Crise Covid, crise énergétique : deux crises, deux modalités de réponse des régions

Lors de la crise Covid, les régions ont lancé des fonds de résilience et autres dispositifs pour aider les entreprises. Difficile pour elles cette fois-ci de faire face au "mur énergétique" que subissent les entreprises. Mais ces collectivités tentent tant bien que mal de financer des diagnostics énergétiques et d'autres mesures, à plus long terme, pour favoriser la transition énergétique des acteurs économiques.

Les augmentations des factures énergétiques commencent à mettre en difficulté les entreprises françaises. "2023 promet d'être un vrai mur énergétique pour les entreprises, notamment industrielles car ce sont elles qui portent le poids du coût de l'énergie le plus important, prévient ainsi Florence Naillat, déléguée générale adjointe du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), on aura des conséquences en cascade sur l'ensemble de la chaîne économique, fournisseurs, sous-traitants, entreprises du commerce et des services, un véritable effet domino au sein du tissu économique". Le baromètre du financement des ETI réalisé début septembre 2022 par le METI indique ainsi qu'une ETI sur deux anticipe une augmentation de sa facture énergétique de plus de 50% en 2022 par rapport à 2021, et de plus de 100% en 2023. Pour plus de 70% des ETI, les difficultés conjoncturelles ont un impact sur leurs projets d'investissement. Et si les hausses des prix énergétiques persistent ou s'amplifient, 53,5% des ETI risquent de devoir diminuer leur activité et 7% de l'arrêter.

Des chefs d'entreprise démunis face à des hausses spectaculaires

Même son de cloche du côté de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF). "Les trois quarts de nos adhérents connaissent une baisse d'excédent brut d'exploitation, ce n'est pas bon signe du tout, cela indique une perte de rentabilité et des tensions de trésorerie, qui s'ajoutent aux difficultés de remboursement des PGE, explique à Localtis Jeanne Lemoine, vice-présidente de la FEEF. 22% des entreprises ont procédé à des licenciements, 37% prévoient des gels des embauches en 2023 et 39% envisagent une réduction de leur gamme de produits. Alors qu'on était rentré dans un mouvement très net de réindustrialisation, on va retomber dans le sens inverse, avec une désindustrialisation". Dans le Grand Est, fortement impacté par ces hausses, l'inquiétude est aussi de mise. "On sent les chefs d'entreprise complètement démunis face à des hausses spectaculaires, en Alsace, on a un cas d'entreprise qui a vu sa facture multipliée par 15 !", signale Jean-Paul Hasseler, conseiller régional et président de la CCI Grand Est.

D'après France Industrie, l'augmentation des prix de l'électricité et du gaz devrait conduire pour le quatrième trimestre à une réduction de 10% de la production industrielle.

Si on se réfère à l'étude de l'Insee qui analyse les consommations d'énergie dans l'industrie, les filières les plus impactées sont l'industrie chimique, la métallurgie et la fabrication de produits métalliques, puis l'industrie agroalimentaire. Côté répartition géographique, les régions où la consommation d'énergie est la plus forte sont les Hauts-de-France, les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Normandie et Nouvelle-Aquitaine.

Une charte de bonne conduite

L'Etat tente d'éteindre l'incendie, en négociant avec les fournisseurs d'énergie. Ils ont ainsi signé une charte de bonne conduite le 5 octobre (voir notre article du 5 octobre 2022), prévoyant qu'ils proposent au moins un contrat pour chaque entreprise ou collectivité qui le demande. "Qu'est-ce que cela veut dire ? questionne Jeanne Lemoine, nous n'avons pas vu de choses précises, on est encore dans le flou !" L'aide d'urgence "gaz et électricité" mise en œuvre pour les entreprises les plus impactées, en vigueur mais encore très peu utilisée, doit être prochainement simplifiée. L'Etat cherche aussi au niveau européen à mettre en route un mécanisme pour découpler le prix du gaz de celui de l'électricité, à l'image de ce qu'a fait l'Espagne.

Lors de la crise Covid, les régions étaient vite montées au créneau, mettant en place des dispositifs locaux qui venaient s'ajouter au soutien de l'Etat comme les 22 mesures d'urgence votées en Occitanie dès le printemps 2020 pour un montant de près de 394 millions d'euros dont 316 au profit des entreprises, ou les fonds "résilience" ou "résistance", reposant sur des avances remboursables et un partenariat entre la région, les départements, les intercommunalités et la Banque des Territoires. Cette fois-ci, pas la trace d'un fonds ou d'un dispositif pour aider les entreprises.

