Budget 2026 : André Laignel appelle à une "censure" en cas de nouvelles ponctions sur les collectivités

A moins d'un mois de l'annonce par le Premier ministre de ses arbitrages budgétaires, le président du Comité des finances locales (CFL) met en garde : en cas de programmation de nouvelles ponctions sur les collectivités, "la seule réponse possible" sera "la censure" par les députés et les élus locaux. Les collectivités pourraient par exemple "ne plus payer les dépenses imposées par l'État", indique-t-il. Ce 18 juin, André Laignel présentait le rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) sur les comptes de 2024. Et le bilan est clair : la situation financière du secteur local s'est à nouveau dégradée l'an dernier.

La santé financière du secteur public local va de mal en pis, s'inquiète André Laignel, le président du Comité des finances locales (CFL) et de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) qui lui est rattaché. Sur l'exercice 2023, certains indicateurs, notamment la "baisse sensible" de l'épargne brute des collectivités (-9,1%) - c'est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses de la section de fonctionnement - étaient des "signaux d'alerte", pointait le maire d'Issoudun en juin de l'an dernier (voir notre article). Mais au terme de l'année 2024, "l'alerte est complète, problématique et concerne tous les niveaux de collectivités, même si à l'intérieur de chaque niveau de collectivités, les situations peuvent être contrastées", souligne-t-il désormais. 

L'édile dévoilait ce 18 juin à ses collègues du CFL ainsi qu'à la presse la première mouture du rapport annuel de l'OFGL pour 2025 - la version définitive sera publiée dans quelques semaines. Le document dresse un panorama très complet des finances publiques locales à la fin de l'année dernière, en présentant d'abord une vue d'ensemble, puis une photographie particulière à chaque niveau de collectivité.

L'épargne brute – que, concrètement, les collectivités utilisent pour rembourser leurs emprunts et financer une partie de leurs dépenses d'investissement – s'est contractée à nouveau (-7,3%) l'an dernier, pour s'établir à 32,5 milliards d'euros. Elle se situait fin 2024 "à un niveau moins élevé de 2,1 milliards d'euros par rapport à avant la crise sanitaire", précise le rapport.

Progression ralentie des recettes de fonctionnement

Avec le reflux de l'inflation, les dépenses de fonctionnement enregistrées dans les budgets principaux ont décéléré. Elles ont ainsi progressé de 3,9% en 2024, alors qu'elles avaient augmenté de 5,9% l'année précédente. En intégrant les budgets annexes et après consolidation - c'est-à-dire un traitement des doubles comptes - elles affichent une augmentation de 4,1% (après +6,4 %). 

L'évolution des dépenses de fonctionnement a connu des différences entre les niveaux de collectivités (+4,2% et +4,8% respectivement pour les communes et les intercommunalités à fiscalité propre, +3,9% pour les départements et seulement +1,1% pour les régions et collectivités territoriales uniques). Et à l'intérieur de chaque catégorie de collectivités, des écarts significatifs sont relevés. Au sein des communes par exemple, l’augmentation des dépenses de fonctionnement a été plus soutenue dans les villes de plus de 100.000 habitants (+5,3%, mais +3,6 % hors Paris et Marseille) ainsi que dans les plus petites (+4,8% pour les communes de moins de 500 habitants). A noter que les communes de taille intermédiaire, qui avaient enregistré en 2022 et 2023 les hausses les plus élevées, figurent à l'inverse en 2024 parmi les communes dont les dépenses de fonctionnement ont augmenté le moins.

Les recettes de fonctionnement de l'ensemble des collectivités ont de leur côté augmenté de 2,2%, soit moins qu'en 2023 (+3,4%). Leur évolution est plus favorable pour le bloc communal (+4,3% pour les groupements à fiscalité propre et +3% pour les communes) que pour les régions et les collectivités territoriales uniques (+1,1%) et les départements (+0,2%).

