Après un recul sur le ZAN, l'Assemblée approuve la suppression des "zones à faibles émissions"
Lors de la reprise de l’examen en séance du projet de loi de "simplification de la vie économique", l'Assemblée nationale a approuvé coup sur coup ce 28 mai un recul du principe du "zéro artificialisation nette" (ZAN), et surtout la suppression des zones à faibles émissions (ZFE), qui restreignent la circulation des véhicules les plus polluants. Mais ces dispositions doivent encore être validées lors du vote final du texte puis en commission mixte paritaire.

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Annonce des résultats du vote de l’article 15 ter supprimant les ZFE le 28 mai
L’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) et les zones à faibles émissions (ZFE) ont subi les coups de boutoir des députés lors de l’examen en séance du projet de loi de "simplification de la vie économique" ce 28 mai.
Le ZAN à nouveau corrigé
Les députés ont d’abord adopté deux amendements modifiant sensiblement les modalités de mise en œuvre du ZAN. L’un, à l’initiative du gouvernement, instaure une exemption de l’objectif ZAN pour les projets industriels et leurs aménagements et logements connexes, d’une durée de cinq ans. Il s’agit de "répondre aux besoins identifiés dans le cadre de la réindustrialisation, aux côtés des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur" ou Pene, "afin que puissent émerger des projets d’ampleur, pourvoyeurs d’emplois, et vecteurs de dynamisme et d’attractivité du territoire". Pour cela, la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) résultant des projets industriels en question, ainsi que celle des aménagements, des équipements et des logements directement liés à leur réalisation, "dans la limite de 15% de l’espace accordé au projet", seront décomptées au sein d’un forfait national, sur le même modèle donc, que le forfait appliqué au Pene.
Ce nouveau forfait est fixé "à hauteur de 10.000 hectares pour l’ensemble du pays, dont 9.000 hectares sont mutualisés entre les régions couvertes par un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, au prorata de leur enveloppe de consommation". Une fois la loi votée, un décret en Conseil d’État devra alors préciser cette répartition et les modalités d’application de ces nouvelles dispositions.
"L’inscription des projets à l’enveloppe nationale dédiée à l’industrie se fera selon une procédure simple et concomitante au dépôt des autorisations d’urbanisme. Cette procédure sera ainsi distincte de celle de l’inscription à la liste des Pene", a précisé le gouvernement dans l’exposé des motifs de son amendement.
En écho à ce nouveau dispositif d’exemption, deux amendements identiques de la Droite républicaine et d’Ensemble pour la République modifient par ailleurs l’article 15 pour étendre l’exemption de comptabilisation de la consommation des sols à tous les projets d’intérêt majeur, national, régional, intercommunal ou communal.
Alors que plusieurs autres amendements ont supprimé l’article 15 bis A visant à clarifier les projets pouvant être automatiquement considérés comme répondant d’une raison impérative d’intérêt public majeur, le gouvernement a de son côté obtenu l’adoption d’un amendement qui donne la possibilité de reconnaître la RIIPM (raison impérative d’intérêt public majeur) plus tôt dans la vie des projets — dès le stade de la déclaration d’utilité publique et non pas au stade de l’autorisation environnementale —, quelle que soit leur nature (projet industriel, d’infrastructure de transport, d’énergie, etc.).
L’article 15 bis D du texte a en outre été supprimé, après l’adoption de dix amendements identiques, motivés toutefois par des arguments différents. Pour rappel, cet article, ajouté par les députés en commission spéciale, supprimait l’objectif national intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation sur la période 2021‑2031 par rapport à la décennie précédente, et confiait aux échelons régionaux, intercommunaux et communaux le soin d’organiser la fixation des objectifs de réduction de l’artificialisation. Pour les députés LFI, l’objectif était clairement de revenir sur un article "visant à rendre inopérant l’objectif ZAN" alors que pour l’exécutif l’article n’avait tout simplement pas sa place dans le projet de loi de "simplification de la vie économique". "Les travaux engagés sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace) doivent apporter les adaptations nécessaires pour conserver notre objectif de sobriété foncière, tout en évitant de stériliser certains territoires et de bloquer les grands projets indispensables à notre économie. Ces assouplissements ne peuvent intervenir au coup par coup, sans vision d’ensemble, dans des textes législatifs concurrents, qui pourraient s’avérer contradictoires ou inconciliables. Ils doivent donc s’inscrire dans un vecteur unique et structuré", a-t-il justifié dans son exposé des motifs.
