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Création d'une commune nouvelle : attention à bien évaluer toutes les conséquences !

La sixième Rencontre des communes nouvelles, que l'Association des maires de France (AMF) a organisée ce 6 octobre, a été entre autres l'occasion d'attirer l'attention des élus locaux sur les "effets de seuil" liés aux regroupements. En changeant d'échelle, les communes se voient appliquer de nouvelles obligations, en matière de logements sociaux par exemple. Des contraintes qui n'ont pas toujours été anticipées par les communes nouvelles déjà en place. À l'heure où, ici et là, de nouveaux projets de communes nouvelles semblent mûrir, un guide AMF-Territoires Conseils présenté à l'occasion de l'événement, vise justement à accompagner les élus locaux.

En se regroupant, les communes disposent de davantage de moyens, notamment pour pouvoir maintenir et développer les services à la population. L'Association des maires de France (AMF) a une nouvelle fois défendu cette idée, lors de la sixième Rencontre nationale des communes nouvelles, qu'elle a organisée ce 6 octobre en visioconférence et qui a réuni quelque 80 participants. Mais les maires de communes nouvelles qui avaient vu le jour au cours du mandat précédent ont mis en garde leurs collègues tentés par l'aventure, contre les "mauvaises surprises" ou plus largement certains inconvénients qui peuvent se présenter après la création de la nouvelle collectivité.
Ces désagréments sont souvent liés aux "effets de seuil" : le regroupement des communes conduit le nouvel ensemble à changer de strate démographique et donc à être soumis à de nouvelles obligations. Celles-ci concernent par exemple la construction de 20% ou 25% de logements sociaux dans les communes de plus de 3.500 habitants (et même 1.500 habitants en Ile-de-France), appartenant à une agglomération ou une intercommunalité répondant à certains critères. Créée le 1er janvier 2019, la commune nouvelle de Porte-de-Savoie (3.800 habitants) est visée par ces obligations. Mais son maire, Franck Villand ne l'a appris que fin 2020, par un courrier des services de l'État. Il déplore que le sujet n'ait jamais été évoqué avec l'État durant les préparatifs de la commune nouvelle. "C'est une bombe atomique qu'on a posée au milieu de la cour de la commune", témoigne l'édile, qui ne cache pas sa colère. Du fait de sa taille, la collectivité devra passer de 12,5% de logements sociaux à 20%, ce qui implique la construction de 120 logements (à population inchangée). "C'est un vrai point de vigilance pour les collègues des communes des zones agglomérées", a alerté le maire de Porte-de-Savoie.

Des dotations en moins

Parce qu'elle induit un changement de taille démographique, la commune nouvelle peut aussi conduire la collectivité à perdre le bénéfice de certains dispositifs. La commune de Brissac Loire Aubance (Maine-et-Loire) s'apprête à connaître cette mésaventure. Avec ses dix communes formant un territoire de 120 km2, elle compte un peu plus de 10.800 habitants. Au départ, la commune nouvelle bénéficiait d'un montant garanti de dotation de solidarité rurale (DSR), mais la loi de finances pour 2018 a rebattu les cartes. À partir de 2023, la commune devra renoncer à cette dotation de 507.000 euros par an. Sylvie Sourisseau, maire de la commune, "ne le vit pas très bien", car ce trou dans le budget "aura un impact sur les investissements prévus".
D'autres communes ont pu perdre la dotation élu local dès la première année d’existence, parce que avec les regroupements, leur "population DGF" a dépassé 1.000 habitants, pointe un guide pratique sur la création des communes nouvelles, que l'AMF a élaboré en partenariat avec Territoires Conseils (un service de la Banque des Territoires), et qui a été dévoilé à l'occasion de la Rencontre.
Les effets de seuil sont nombreux et concernent divers sujets listés par le guide : obligation d’une note explicative adressée aux conseillers municipaux dans les communes de 3.500 habitants, mise en place d'aires d'accueil des gens du voyage dans les communes de plus de 5.000 habitants, obligations quant à l'emploi de travailleurs en situation de handicap dans les communes de plus de 20 agents… 
Pour sa part, Michel Lafont, maire de Thue et Mue (Calvados) a déploré que la création de sa commune nouvelle en 2017 se soit traduite par un recul du service fourni par l'Insee. "Pour le pilotage du territoire, on a besoin de travailler dans la spécificité", a-t-il dit. Or, l'institut en charge de la statistique publique ne communique plus des données que pour la commune nouvelle, et non plus pour les six communes préexistantes.

