Une vague de plans sociaux difficile à endiguer

Le sauvetage d’entreprises en difficulté, qui se traduit en ce moment par une forte augmentation des plans sociaux, se heurte à différents obstacles structurels. L’anticipation de ces projets de licenciement économique s’avère difficile en pratique.

La tendance ne cesse d’inquiéter. Sans égaler la crise de 2008, la hausse du nombre de demandeurs d’emploi ayant fait l’objet d’un licenciement économique se poursuit depuis 2022, passant de 25.000 inscriptions à plus de 40.000 par trimestre en fin d’année dernière, selon les dernières données de la Dares. Au premier trimestre 2025, 185 plans de sauvegarde de l’emploi ont été initiés par des entreprises de plus de 50 salariés, contre 140 il y a un an. Avec 159 PSE validés ou homologués par l’administration au premier trimestre 2025, ce sont plus de 12.000 emplois qui sont supprimés. S’y ajoutent les licenciements économiques hors PSE – de moins de 10 salariés et sur une période dépassant les 30 jours -, ainsi que les ruptures conventionnelles collectives qui reposent sur le volontariat des salariés, et dont le nombre augmente. 

Ces plans sociaux touchent aujourd’hui tous les secteurs, selon la CGT, qui répertorie les projets de licenciements économiques dont elle a connaissance dans sa propre carte depuis septembre 2023. D’après son décompte, entre 128.250 et 200.330 emplois sont déjà menacés ou supprimés. La métallurgie est le secteur le plus concerné par les suppressions d’emplois directes, suivi par le commerce, le secteur public et associatif, les banques et assurances ainsi que la chimie. Lors d’une table ronde organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), vendredi 27 juin, sa secrétaire générale, Sophie Binet, s’est inquiétée de la situation de l’industrie. "C'est non seulement une catastrophe sociale mais c'est aussi une catastrophe industrielle. Quand on perd notre outil productif, derrière, il faut des années pour le reconstruire", souligne la syndicaliste.

Cette hémorragie s’avère difficile à stopper en pratique. Car l’administration "ne contrôle pas le motif économique", rappelle Nadia Gssime, docteure en droit. Le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur le motif économique justifiant les licenciements. En revanche, l’administration "est très pointilleuse sur le contour des catégories professionnelles [concerné par le PSE], sur les critères d'ordre, sur les mesures d'accompagnement", précise-t-elle. 

Les leviers des élus locaux

Les représentants du personnel, qui doivent être informés et consultés sur les plans sociaux, ont souvent l’impression d’être prévenus trop tard. "Forcer l’employeur à sortir du bois, c’est déjà une bataille", souligne Sophie Binet, qui évoque les cas du groupe Michelin ou Arcelor. Or, "le fait d'avoir l'information en amont, ça permet nous de faire travailler nos experts pour mesurer la réalité des difficultés économiques, d’évaluer la possibilité de faire autrement, de trouver des repreneurs, de diversifier l'activité et cetera", souligne-t-elle. 

Les élus locaux, observe-t-elle, font souvent preuve de solidarité, quel que soit leur bord politique. Et certains n’hésitent pas à actionner les leviers dont ils disposent. Sophie Binet cite l’exemple de Chapelle Darblay, à Grand-Couronne (76). Utilisant son droit de préemption, la métropole de Rouen rachète le site à l’entreprise pour le revendre ensuite à Veolia et Fibre excellence, les repreneurs privilégiés par le comité social et économique. Mais il aura fallu attendre le mois de juin 2025 pour obtenir l’entrée au capital de l’entreprise par l’État à hauteur de 27 millions d’euros, via des fonds apportés par la Banque publique d’investissement (BPIfrance), ainsi que 25 millions d’euros de subventions. Le cas de l’entreprise Duralex, dont le foncier vient d’être formellement cédé à Orléans Métropole et qui a obtenu le soutien financier de la région Centre-Val de Loire pour se relancer, constitue un autre exemple de reprise réussie (lire notre article). 

Ces cas de reprises réussies, complexes, sont exceptionnels. Selon Sophie Binet, subsiste toujours le problème du manque de conditionnalité des aides versées aux entreprises. Sur ce point, les régions pourraient mieux faire : "trop peu" de conseils régionaux conditionnent leurs aides économiques au maintien des emplois sur le territoire. Le levier des marchés publics manque aussi à l’appel.

Pas d’État "stratège"

"L'État stratège a disparu", poursuit Sophie Binet, qui critique le manque de "planification industrielle et environnementale" ainsi qu’une mobilisation insuffisante de ses outils financiers pour sauver des entreprises en difficulté. Le sort de l’usine chimique Vencorex, partiellement cédée à son concurrent chinois Wanhua (lire notre article) sur le territoire et laissant 400 salariés sur le carreau, aurait pu être différent si une nationalisation temporaire avait été décidée dans les délais imposés par le tribunal de commerce afin de le céder à un repreneur indien "solide" s’étant manifesté "après la clôture des audiences au tribunal de commerce".

Ce cas illustre une autre problématique qui est le poids des tribunaux de commerce lors des procédures de redressement et de liquidation. Leur vision des dossiers est "complètement différente du CSE, de l'administration et de comment on doit faire un plan de sauvegarde de l’emploi", convient la juriste Nadia Gssime. Le maintien de l’emploi sur le territoire ainsi que les mesures d’accompagnement ne font pas partie des priorités de ces juridictions. 

Difficulté à anticiper les difficultés

Également présent à la table ronde, Damien Delevallée, associé du cabinet de conseil en stratégie sociale Quintet et ancien conseiller de l’ex-ministre du Travail Muriel Pénicaud, ne ferme pas la porte à des "nationalisations temporaires", dans une démarche pragmatique, afin de "sauvegarder un outil de travail".

Mais selon lui, il sera difficile de s’en sortir sans une politique d’industrialisation durable passant par une élévation du niveau de compétences des actifs ainsi qu’"une fiscalité et une protection sociale financée un peu différemment". 

Sur le terrain, il constate la difficulté à anticiper les licenciements, qui exige un haut niveau de dialogue social ainsi qu’un souci marqué d’anticipation. Et la reconversion préventive d’équipes sur des créneaux porteurs n’a rien d’évident, tant pour les directions d’entreprises – comme l’illustre l’échec des transitions collectives (lire notre article) – que pour les salariés eux-mêmes. "C’est très compliqué pour un salarié de partir avant de voir la fin", sachant "qu’au pire, il y aura un licenciement et donc le chèque", estime-t-il. 

 

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