabilité des bioénergies, et singulièrement de la biomasse, avec l'introduction de nouveaux critères de durabilité et celle du principe de son utilisation en cascade (art. 41).

Le projet de loi introduit encore, et détaille, le dispositif de réduction de l'intensité carbone de l'énergie utilisée dans les transports terrestres et maritimes, appelé à remplacer la taxe incitative relative à l’utilisation de l’énergie renouvelable dans les transports (Tiruert), qui doit s'éteindre fin 2026 (art. 42). Concrètement, il contraint les fournisseurs de carburants redevables de l'accise sur les énergies (les "obligés") à détenir des certificats à hauteur de leurs obligations de réduction de l'intensité carbone, prenant en compte l'utilisation de carburants renouvelables et d'électricité renouvelable. Le dispositif prévoit notamment que les opérateurs de bornes de recharge électrique ouvertes au public, parmi d'autres, pourront céder de tels certificats à ces obligés.

Le texte transpose également la directive relative à la performance énergétique des bâtiments (lire notre article du 12 décembre 2023) (art. 45). Ce qui, relève le Conseil d'État, "impose de modifier, de façon parfois sensible le droit interne qui, tout en poursuivant le même objectif d’accélération et d’amélioration de leur rénovation énergétique, comporte des exigences et des possibilités de dérogation souvent différentes" (par exemple, la directive vise la rénovation des bâtiments les moins performants, quelle que soit leur surface). Non sans quelques effets de bord, comme le souligne le Palais-Royal à propos du déploiement des installations de production d’énergie renouvelable sur les toitures des bâtiments, de leurs extensions ainsi que des parkings couverts. Il observe en effet que le gouvernement a fait le choix "d'aligner strictement" la législation nationale "sur les exigences de la directive, ce qui a pour effet, pour l’avenir, de réduire les exigences préexistantes sur certains points (bâtiments existants tertiaires) et de les augmenter sur d’autres points (bâtiments résidentiels neufs)". Avec, entre autres conséquences concrètes, la suppression de l'option de la végétalisation des toitures, non prévue par la directive, comme alternative à l'obligation de la "solarisation" de ces dernières. La version de ces dispositions soumise au CNEN a reçu un avis défavorable de ce dernier, au motif "qu'aucun accompagnement financier spécifique n'est prévu à l'égard des collectivités locales et ce, alors même que la mise en œuvre de ces normes, occasionnant de nouvelles contraintes techniques et financières relatives aux bâtiments et aux parkings publics, risque d'entraîner des surcoûts importants, des difficultés d'ingénierie locale et un risque accru de contentieux en cas de retard ou de non-conformité".

Environnement et économie circulaire

Côté environnement, le texte vise notamment à mettre un terme à la procédure d'infraction conduite par la Commission pour transposition inexacte de la directive, modifiée, relative aux déchets (lire notre article du 13 mai), notamment en supprimant des dérogations à l'interdiction d'incinérer les déchets faisant l'objet d'une collecte séparée (art. 47). S'agissant des régimes de responsabilité élargie du producteur (REP), il fait le choix de revenir sur des "sur-transpositions" : il exclut ainsi du périmètre de la filière REP relative aux lingettes les autres textiles sanitaires à usage unique qui y ont été inclus et supprime la filière chewing-gum ("gommes à mâcher synthétiques non biodégradables"), non prévue par le droit de l’Union. Deux filières dont le gouvernement souligne qu'elles ne sont, à date, pas opérationnelles… mais tait le fait qu'elles auraient dû l'être (lire notre article du 29 janvier 2024). S'agissant de la première, d'aucuns y verront peut-être un moyen de tuer dans l'œuf un contentieux naissant (lire notre article du 7 juillet).

Le texte vise également à prendre en compte le récent règlement relatif aux emballages et déchets d’emballages (lire notre article du 5 mars 2024), applicable à compter du 12 août prochain (art. 48). Avec notamment pour conséquence la suppression du logo Triman et de "l'info tri", comme exigé par la Commission (lire notre article du 18 juillet), ou la modification de nombreuses dispositions existantes dans ce domaine. Ou encore deux règlements adoptés l'an passé : le nouveau règlement relatif aux transferts de déchets d'une part (art. 49), applicable pour la majorité de ses dispositions, dont la dématérialisation des procédures, à compter du 21 mai prochain ; celui fixant des exigences en matière d'écoconception pour des produits durables d'autre part (art. 50), lequel nécessite notamment de revoir les dispositions de la loi Agec relatives aux invendus non-alimentaires.

Autre ajout, une carte de bruit et un plan de prévention du bruit dans l'environnement devront désormais être établis pour les infrastructures aéroportuaires, dont les caractéristiques seront fixées par décret en Conseil d'État (art. 46).

Transports et infrastructures

Nombre des dispositions prévues dans ce secteur ne concernent pas les collectivités. Il en va néanmoins différemment avec l'élargissement des missions de l'Autorité de régulation des transports (art. 56), le texte disposant expressément qu'elle "contribue à l’amélioration de la qualité de service des infrastructures et des services de transports dans les secteurs ferroviaire et des autocars librement organisés, notamment au travers de ses actions concourant au suivi des secteurs régulés et à la performance des entreprises". Le texte élargit notamment le pouvoir de collecte de données de cette dernière à la qualité de service, en l'autorisant à demander aux gestionnaires d’infrastructures, aux exploitants d’infrastructures de service et aux entreprises ferroviaires d'une part, aux entreprises de transport public routier de personnes et aux exploitants d'aménagements routiers d'autre part, "la transmission, à certaines périodes, de questionnaires à leurs clients ou usagers" (art. 56).

Le texte entend par ailleurs (art. 58) "parfaire" la transposition de la directive dite Eurovignette modifiée (lire notre article du 21 février 2022), opérée pour l'essentiel par une précédente loi "Ddadue" (lire notre article du 14 mars 2023), en ouvrant notamment la possibilité de déroger à l’obligation de moduler les péages selon les classes d’émission de CO2 des véhicules lourds applicables aux autoroutes et ouvrages d’art, lorsque s'applique une autre mesure de l’Union européenne en matière de tarification du carbone du carburant utilisé pour le transport routier d'une part, et en ouvrant la possibilité de déroger à l’obligation de modulation des tarifs de péage lorsque le péage comprend déjà une redevance pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique.

 

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