Réaliser une étude d'impact

"Certains préfets ont une vision assez souple en autorisant une évolution progressive, et n'exigent pas immédiatement une mise en conformité" avec les nouvelles obligations qui incombent à la nouvelle commune, lorsque celle-ci a franchi un seuil, a nuancé le maire de Baugé-en-Anjou et co-président du groupe de travail "communes nouvelles" de l'AMF, Philippe Chalopin. 
Afin d'anticiper notamment les impacts liés à un changement d'échelle de la collectivité, il convient que les élus locaux "prennent le temps" d'effectuer "un travail d'analyse préalable", a insisté de son côté Stanislas Bourron, directeur général des collectivités locales, en clôture de la Rencontre. Il faut "évaluer les économies possibles à moyen terme et les surcoûts à court terme", a-t-il dit. Dans cette perspective et "dans la mesure du possible", les services de l'État apporteront leur expertise aux élus locaux qui oeuvrent à des projets de communes nouvelles.
Il reste que "la commune nouvelle est spécifique" et que "l'État doit l'entendre", a estimé Philippe Chalopin. Les obligations concernant par exemple la construction de logements sociaux ne peuvent pas s'appliquer de la même manière aux "agglomérations rurales" et "aux agglomérations urbaines", car "les enjeux" et "les difficultés" auxquels ces deux types de territoires ont à faire face, diffèrent. "Il ne s'agit pas d'avoir des dérogations", mais de "prendre en compte cette particularité de la commune nouvelle", lorsqu'elle correspond à "une commune agglomérée en milieu rural", a déclaré pour sa part Jean-Marc Vasse, maire de Terres-de-Caux (Seine-Maritime), maire référent pour l’accompagnement du mouvement des communes nouvelles à l’AMF. En concluant : "Il faut qu'on fasse bouger la loi quand elle est mal écrite."

"Les maires attendent de la visibilité"

Le directeur général des collectivités locales a déclaré qu'il avait "bien noté les différentes questions" mises sur la table. En assurant qu'elles seraient "instruites avec beaucoup d'attention en lien avec les cabinets des ministres". "Dans la mesure de ce qui est possible, on pourra regarder des solutions si elles sont envisageables", a-t-il assuré. Mais il n'a pas été favorable à de nouvelles modifications de la législation sur les communes nouvelles. "En moins de dix ans, un grand nombre de textes sont intervenus sur ce dispositif" et les derniers "datent de 18 mois". Ainsi, au nom de la "lisibilité" et de la "visibilité" attendues par les porteurs de projets de communes nouvelles, l'administration de l'État n'entend pas, par exemple, toucher à la dotation d'amorçage de 6 euros par habitant de la commune nouvelle, qui est versée pendant trois ans. Aucune augmentation n'est donc en vue.
Les maires sont donc prévenus : a priori, il n'y aura pas d'incitations financières supplémentaires en 2022 pour les communes nouvelles. L'État ne semble pas être inquiet par le nombre de nouveaux projets, qui demeure très modeste : après deux exercices (2020 et 2021) quasi-blancs, seuls quatre arrêtés ont été "lancés" pour la création de communes nouvelles en 2022. La crise du Covid-19 n'a pas été propice à la préparation de projets, a pointé Stanislas Bourron. Qui s'attend toutefois à un nouvel essor en "milieu" et en "fin" de mandat municipal.
L'AMF recense de son côté "une dizaine de projets identifiés" et anticipe, "si tout se passe bien", la création d'"une cinquantaine de communes nouvelles à la fin de l'année". Le rythme des créations devrait être plus rapide à partir de 2023, estime l'association.