"Les régions n'ont pas les moyens"

"Autant en période Covid, une collectivité pouvait prendre des dispositions, aider les petits commerçants, mais il s'agissait de sommes qui restaient à leur dimension, détaille Jeanne Lemoine, on est aujourd'hui dans des sommes qui varient entre un et quatre millions d'euros, qu'est-ce que vous voulez que les collectivités fassent face à cela ?"

Même constat du côté du METI. "Pour une seule ETI, on parle de plusieurs millions d'euros par an, c'est considérable", souligne Florence Naillat. En Nouvelle-Aquitaine, on rappelle les marges de manœuvre de la région, considérées comme limitées : 3 milliards d'euros, à comparer aux 311 milliards du côté de l'Etat en 2022, sachant qu'en plus une région ne peut avoir un budget en déficit. Pour la région, seule l'Union européenne et l'Etat français sont en capacité d'agir en matière de bouclier tarifaire.

Régions de France est sur la même ligne. "Les régions n'ont pas de prise, elles n'ont pas les moyens, assure ainsi l'association, elles ne sont pas en capacité et ce n'est pas leur rôle."

En outre, les collectivités subissent aussi les conséquences de l'augmentation de leur propre facture d'énergie. Sur ces points, les choses avancent. Le gouvernement a annoncé début octobre la possibilité pour les collectivités de bénéficier du "filet de sécurité" prévu par la dernière loi de finances rectificative pour faire face à l'augmentation de leurs dépenses d'énergie et d'alimentation (voir notre article du 5 octobre 2022). D'autres mesures devraient être prises pour les collectivités les plus exposées.

Diagnostics et investissement pour favoriser la transition énergétique des entreprises

Mais cela ne veut pas dire que les régions baissent pour autant les bras. Elles travaillent sur les actions à moyen et long termes, comme le dispositif d'accompagnement mis en place par la Nouvelle-Aquitaine pour aider les entreprises à s'engager dans un contrat d'achat d'électricité renouvelable et locale en circuit court. L'objectif est de les accompagner dans l'élaboration d'un contrat de gré à gré, une contractualisation directe avec un producteur d'énergie solaire photovoltaïque pour garantir un prix compétitif (60 à 70 euros par MWh) et stable sur une durée longue (de 10 à 15 ans). Cela peut couvrir jusqu'à 20% de la facture énergétique.

Les régions expérimentent aussi des solutions comme en Grand Est, où la CCI fait intervenir des acheteurs indépendants à temps partiel pour aider les entreprises à renégocier leurs contrats. Financé par les CCI, l'Etat et la région, le dispositif est en cours de lancement. "Des professionnels vont être payés pour intervenir pour notre compte, explique Jean-Paul Hasseler, nous en avons déjà recruté presque une vingtaine". Autre initiative en test à la CCI des Vosges : le groupement d'achat d'énergie. "Nous fonctionnons avec un prestataire spécialisé, lancé il y a dix jours, on a déjà 200 entreprises intéressées, détaille Jean-Paul Hasseler, si le test est positif, on l'étendra à toute la région". La CCI déploie aussi la campagne lancée par CCI France pour favoriser la sobriété énergétique, en complément du plan présenté au niveau national le 6 octobre. "Pendant le Covid, on a contacté 3.500 entreprises, on va refaire pareil sur cette partie consacrée à l'information et à la sensibilisation", assure le président de la CCI Grand Est.

Les régions mettent aussi en œuvre des diagnostics. En région Grand Est, c'est la CCI qui se charge de ces diagnostics qui sont réalisés in situ ou en ligne. Après deux jours de visite, et à partir des factures énergétiques, la CCI élabore des premières recommandations, avec un véritable plan d'actions et une batterie de conseils en termes d'accompagnement et de financement. "Ces diagnostics marchent bien", assure-t-on à Régions de France, qui rappelle aussi la montée en puissance des régions en matière d'investissement dans les énergies renouvelables et la décarbonation, à travers le soutien à des projets d'infrastructures verts et des projets industriels. Groupe de travail sur l'hydrogène, développement d'un écosystème autour des batteries du futur pour l'automobile, recyclage des batteries… la région Nouvelle-Aquitaine tente ainsi à moyen et long termes de favoriser la transition énergétique.

 

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