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Droit au logement - Dalo : le Conseil économique et social juge la mobilisation des collectivités "insuffisante"

Le Conseil économique, social et environnemental a adopté, dans sa session des 14 et 15 septembre, le rapport et le projet d'avis consacré à "l'évaluation relative à la mise en oeuvre du chapitre Ier de la loi instituant le droit au logement opposable". Le bilan qu'il en dresse confirme l'intérêt du dispositif, tout en soulignant les améliorations à apporter et auxquelles les collectivités devraient prendre toute leur part.

Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur "l'évaluation relative à la mise en oeuvre du chapitre Ier de la loi instituant le droit au logement opposable" (Dalo) revêt un caractère particulier. Il ne s'agit pas d'une autosaisine du Cese, mais d'une obligation prévue par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, et dont l'article 12 précise : "Avant le 1er octobre 2010, le Conseil économique et social remet au président de la République et au Parlement un rapport d'évaluation relatif à la mise en oeuvre du chapitre Ier de la présente loi."

"Un pas important dans le progrès social par le logement"

L'avis adopté par le Cese souligne l'importance de la loi de 2007, "un texte qui a fait franchir à la France un pas important dans le progrès social par le logement". Ainsi que l'indique le conseil, "le droit au logement existe en France aujourd'hui et il a une traduction réelle grâce au recours juridictionnel dont il est assorti". Au-delà de ce satisfecit - et tout en précisant que "la question n'est pas de remettre en cause la loi, ni de bouleverser le dispositif actuel" -, l'avis et le rapport soulignent néanmoins les difficultés que rencontre encore la mise en oeuvre effective du droit au logement. Il pointe en particulier les trois obstacles principaux. Le premier - "le plus évident" et déjà bien connu - tient à l'insuffisance de l'offre de logements sociaux dans les zones tendues (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nord-Pas-de-Calais) et dans les départements d'outre-mer.

Le second vise en revanche très directement les collectivités territoriales. L'avis du Cese estime en effet que "la responsabilisation des collectivités territoriales et la mobilisation des moyens dont elles disposent sont insuffisantes", puisque seul le préfet est responsable de l'application du Dalo. Le rapport se montre également critique sur une gouvernance locale jugée "inadaptée". Après avoir rappelé les hésitations et les contradictions de la décentralisation en matière de foncier, d'urbanisme et de logement, le rapport s'étonne que l'intercommunalité - désormais appelée à jouer un rôle central en la matière - soit la moins développée précisément là où les enjeux de l'accès au logement sont les plus lourds, à commencer par l'Ile-de-France, qui "cultive son retard" en la matière. Dans le même ordre d'idée, le rapport pointe le manque de maîtrise du foncier utilisable pour le logement social. Malgré l'existence d'un certain nombre d'outils jugés efficaces mais peu utilisés - comme l'établissement public foncier ou le droit de préemption urbain -, la compétition entre les différents usages potentiels de l'espace pénalise "lourdement" le logement social, "dont les opérations sont les plus difficiles à équilibrer". Rejoignant en cela la position du Conseil d'Etat dans son rapport sur le droit au logement (voir notre article ci-contre du 11 juin 2009) - sur lequel le rapporteur s'appuie beaucoup -, le Cese regrette lui aussi "la quasi-disparition, depuis une vingtaine d'années, de l'urbanisme opérationnel, particulièrement du recours aux ZAC, pour réaliser des logements en grande quantité".

Le troisième obstacle majeur à la généralisation du droit au logement réside dans "le manque d'impact de la condamnation de l'Etat". Le Cese estime en effet que "le versement par l'Etat d'une somme, accordée par le tribunal administratif, à un fonds géré par l'Etat constitue certes une stigmatisation de l'action d'un préfet, qui n'a pas toujours les moyens de faire davantage, mais conserve un caractère symbolique plus qu'opératoire".

Vers une compétence intercommunale obligatoire ? 

Face à ces obstacles principaux - et à d'autres, de moindre portée, évoqués par le rapport -, le Cese préconise une stratégie en deux volets présentant chacun une temporalité spécifique. A moyen et long terme, la stratégie consiste à réorienter la politique du logement vers le développement de l'offre accessible. A court terme, l'enjeu est de mettre en place une "réponse opérationnelle à l'urgence" en renforçant les moyens permettant de faire face rapidement aux besoins des bénéficiaires du Dalo reconnus par les commissions départementales. Sur chacun de ces deux grands axes, l'avis et le rapport mêlent des propositions originales et des figures plus convenues.

