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Avec le recul démographique, la politique familiale revient au premier plan

Alors que le dernier bilan démographique de l'Insee affiche le plus faible solde naturel depuis 1945, plusieurs contributions viennent donner matière à une possible relance des débats sur la politique familiale, peu présents ces derniers temps : un rapport du Haut Conseil de la famille faisant "le bilan des réformes des vingt dernières années", une note du haut-commissaire au plan plaidant en faveur d'un "pacte national"... et le secrétaire d'État Adrien Taquet a annoncé la tenue en septembre d'une conférence nationale des familles. Une première depuis 2004.

Comme d'autres sujets, la politique familiale est passée au second plan avec la crise sanitaire. Mais son effacement progressif a débuté bien avant la pandémie. La dernière conférence des familles, instance traditionnelle de réflexion et d'annonces sur la politique familiale, remonte en effet à... 2004. Depuis lors, la politique familiale se résume essentiellement à la question – certes importante – des modes d'accueil de la petite enfance, avec toutefois quelques mesures ponctuelles (comme la réforme du congé paternité à compter du 1er juillet prochain) et un plan "1.000 premiers jours de l'enfant", dont les effets tardent encore à se concrétiser. Mais le recul démographique, accéléré par la crise sanitaire, pourrait bien changer les choses, comme en attestent plusieurs événements récents.

Démographie : le plus faible solde naturel depuis 1945

Le bilan démographique 2020 actualisé, diffusé par l'Insee le 29 mars, est en effet particulièrement sombre. L'année enregistre le plus faible solde naturel depuis 1945, autrement dit la différence entre le nombre des naissances et celui des décès (+67.000, soit une progression de 0,2%). Ce solde était encore de 140.000 en 2019. Avec une estimation de +87.000, le solde migratoire devient dès lors le principal facteur de croissance de la population française en 2020. Bien sûr, ce résultat s'explique principalement par la nette hausse du nombre de décès imputables au Covid-19 (+9,1% par rapport à 2019). Mais la crise sanitaire n'explique pas tout. Le solde naturel se resserre en effet depuis 2010. À l'époque, il était encore de 281.600. Sur le moyen terme, cette diminution du solde naturel s'explique à la fois par une hausse du nombre de décès depuis le milieu des années 2000 (avec le vieillissement de la génération du Baby-Boom) et par une stagnation des naissances depuis 2006, suivies d'un mouvement de baisse depuis 2010, qui s'accélère à compter de 2014.

Même si la France demeure le pays le plus fécond d'Europe devant la Roumanie et reste très loin de la situation de pays comme l'Italie ou l'Espagne, le taux de fécondité s'établit désormais à 1,83 enfant par femme en âge de procréer (contre 1,86 en 2019), ce qui ne permet pas d'assurer le renouvellement des générations par le seul solde naturel. La question démographique, même si elle s'inscrit par nature dans le moyen et long terme, se trouve donc désormais posée.

Un recentrage des politiques sur l'accueil du jeune enfant et la redistribution

De son côté, le HCFEA (Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge) a adopté, le 30 mars, un rapport, rendu public récemment et intitulé "L'évolution des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants à charge au titre de la politique familiale : bilan des réformes des vingt dernières années". Les réformes en question sont intervenues surtout depuis 2013. Elles portent sur des politiques publiques représentant environ 85 milliards d'euros (en 2017), répartis en 38,7 milliards de prestations familiales et autres prestations en espèces, 21 milliards d'aide et d'action sociale, 16,6 milliards de dépenses fiscales, 5,8 milliards de dépenses liées aux enfants à charge, minima sociaux, aides aux actifs à bas revenus et aides au logement, ainsi que 2,9 milliards de frais de gestion de la branche Famille.

Le jugement du HCFEA est plutôt mitigé. S'il reconnaît un certain nombre d'améliorations, il pointe aussi le recentrage des politiques familiales sur l'accueil du jeune enfant et le fait que "la place de la politique de la famille est contestée par d'autres priorités (lutte contre la pauvreté, aide au logement, aide aux actifs à bas revenus)". Pour leur part, les aides et actions sociales, portées principalement par les collectivités territoriales (ASE, PMI, CCAS) et par l'action sociale des CAF, ont souffert d'un contexte de tension sur les finances des collectivités. De leur côté, les prestations familiales ont subi la pression des contraintes d'équilibre de la branche Famille, qui se traduisent par une sous-actualisation des barèmes de prestations. Sans surprise, car il s'y était opposé, le HCFEA pointe aussi les effets de réformes des prestations familiales entre 2013 et 2017, avec un recentrage sur les plus modestes, mais inscrites en réalité "dans une logique globale d'économie".

