Accès aux droits sociaux : un foisonnement de démarches territoriales et des questionnements sur la suite
Sollicitées par leurs habitants, les communes et intercommunalités agissent pour faciliter l'accès de leurs habitants à leurs droits sociaux. Si certaines disposent de l'appui de partenaires, dans le cadre de l'expérimentation "Territoires zéro non-recours" notamment ou encore d'une maison France Services, le recul des services publics dans les territoires est une tendance lourde, difficile à contenir. Il en a été question le 4 décembre 2025, lors d'un colloque organisé par l'inspection générale des affaires sociales sur les politiques sociales du bloc communal.
© Olivier Potokar
Organisé par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) quelques mois après la publication d'un rapport sur le sujet (voir notre article), un colloque a été dédié le 4 décembre 2025 aux politiques sociales des communes et intercommunalités. L'occasion de prendre des nouvelles des territoires zéro non-recours (TZNR), du nom de l'expérimentation visant à mobiliser localement différents acteurs pour permettre un recul du non-recours aux prestations sociales.
Il s'agit d'un processus au long cours, comme l'a illustré la communauté de communes La Châtaigneraie (Vendée, 18 communes et 16.000 habitants) qui travaille sur le sujet depuis une dizaine d'années. Ouverture d'une maison de services au public – devenue plus tard France services – en 2016, création d'un "réseau d'accès aux droits" qui fédère désormais plus de 30 partenaires, signature en 2019 d'un "plan local santé social famille" entre la communauté de communes, l'agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire et la Caisse des allocations familiales (CAF) de la Vendée avec tout un axe consacré à l'amélioration de "l’accès aux droits, aux informations et à une offre de santé de qualité"… Jusqu'à l'entrée dans l'expérimentation TZNR en 2023.
Territoires zéro non-recours : des données et des hommes
A l'issue d'un questionnaire ayant permis de mieux qualifier le phénomène sur le territoire – avec notamment une "surprise" sur la place des retraités et des salariés parmi les personnes concernées par le non-recours -, le territoire s'est attaché à adapter ses modalités d'accueil, de communication et d'accompagnement : "lieux d'accueil numérique et solidaire" dans chaque mairie, adaptation du langage utilisé pour communiquer sur les démarches, animations ou encore "camion itinérant Simone" pour aller à la rencontre des habitants.
Une action de terrain protéiforme qui s'accompagne, dans les territoires expérimentateurs, d'un travail sur les données reposant sur la mobilisation des CAF. Outre des permanences téléphoniques et la participation à des "rendez-vous des droits", la CAF du Bas-Rhin conduit ainsi des campagnes annuelles de "fouille de données" puis d'appels téléphoniques, visant à identifier et contacter les personnes éligibles à la prime d'activité dans le périmètre de son TZNR qui est un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) de Strasbourg. "Le moyen le plus pertinent c'est le contact téléphonique direct, le reste [le mail notamment] ne fonctionne pas", a témoigné Francis Brisbois, directeur de la CAF du Bas-Rhin.
Pour Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale (DGCS), c'est bien ce croisement entre de la "high tech" ("data mining" reposant sur des algorithmes) et de la "low tech" (accompagnement et démarche d'"aller vers") qui constitue "la richesse de cette expérimentation" et qui peut permettre de diminuer le non-recours. "Certains acteurs sortent du tour de table de territoires zéro non-recours parce que cela n'avance pas assez vite sur ces échanges de données", alerte toutefois Antoine Rode, chargé de recherche à l'Odenore, Observatoire des non-recours aux droits et aux services qui participe à l'évaluation de l'expérimentation. Actuellement, une dizaine de territoires auraient signé la "convention d'échanges de données" élaborée par la DGCS, indique son directeur, qui espère qu'il soit possible de "surmonter ces difficultés".
Si l'expérimentation n'est pas finie, plusieurs intervenants soulèvent la question de la pérennisation de ces démarches, mais aussi la difficulté à envisager un déploiement à échelle nationale.
Solidarité à la source, allocation sociale unique : une simplification "complexe"
Il aura été beaucoup question pendant cette séquence de "complexité", voire de "fardeau administratif" perçu comme une cause importante de non-recours. La "solidarité à la source" et l'éventuelle future allocation sociale unique (ASU), présentées comme de puissants leviers de simplification, favoriseront-elles donc un meilleur accès au droit ?
Dans le premier cas, le DGCS parle plutôt d'"effet induit" : si le système de déclarations préremplies permettant une fiabilisation des données, cela peut "inciter les gens à aller au bout d'une démarche". Quant à l'ASU, "c'est d'abord une réforme des prestations de solidarité", reposant sur une harmonisation des modes de calcul de la prime d'activité, du revenu de solidarité active (RSA) et des aides au logement, "pour en faire un ensemble lisible, plus logique et plus performant (…) pour mieux réduire la pauvreté et mieux inciter à l'exercice et à la reprise d'une activité", explique Jean-Benoît Dujol. En allant vers plus de lisibilité et de cohérence, "indirectement on peut contribuer à lutter contre le non-recours", ajoute-t-il.
"Mais, ne se cache pas le DGCS, c'est un chantier très ambitieux, d'une grande complexité." Par ailleurs, interpelé un peu plus tôt sur la notion de "maltraitance institutionnelle" (voir notre article), il avait appelé à ne "pas céder au fantasme d'une simplification drastique de ces dispositifs" : ces dispositifs sont selon lui complexes parce que "les vies des gens sont compliquées" et tout l'enjeu serait de "capturer cette complexité d'une manière qui soit juste et équitable".
Un recul des services publics mais un "succès" de France services
"Un des grands problèmes de l'accès au droit, c'est le retrait de l'État et des grandes administrations dans l'accueil du public", interpelle dans la salle Olivier Potocard, adjoint au maire d'Évry-Courcouronnes. Dans son centre communal d'action sociale (CCAS), les travailleurs sociaux seraient beaucoup sollicités par des habitants sur des dossiers CAF… sans toutefois pouvoir en échanger directement avec la CAF et allant parfois jusqu'à "payer le loyer" lorsque des droits sont suspendus "parce qu'il manque une pièce", explique cet élu qui alerte sur la "catastrophe" de l'illectronisme.
"Nos plateformes téléphoniques ne fonctionnent pas très bien", confesse le directeur de la CAF du Bas-Rhin, qui juge par ailleurs qu'"en aucune façon" des outils tels que le site Caf.fr ne provoquent "un effet de vase communicant sur le besoin de contact humain d'une partie de la population". Il s'inquiète également du "retrait" observé des services publics sur les territoires.
Jean-Benoît Dujol fait toutefois valoir le "succès de la démarche" France services – dont le rôle sur l'accès aux droits n'a pas encore été formellement évalué -, avec des lieux désormais très identifiés et permettant une mutualisation de moyens entre plusieurs administrations et collectivités locales, et donc la possibilité d'avoir accès à une gamme "large" de prestations sociales. Antoine Rode souligne lui aussi l'intérêt du réseau France services, surtout quand s'y greffe "l'accueil d'un centre médico-social porté par un département". Jusqu'à quel point ces lieux et dispositifs itinérants France services pallient la diminution des anciens lieux physiques des administrations ? Antoine Rode signale deux points de vigilance : encore une "très forte disparité" du réseau sur les territoires et un enjeu de "montée en qualification de ces agents" pour un accompagnement effectif des personnes vers l'activation de leurs droits.