Assises du logement et de la ville : "Quand comprendra-t-on que le logement est d'intérêt public ?"

Face à une crise du logement qui se prolonge, les professionnels du secteur, réunis le 17 juin à Paris pour les Assises nationales du logement et de la ville, ont de nouveau dressé un constat alarmant et lancé un appel pressant à une stratégie nationale. Au cœur de leurs préoccupations : le sentiment d'une inaction politique face à l’urgence sociale grandissante.

Un an après la dissolution, le paysage politique français, marqué par l'absence de majorité, la succession de gouvernements et les crises économiques, ne montre "quasiment pas d'amélioration” sur le front du logement et de la construction. Un constat que les acteurs du secteur ont établi en ouverture des Assises nationales du logement et de la ville, ce mardi 17 juin à la Cité internationale universitaire de Paris. Il faut dire que l'incertitude pèse lourdement sur les acteurs de la filière : selon le baromètre 2025 des Assises, 44% des professionnels se déclarent pessimistes quant à leur activité future, et 33% font part de leur incertitude.

Un État "déconnecté" et une vision court termiste

La principale critique unanime des participants concerne le manque de vision et de soutien de l'État. Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), a souligné qu'avant la dissolution, le gouvernement "n'avait pas pris conscience de la crise du logement, allant même jusqu'à considérer que la souffrance du secteur était un mal nécessaire pour faire baisser les prix”. Après la dissolution, si "la prise de conscience est totale" et l'envie d'aider "forte", il n'y a toujours pas de priorité claire, déplorent les acteurs.

Loïc Cantin, président de la Fnaim, a qualifié d’”insupportables” les déclarations d'Emmanuel Macron qui, en juin 2023, décrivait le logement comme de la "surdépense publique pour de l'inefficacité collective". Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH, a quant à elle regretté que le pays ait "refusé de parler de la politique du logement dans la campagne présidentielle de 2022". L’ancienne ministre a par exemple regretté qu'il ait été si difficile d'obtenir une simple mission de préfiguration sur la rénovation urbaine (finalement annoncée le 12 juin - voir notre article), une politique pourtant "utile à la République et à la société" et ayant prouvé son efficacité. Pour Loïc Cantin, le manque de mobilisation du sommet de l’Etat pour la question logement est source d'exaspération. “Quand comprendra-t-on que le logement est fondamental et d’intérêt public ?”, s’est interrogé le président de la Fnaim.

Selon Olivier Safar, président adjoint de l'Unis, “Bercy cherche à faire des économies en coupant tout, dans tous les sens, y compris les investissements", alors que l'immobilier nécessite une "loi de programmation de dix ans". Il est reproché à Bercy d'estimer que le logement n'a pas besoin d'aide fiscale : une "idée fausse" selon les professionnels, qui en veulent pour preuve un rapport de la Cour des comptes ayant mesuré l’impact important de la baisse de la construction sur le PIB et le déficit public de 2023-2024.

La ministre du Logement : une alliée isolée

Malgré ce constat sombre, les acteurs ont salué l'implication de la ministre du Logement, Valérie Létard, décrite comme une "alliée" qui "connaît le secteur, connaît les enjeux, mène les batailles et en gagne une partie". Cependant, celle-ci apparaîtrait souvent "seule” dans un environnement qui ne la soutient pas toujours. "Soit on nous ignore, soit on reste passifs — et quand des décisions sont prises, elles vont à l’encontre du bon sens", a déploré Olivier Safar en citant le récent feuilleton sur la suspension du dispositif MaPrimeRénov’. La politique actuelle, celle des "petits pas", est jugée insuffisante pour relancer un secteur paralysé par l'absence de majorité parlementaire qui rend de fait la législation difficile.

Pendant ce temps sur le terrain, la crise est palpable. Des millions de personnes cherchent à se loger et le logement social fait face à une demande sans précédent : 2,8 millions de demandeurs, “avec une augmentation de 100.000 en un seul trimestre, contre 100.000 par an auparavant”, a souligné Emmanuelle Cosse. 65% de ces demandeurs sont des actifs, souvent des salariés au Smic ou juste au-dessus, qui n'ont "plus d'autres solutions".

Les maires, en première ligne face aux citoyens mal logés (retraités, jeunes, professions essentielles), sont conscients de la nécessité de construire. Néanmoins, Daniel Cornalba, maire de L'Étang-la-Ville (Yvelines), a souligné les "contraintes immenses" dues à la fluctuation des cadres législatifs et financiers, et à un État qui "ne sait pas nécessairement où il veut aller", laissant les élus "se dépatouiller" seuls.

Un appel urgent à un "cap" national

Autant de constats qui ont amené les professionnels du logement à réclamer une stratégie nationale claire et ambitieuse pour les cinq ou dix prochaines années. “Sur un bateau, le cap est ce qu’il y a de plus important”, a déclaré Olivier Safar. 

S’agissant des avancées potentielles, notamment en matière de simplification, les professionnels se montrent dubitatifs. “Difficile sans portage politique véritable”, a balayé Emmanuelle Cosse. “Tel un oiseau de mauvais augure, tous les trimestres j’annonce des chiffres pires que les précédents”, a soupiré Pascal Boulanger. “Mais quand allons-nous vraiment nous réveiller ? On n’a pas le temps d’attendre encore deux ans. Pour certains d’entre nous, le pronostic vital est déjà engagé.”

› La Caisse des Dépôts, "partenaire de long terme" du logement 

Lors de l’ouverture des Assises, Olivier Sichel, directeur général de la Caisse des Dépôts - officiellement nommé par décret du 12 juin après avoir occupé la fonction par intérim -, a pour sa part réaffirmé avec force l'engagement historique de l'institution en faveur du logement social et de la cohésion territoriale, soulignant une mission profondément ancrée dans son ADN. "L'an dernier, le financement accordé par la Banque des Territoires au logement social a bondi de 66%, représentant plus de 20 milliards d'euros mis au service du logement et de la construction”. Au-delà du logement social traditionnel, la Caisse des Dépôts diversifie ses actions. Olivier Sichel a ainsi annoncé des initiatives pour d'autres formes de logement, citant notamment la construction de 75.000 logements étudiants, un besoin “très important” notamment mis en avant lors du Printemps des Territoires (voir notre article du 13 mai).
Par ailleurs, qu'il s'agisse de régénération urbaine, d’accompagnement des écoles ou d'équipements publics, la Caisse des Dépôts se positionne comme un partenaire crucial des collectivités locales, a souligné Olivier Sichel. Lequel a vivement défendu les élus locaux face à la stigmatisation de l'endettement et rappelé que “la dette des collectivités locales ne représente que 8% de la dette totale de la France”. La durée moyenne d'endettement des communes est de 5,3 ans, celle des départements de 2 ans, et des régions de 7 ans, des chiffres bien inférieurs à ceux de la dette publique nationale. Pour Olivier Sichel, s'endetter pour investir est un signe de bonne gestion, soulignant que des maires fiers d'une "dette zéro" pourraient en réalité laisser à leurs successeurs une "dette écologique" par la négligence des infrastructures comme les réseaux d'eau ou la rénovation thermique des écoles. 

 

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