Sur le premier axe stratégique, le Cese propose ainsi de taxer le stock de terrains nus constructibles afin de financer le logement social. Cette taxe - assise sur la valeur vénale des terrains et assortie d'un taux "très faible (sous réserve d'une révision préalable des valeurs cadastrales)" - serait versée aux collectivités et intercommunalités compétentes. Pour les cessions de terrains à bâtir, le Cese propose d'imposer les plus-values au titre de l'impôt sur le revenu et sous la forme d'une taxation progressive complémentaire de 3% à partir de la sixième année et jusqu'à la quinzième (soit, par rapport au système actuel, une sorte de "malus" croissant pour les terrains non mis en vente au-delà de cinq ans).

En termes de gouvernance par les collectivités - et pour sortir de l'actuel enchevêtrement des responsabilités et des dispositifs -, l'avis estime que "la compétence logement, cadre de vie et urbanisme doit devenir une compétence obligatoire dans les communautés de communes situées dans les zones tendues que le Dalo a révélées". Une mesure de généralisation qui ne peut passer que par une loi et pourrait poser quelques problèmes de constitutionnalité. Dans le cas particulier de l'Ile-de-France, le Cese propose la création d'un opérateur régional sous la forme d'un "Syndicat du logement d'Ile-de-France", qui lorgne ouvertement sur le modèle du Syndicat des transports d'Ile-de-France.

Les autres propositions sur ce premier axe sont plus traditionnelles, à l'image de l'appel à une "orientation stratégique claire" pour la politique publique de logement, du plaidoyer pour "des règles lisibles et pérennes pour la définition des aides publiques à l'investissement" ou de la proposition d'un nouveau plan de cohésion sociale 2011-2015.

Urgence : après les plafonds, les planchers 

Cette dichotomie dans les propositions se retrouve sur le second axe stratégique, consacré à la réponse opérationnelle à l'urgence. Ainsi, la proposition consistant à se doter d'indicateurs "transparents et fiables" sur le logement et le mal-logement est déjà largement engagée avec le travail sur les statistiques lancé par le ministère et la mise en place du numéro unique pour les demandeurs de logement social. Plusieurs autres propositions consistent à mieux mobiliser des dispositifs existants, comme en matière de prévention des expulsions ou de soutien aux familles modestes pour accéder à la propriété afin de libérer des logements sociaux.

Certaines propositions sont en revanche plus originales. C'est le cas, notamment, de la prise de position du Cese sur la réquisition. L'avis se prononce, en effet, en faveur du lancement des études nécessaires à la mise sur pied d'un "programme de réquisition", limité toutefois à l'Ile-de-France. Dans le même esprit, le conseil se déclare favorable à un renforcement des sanctions de l'article 55 de la loi SRU (pour les communes qui n'atteignent pas le quota de 20% de logements sociaux et/ou ne respectent pas leurs engagements en matière de construction). Selon le Cese, ces sanctions pourraient être "augmentées sans être bouleversées", mais avec un mécanisme qui semble quelque peu complexe.

Autre piste intéressante : alors que la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009 (loi Molle) a revu les plafonds d'accès ou de maintien dans le logement social, le Cese propose de s'attaquer désormais aux "planchers d'accès". Si de tels planchers n'existent pas officiellement, le rapport rappelle que les minima de ressources sont laissés au libre choix des bailleurs sociaux et que "ceci leur permet de s'opposer à l'entrée des familles prioritaires dans un logement social". Le Cese propose donc que l'Etat interdise cette pratique, une position contraire à celle développée par le Conseil général des Ponts dans un rapport récent (voir notre article ci-contre du 7 juin 2010). Enfin, on signalera la suggestion de mise en place d'un dispositif assurantiel systématique qui - à l'image de la garantie des risques locatifs (GRL) pour les propriétaires bailleurs - sécuriserait les projets d'accession à la propriété des ménages à revenus modestes et les protégerait notamment des risques liés à la précarisation du travail, à l'origine d'un certain nombre de situations relevant du Dalo. Au final, les travaux du Cese confortent l'image qui se dégage progressivement de la mise en place du Dalo : un dispositif utile et justifié, mais qui reste encore largement perfectible...

 

Jean-Noël Escudié / PCA