Concessions hydroélectriques : les sénateurs appellent les députés à voter sans tarder le passage au régime d'autorisation

La commission des affaires économiques du Sénat a adopté, ce 1er octobre, les conclusions de la mission d'information qu'elle avait constituée au printemps sur l'avenir des concessions hydroélectriques. Les membres de cette dernière invitent en particulier les députés à amender la proposition de loi dite "Gremillet" afin d'y acter le passage au régime des autorisations, conformément à l'accord passé cet été entre le gouvernement et la Commission européenne, tout en veillant à préciser ses modalités. Ils proposent en outre de profiter de l'occasion pour réviser la réglementation du secteur, notamment afin de mieux associer les collectivités aux projets hydrauliques.

Les concessions hydroélectriques françaises vont-elles enfin pouvoir sortir de la nasse dans laquelle elles sont enfermées depuis une vingtaine d'années, les contentieux avec la Commission européenne obèrant tout investissement nouveau dans ces infrastructures ? On n'en a, semble-t-il, jamais été aussi proche. Ce 1er octobre, la commission des affaires économiques du Sénat a en effet d'adopté les conclusions de la mission transpartisane d'information qu'elle avait constituée sur le sujet au printemps, laquelle approuve l'accord de principe obtenu cet été par le gouvernement avec Bruxelles. 

L'accord de principe gouvernement-Commission, solution "la plus prometteuse"

Pour mémoire (lire notre article du 2 septembre), ce dernier contient pour l'essentiel :

- un passage au régime d'autorisation. Le gouvernement prévoit pour ce faire la résiliation des contrats de concession et le paiement d'une indemnité de résiliation, le déclassement des biens hydroélectriques, la cession de gré à gré de ces biens et le versement d’un prix de cession, la conception d’un nouveau régime d’autorisation, d’une nouvelle redevance et d’une nouvelle gouvernance pour les installations hydrauliques de plus de 4,5 MW ;

- la possibilité de maintenir des exploitants en place afin de garantir la continuité de l’exploitation des ouvrages ;

- en contrepartie de ce maintien, la mise à disposition par le groupe EDF de 6 GW de capacités hydroélectriques virtuelles à des tiers, via des enchères concurrentielles mises en vente par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Une solution qualifiée par le Sénat comme "la plus prometteuse pour éviter la mise en concurrence" de ces concessions. 

Des réponses à certaines interrogations…

Elle semble l'être d'autant plus aux yeux des corapporteurs que ces derniers reconnaissent que la Commission européenne a répondu à certains de leurs "questionnements".

D'abord en rappelant "que les États membres sont libres de choisir l'organisation hydroélectrique sur leur territoire selon le modèle de leur choix". 

Ensuite en confirmant "que les États membres peuvent choisir des modèles différents pour leurs différents aménagements", disposition d'importance alors que les sénateurs proposent d'exclure de ce changement de régime les concessions venant d'être renouvelées (comme celle de la Compagnie nationale du Rhône, le corapporteur Patrick Chauvet observant qu'elle "a été prolongée pour 20 ans à l'unanimité par la loi du 22 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône" – lire notre article), celles pour qui l'activité fluviale est principale (Seine, Moselle) ou encore celles régies par des accords internationaux (Rhin, Doubs, L'Arve, Emosson). 

Enfin, en réaffirmant "que les États membres doivent respecter les règles européennes relatives à la concurrence, au marché intérieur et à l'énergie". Ce qui ne faisait guère de doute.

… mais des éléments encore à préciser

Pour autant, les sénateurs estiment que certaines précisions et/ou assurances doivent encore être données.

Ils plaident ainsi pour que la Cour des comptes évalue l'impact financier d'un tel changement, et pour que le Conseil d'État éprouve sa robustesse technique. 

Ils préconisent encore "de ne légiférer qu'en possession d'une lettre de confort de la Commission européenne, garantissant la compatibilité du changement de régime avec le droit de l'UE". Même si une telle lettre resterait sans doute de peu d'effet devant la Cour de justice de l'Union dans le cas d'un nouveau contentieux.