Un "double basculement"

Le rapport relève notamment qu'outre les ménages aisés, "certains ménages à revenus intermédiaires, avec de jeunes enfants, se trouvent également perdants du fait des réformes de l'allocation de base de la Paje". Au final, le HCFEA constate que "depuis 2008, les réformes des prestations familiales ont ainsi permis une réduction des inégalités de niveau de vie entre familles avec enfant(s). Mais celles intervenues depuis 2013 se sont également traduites par une baisse des dépenses de prestations familiales légales, le soutien supplémentaire aux familles modestes (en termes réels) étant inférieur aux économies réalisées sur les familles plus aisées".

Le bilan est plus équilibré du côté des dépenses fiscales, la nette baisse des dépenses fiscales pour les familles les plus aisées s'accompagnant d'une forte hausse des suppléments de prestations sociales au titre des enfants pour les familles les plus modestes. Plus globalement, "en quelques années, un double basculement s'est produit : au cœur de la politique familiale a eu lieu un transfert des prestations d'entretien universelles vers des prestations d'entretien ciblées et majoritairement sous conditions de ressources ; au sein de l'ensemble des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants, s'est produit un transfert des dépenses relevant de la politique familiale (prestations familiales et prise en compte des enfants dans le calcul de l'impôt) vers celles à la frontière de la politique sociale et de la politique familiale (suppléments liés aux enfants de prestations sociales)". Et cela sans pour autant modifier le niveau de vie des familles.

Vers un "Pacte national pour la démographie" ?

Le 16 mai, François Bayrou, le haut-commissaire au plan, a publié une note qui met clairement les pieds dans le plat. Intitulée "Démographie : la clé pour préserver notre modèle social", elle s'ouvre sur le constat que "la question de la démographie pose la question même de l'avenir des peuples". Dans ce document d'une cinquantaine de pages, François Bayrou remet sur le devant de la scène la question des politiques natalistes, depuis longtemps reléguée au second plan. Il rappelle notamment que la démographie est "le fondement de toute politique" et que "l'avenir démographique de la France n'est plus assuré". Il s'interroge également sur "la préservation sur le long terme de notre contrat social en cas d'affaiblissement de notre dynamique démographique", ce qui ne manque pas de faire écho, entre autres, à la réforme des retraites.

Considérant que la politique familiale soutient la natalité, le haut-commissaire au plan plaide donc pour "la nécessité d'un Pacte national pour la démographie". En l'occurrence, il s'agirait "de reconstruire un consensus sur notre politique démographique, afin d'installer à nouveau un climat de confiance", ce qui suppose de mener un politique familiale globale, cohérente, continue et lisible. La note ne va cependant pas au-delà de cet appel et de ces quelques principes. Elle ne formule en particulier aucune piste sur les mesures qui seraient à mettre en œuvre pour atteindre l'objectif. En dépit de ce caractère quelque peu incantatoire et même si elle se limite de ce fait essentiellement aux questions et aux enjeux, la note de François Bayrou pourrait servir de base à une relance des débats sur la politique familiale.

Quinze ans après, le retour de la Conférence des familles

Jusqu'à présent, Emmanuel Macron s'est peu exprimé sur la politique familiale, si on excepte le lancement de la démarche des "1.000 premiers jours". Si Boris Cyrulnik a remis son rapport en septembre 2020, les effets pratiques restent toutefois encore limités au regard de l'ambition initiale de promouvoir l'égalité de destins. La nomination d'Adrien Taquet, en janvier 2019, comme secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles (fonction qui n'existait pas dans les deux premières années du quinquennat) envoie certes un signal. Mais jusqu'à présent, Adrien Taquet s'est consacré principalement à la protection de l'enfance et aux modes d'accueil de la petite enfance. Sans oublier bien sûr l'impact de la crise sanitaire, peu propice au lancement de politiques nouvelles.

Les choses pourraient toutefois changer dans les prochains mois. Le 15 mai, Journée internationale des familles, Adrien Taquet a annoncé dans un tweet qu'il "donne rendez-vous du 14 au 17 septembre pour la première Conférence des familles organisée depuis 15 ans !". Il ne s'agit pas à proprement parler d'une surprise, puisque le principe de cette conférence est prévue dans l'ordonnance réformant les modes de garde (toujours pas publiée, mais qui doit l'être avant la date limite du 7 juin).

Il reste néanmoins qu'il s'agira d'une première depuis 2004 et que la conférence devrait réunir tous les acteurs de la famille, ainsi que les ministères concernés (sur le modèle des conférences nationales du handicap). Rien n'est dit, à ce stade, sur une éventuelle prise de parole du chef de l'État. Celle-ci semble néanmoins dans l'ordre des choses, même si, compte tenu de la date, les annonces éventuelles viseront sans doute davantage un nouveau mandat que l'actuel quinquennat.

 

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