"Baisse considérable de la trésorerie"

Le besoin de financement des collectivités territoriales s'est creusé l'an dernier de 5 milliards d'euros par rapport à 2023, pour atteindre 10,3 milliards d'euros. Mais c'est un résultat "très loin des campagnes polémiques" qui avaient été menées à l'été 2024 par le ministre de l'Économie d'alors, Bruno Le Maire, annonçant "16 milliards d'euros de dérapage", souligne André Laignel.

Dans ce bilan, un "seul" signe est "positif", selon le président du CFL :  la croissance de 7% de l'investissement public local. Mais ce bond est "financé par la baisse considérable de la trésorerie", celle-ci passant, toutes collectivités confondues, de 133 jours de dépenses de fonctionnement en moyenne en 2023 à 78 l'an dernier (-41%), ajoute le président du CFL. Les collectivités ont dû aussi recourir davantage à l'emprunt. Ainsi, la dette totale des collectivités (y compris budgets annexes et syndicats) a connu une "hausse sensible" (+3,8%) en 2024. Pour autant, à 216,5 milliards d'euros (soit 6,5% du PIB), "elle est encore maîtrisée", estime André Laignel.

Avec les baisses de moyens et les dépenses nouvelles inscrites dans la dernière loi de finances (qu'il chiffre à 8 milliards d'euros au total), le premier vice-président délégué de l'Association des maires de France (AMF) prédit une nouvelle "dégradation des comptes" en 2025, qui conduira à "une situation de grande précarité" de "l'ensemble des collectivités". 

"L'État agit comme le sapeur-camembert"

Et si "les menaces pour 2026" devaient se concrétiser, "ce serait bien entendu une asphyxie de l'ensemble de nos collectivités territoriales et en tout cas la certitude de la récession du pays", alerte André Laignel. Lequel s'exprimait ce 18 juin au moment où les représentants des associations d'élus locaux étaient réunis au ministère de l'Aménagement du territoire, pour une dernière réunion de concertation sur la contribution des collectivités à la réduction du déficit public, dans le cadre de la conférence financière des territoires. Une concertation au cours de laquelle, côté gouvernemental, on avait déjà évoqué les scénarios d'une "année blanche" (voir notre article) et d'un encadrement (notre article) des recettes des collectivités.

André Laignel fustige ces pistes mises sur la table par Bercy. Si les recettes des collectivités sont réduites, ces dernières devront emprunter pour faire face à des dépenses qui sont en partie contraintes. Ce sera un "résultat contraire à l'objectif théorique de l'État qui est de baisser l'endettement". Le président du CFL compare cette façon de faire à celle du "sapeur-camembert", qui "creuse un trou pour boucher un trou".

"Si on annonce de nouvelles coupures de moyens pour 2026, la seule réponse possible est la censure sous toutes ses formes", gronde André Laignel. L'élu socialiste songe bien entendu à une censure du gouvernement de François Bayrou par les députés. Mais il évoque aussi une "censure sur le terrain" qui serait le fait des collectivités locales. Il s'agirait par exemple pour elles de "ne plus payer les dépenses imposées par l'État", de "ne plus participer aux contrats de plan État-régions" ou encore de "refuser tout transfert nouveau de quelque nature".

"Asphyxie de très nombreux départements"

Avant même les annonces du Premier ministre promises pour le mois de juillet sur le projet de budget pour 2026, la situation de "très nombreux départements" est "proche de l'asphyxie", alerte André Laignel. Pénalisés notamment par des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en recul de 13,5% en un an - et atteignant ainsi 9,9 milliards d'euros - les départements ont vu en 2024 leur épargne nette  (c'est-à-dire l’épargne brute après déduction des remboursements de la dette), baisser de 55,4%, après -54,1% en 2023. 18 départements avaient en fin d'année dernière "une épargne nette négative", contre 6 à la fin de 2023. Dans ce contexte, les investissements des départements ont reculé de 2,9% en 2024.

Mais entre autres grâce à la faculté pour les départements de relever de 0,5% le taux des DMTO, le produit de la taxe devrait repartir à la hausse, selon des estimations que Bercy a récemment communiquées aux élus locaux. Ce qui toutefois ne sera pas d'un grand secours pour ceux des départements dont les finances sont peu sensibles à une évolution de cette ressource, objectent certains élus.

 

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