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Cour des comptes - Soutien aux entreprises : un "enchevêtrement" pendant la crise

A partir de l'exemple de l'Occitanie, la Cour des comptes rappelle à l'ordre les départements qui ont cherché à contourner leurs compétences pour soutenir les entreprises pendant la crise. Au moment de la relance, elle leur demande de rentrer dans les clous.

L’encre du projet de loi "3DS" n’est pas encore sèche que la Cour des comptes relance, à ses dépens, le débat sur la répartition des compétences. Dans un chapitre de son rapport annuel pour 2022 consacré aux interventions économiques des collectivités, prenant l’exemple de l’Occitanie, elle pointe un "enchevêtrement" des compétences, une "coordination laborieuse", des "redondances", le tout pour une "inégale efficacité".  Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire aux intéressées qui ont surtout cherché à pallier l’urgence, dans le contexte des fermetures administratives.
Une des régions les plus durement touchées par la crise sanitaire, notamment en raison du poids de la filière aéronautique, l’Occitanie est aussi l’une de celles où les collectivités se sont le plus mobilisées. Dès le printemps 2020, pas moins de 22 mesures d’urgence avaient été votées par l’assemblée régionale pour un montant de près de 394 millions d’euros dont 316 au profit des entreprises, en complémentarité avec le Fonds national de solidarité (FSN) cofinancé par l’Etat et les régions (la région Occitanie y a contribué à hauteur de 36,7 millions d’euros). L’une des mesures les plus emblématiques a été la constitution du fonds L’Occal : un fonds d’urgence financé par la région, la Banque des Territoires, 12 départements (sur 13) et 140 Intercommunalités, destiné aux entreprises du tourisme, aux commerces de proximité et aux artisans. Un partenariat inédit qui avait été initié peu de temps avant par la région Grand Est afin de compléter l’action de l’Etat, imitée ensuite dans la totalité des régions avec des fonds baptisés tantôt "Résilience" ou "Résistance" (voir notre article du 7 avril 2020). Ces fonds reposaient d’ailleurs essentiellement sur des avances remboursables et non des aides directes, comme le fonds de solidarité.

54% de l'enveloppe consommée

Mais dans son rapport annuel, la Cour des comptes s’étonne de la faible consommation du fonds L’Occal : au mois de juillet 2021, il avait apporté une aide à 16.110 entreprises (sous la forme d’avances remboursables, de subventions d’investissement et de paiements de loyers) pour un montant total de 32 millions d’euros. Soit 54% de l’enveloppe initialement prévue. Les interventions lui paraissent limitées au regard des quelque 2,9 milliards d’euros que l’Etat a déboursés pour l’économie régionale à travers le fonds de solidarité (soit 9% du montant national). 67.800 entreprises occitanes en ont bénéficié. Surtout, les magistrats s’interrogent sur l’intervention économique des départements, dont ce n’est plus le rôle depuis la loi Notre de 2015, que ce soit pour créer leur propre fonds d'urgence ou pour abonder le fonds L'Occal. Pour éviter les dispersions, le gouvernement avait justement prévu, dans une ordonnance du 25 mars 2020, que le FSN puisse être abondé "sur une base volontaire par les régions, […] et toute autre collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre", rappelle le rapport. Puis, dans une circulaire du 5 mai 2020 (voir notre article du 14 mai 2020), il avait rappelé que les départements ne pouvaient se substituer à l’action des régions dans le domaine du soutien économique, "ni financer les dispositifs régionaux créés à l’occasion de la crise sanitaire".

Ainsi, malgré la volonté de l’Etat d’unifier les interventions au sein du fonds national, la Cour déplore la volonté des collectivités d’avoir voulu créer leurs propres dispositifs. "C’est ainsi que 12 des 13 départements d’Occitanie se sont placés de facto en dehors du champ de compétence défini par la loi Notre en finançant le fonds régional L’Occal", déplore-t-elle. On se souvient que les collectivités voulaient surtout une sorte de "retour sur investissement" et reprochaient au fonds national de solidarité une dilution de leurs crédits dans la masse, sans retombées locales. C’est pourquoi le gouvernement avait cherché par la suite à en "territorialiser" une partie, sans grand succès (voir notre article du 22 juin 2020). Pour la rue Cambon, certains départements ont donc profité des imprécisions de la loi Notre pour intervenir. Si la crise n’a pas conduit à une dégradation de la situation financière des collectivités, la phase de relance actuelle appelle de leur part une "vigilance". "Elles devront ainsi veiller à obtenir le remboursement des avances et prêts consentis", insiste la Cour. Toutefois, il faudra "surveiller la capacité de remboursement" des entreprises et recourir, le cas échéant, à des provisions. Elle recommande d’ "organiser, en lien avec les départements contributeurs, le reversement des participations au fonds L’Occal qui n’ont pas été consommées sur leur territoire".

"Réflexes d'un Etat jacobin"

Ces remarques ont moyennement été appréciées par les différentes associations d’élus. A commencer par l’Assemblée des départements de France (ADF) dont le président François Sauvadet regrette "les réflexes d'un État jacobin qui demande aux collectivités d'abonder sa politique, même si celle-ci ne relève pas de leurs compétences, et qui leur reproche leurs initiatives locales pour faire face à des situations exceptionnelles". "Il est décidément grand temps d'entrer dans une nouvelle phase de décentralisation volontariste basée sur la confiance et l'intelligence territoriale", plaide-t-il. Le président d'Intercommunalités de France Sébastien Martin estime quant à lui que les dispositifs d’urgence mis en place "dans des délais extrêmement contraints" ont pu "répondre à des besoins d’une extrême hétérogénéité". "Pour ma part, en pleine responsabilité, je ne me suis pas longtemps posé la question de savoir si l’urgence de l’achat de 10 millions de masques sanitaires destinés à protéger les soignants ou les lycéens de l’Occitanie était compatible avec les compétences régionales en matière de santé publique", tacle Carole Delga, la présidente de la région, avant d'évoquer les "défaillances" de l'Etat.

 

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