Les ZFE à la trappe
Dans la soirée, les députés ont également voté l’article 15 ter supprimant les zones à faibles émissions (ZFE). Introduite en commission à l'initiative de LR et du RN, la suppression a été adoptée par 98 voix contre 51, grâce aux voix de l'alliance RN-UDR, de la droite, de LFI et de trois élus macronistes. Écologistes et socialistes ont largement voté contre, comme certains députés MoDem et Horizons. La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher était opposée à la suppression, proposant sans succès, un compromis pour sanctuariser le fait que les ZFE ne seraient obligatoires qu'autour de Paris et Lyon, et instaurer toute une batterie d'exceptions à la main des collectivités qui veulent les mettre en place. "Ce ne sera pas possible de le faire même pour ceux qui le souhaitent", a déploré le ministère dans un communiqué, après le vote de l'Assemblée.
"La pollution de l'air cause plus de 8.000 décès prématurés chaque année en Ile-de-France", les ZFE sont "un outil indispensable pour protéger la santé publique et répondre à l'urgence climatique", a souligné la ville de Paris dans un communiqué, appelant "à rétablir cette mesure essentielle". Le maire écologiste de Lyon Grégory Doucet a dénoncé "un vote contre la santé des Français" et celui de Montpellier Michaël Delafosse (PS) "une erreur funeste pour les générations à venir".
Mais les ZFE sont critiquées, jusque dans les rangs du gouvernement, par de nombreux responsables politiques, notamment à droite, qui considèrent qu'elles excluent des catégories de la population ne pouvant acheter des véhicules moins polluants. "Je ne vais pas vous dire que je pleure", a réagi sur CNews et Europe 1 le ministre (LR) des Transports, Philippe Tabarot. "Le texte tel qu'il a été défini aujourd'hui est dépassé", a-t-il ajouté, appelant à améliorer le dispositif par "des mesures de bon sens", mais "certainement pas en montant les Français contre les Français".
"Le dispositif des ZFE pouvait légitiment susciter quelques critiques. Mais il n’est pas inutile de souligner la faiblesse des engagements financiers de l’État pour accompagner cette mesure qui a été voulue par le législateur et qui s’est imposée aux métropoles", a réagi de son côté le Gart dans un communiqué ce 30 mai. "Depuis le vote de la loi Climat et Résilience, l’État n’a pas débloqué les crédits suffisants permettant aux populations les plus impactées d’acquérir un véhicule moins polluant ou de disposer d’offres de mobilité plus durables, estime l’association d’élus regroupant les autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Et plutôt que de procéder à l’amélioration de cette mesure dont les scientifiques et médecins s’accordent à reconnaître les bienfaits pour la santé de nos concitoyens durement éprouvés par la pollution et par les effets néfastes du réchauffement climatique, les députés ont décidé purement et simplement d’abroger cette mesure sans esquisser la moindre solution alternative." Le Gart appelle donc à un "choc d’offres de mobilité durable (transports collectifs, modes actifs, véhicules en autopartage…) pour réduire la dépendance à la voiture individuelle" et juge "fondamental" que la conférence Ambition France Transports lancée début mai débouche sur des "solutions concrètes" pour "doter les AOM des capacités financières suffisantes pour développer des politiques de mobilité encore plus efficaces et notamment tournées à destination des territoires les moins bien desservis et des publics les plus fragiles".
Agnès Pannier-Runacher farouchement opposée à la suppression des ZFE
La ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher est quant à elle repartie à l’offensive ce 1er juin lors de l'émission Question politiques (France inter/Le Monde/FranceTV) pour dénoncer "le cynisme" et "la démagogie" des députés qui ont voté la suppression des ZFE, alors que la pollution de l'air est "un sujet de santé publique majeur". "Ce que je déplore aujourd'hui, c'est la manière dont effectivement le paysage politique minore ce niveau de risque", a-t-elle déclaré. "Parce qu'au fond, ils sont portés par une forme de lâcheté et de déni et que leur position est plutôt de fermer les yeux", a-t-elle estimé à l'issue d'une semaine marquée par des reculs écologiques. "J'ai honte de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale (...) parce qu'à aucun moment, le sujet qui est au coeur de ce dispositif, qui est la question de la qualité de l'air, qui est la question de protéger les Français contre des décès précoces" n'a été au centre du débat, a dit la ministre. Elle a pointé une forme de "démagogie" qui consiste à raconter à des personnes aux revenus modestes "que parce qu'ils avaient une vieille voiture, ils ne pourraient plus aller dans aucune grande agglomération, (...) c'est absolument faux". Elle a énuméré différentes situations permettant à des voitures pourtant polluantes de rouler dans les ZFE : circulation ponctuelle, rendez-vous chez le médecin, weekend, circulation avant 8h ou après 20h...
Les dispositions adoptées sur le ZAN et les ZFE doivent encore être validées lors du vote final du projet de loi de "simplification de la vie économique" en séance plénière puis en commission mixte paritaire. L’examen du texte doit reprendre les vendredi 13 et samedi 14 juin.