En outre, s'agissant du transfert de propriété des ouvrages hydroélectriques, les rapporteurs proposent "trois garde-fous" : garantir la juste évaluation des indemnités de résiliation des contrats de concession et des prix de cession de ces ouvrages par une commission d’experts indépendants ; prévoir la faculté pour l’État de s’opposer à la cession de ces ouvrages, et s'assurer d'un "haut niveau de contrôle" par ce dernier de l’organisation et de l’exploitation de ces ouvrages ; préserver le statut national des personnels des IEG sur ces ouvrages.

Concernant la contrepartie au maintien des exploitants historiques, si les rapporteurs appuient son encadrement par la CRE, ils estiment qu'elle doit laisser inchangée la gestion opérationnelle des installations hydrauliques par leurs propriétaires. Enfin, ils considèrent qu'elle doit être restreinte à une part temporaire et limitée de la commercialisation de l’électricité issue des installations hydrauliques.

Profiter de l'occasion…

Les sénateurs proposent également de profiter de l'occasion pour faciliter la mise en œuvre des projets hydrauliques. D'abord en consolidant les compétences du ministre chargé de l'énergie. Ensuite en appliquant à l'ensemble des installations hydrauliques les deux "novations sénatoriales" introduites par la loi Climat en faveur de la "petite hydroélectricité" : le médiateur (dont la mission a déjà été étendue par la loi Aper – lire notre article) et le portail national de l'hydroélectricité. Enfin en veillant à l'absence de surtransposition dans l'application des règles relatives à la continuité écologique des cours d'eau, sujet toujours sensible (lire notre article du 8 juillet 2022).

Ils proposent en outre de mieux associer les collectivités à ces projets. D'une part, "en préservant la perception de leurs redevances, en privilégiant le dispositif calqué sur les concessions non échues, c’est-à-dire excluant tout revenu normatif et tout prix cible, qui leur est le plus favorable". D’autre part, en consolidant la gouvernance tripartite de l’eau entre l’État, les collectivités territoriales et les exploitants hydrauliques, notamment dans la révision des cahiers des charges, lesquels devraient en outre "mieux intégrer la résilience au changement climatique".

Les rapporteurs plaident encore pour que ce changement soit pris en compte dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui finira bien par être adoptée un jour. Ils suggèrent notamment d'y fixer comme objectif l'atteinte d'une capacité hydroélectrique de 29 GW d’ici 2035 - elle était de 25,68 GW en 2023, selon France Hydroélectricité, 25,9 selon le projet de PPE mis en consultation en mars dernier (lire notre article), lequel prévoit une augmentation des capacités installées de 2,8 GW à horizon 2035.

… et de la proposition de loi Gremillet

Enfin, les sénateurs proposent que ce passage au régime d'autorisation – "l'option la plus consensuelle", insiste le corapporteur Daniel Gremillet – soit assuré, via amendement, dès l'examen en 2electure par l'Assemblée de la proposition de loi de programmation énergétique et de simplification normative [dite loi Gremillet], "véhicule législatif le plus rapide et le plus aisé à faire prospérer". Le sénateur Gremillet rappelle d'ailleurs qu'un tel changement de régime avait été présenté par le Sénat, "à titre expérimental", dans ce texte, que la Chambre Haute a adopté en première lecture le 16 octobre 2024 (lire notre article) et en deuxième lecture, le 8 juillet", dans une version délestée (lire notre article). 

La solution paraît envisageable, les députés ayant eux-mêmes récemment suggéré d'approfondir la piste du régime d'autorisation "pour sortir de l'impasse" (lire notre article du 15 mai). Ne reste plus qu'à trouver un gouvernement, et une majorité à l'Assemblée pour adopter un texte controversé, rejeté en 1re lecture par les députés le 24 juin dernier (lire notre article).

 

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