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Education - De l'art délicat du tarif de cantine

Depuis le 1er janvier 2011, la région Ile-de-France teste de nouveaux tarifs de la demi-pension dans une vingtaine de ses lycées. L'objectif de cette expérimentation ? Faciliter l'accès à la cantine scolaire à tous les lycéens, en particulier des milieux modestes. Le nouveau barème, fondé sur le quotient familial, a vocation à s'appliquer à terme à tous les lycées franciliens. Il a été construit  après une recherche comparative menée par des chercheurs de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France (IAU). Cette étude vient d'être rendue publique et elle devrait intéresser les collectivités qui s'interrogent sur l'efficacité de leurs aides sociales à la restauration scolaire. Car au coeur de ce travail est une question délicate : comment aider ni trop, ni trop peu les familles les plus pauvres à faire manger leurs enfants à la cantine ? Avec pour corollaire celle-ci : comment discriminer entre les pauvres et les moins pauvres ?

La loi laisse une vraie marge de manoeuvre aux acteurs locaux

Depuis 1996, la région Ile-de-France apporte une aide à la demi-pension pour les lycéens. Cette aide est versée aux lycées, qui sont chargés de la répartir comme ils l'entendent. Afin d'éviter de trop fortes divergences entre les établissements, la région recommande depuis 2003 l'adoption d'un barème fondé sur le quotient familial fiscal des familles. Cependant, dans la pratique, de très fortes inégalités demeurent entre les établissements : personne n'a le même mode de calcul, les mêmes tranches de population, le même niveau d'aides, etc.
La loi du 13 août 2004, en confiant aux départements et aux régions la responsabilité de la restauration des collèges et des lycées, a modifié le cadre juridique de ces aides. Pris en application de cette loi, le décret du 29 juin 2006 relatif au prix de la restauration scolaire pour les élèves de l'enseignement public supprime l'encadrement des tarifs par l'Etat et transfère les pouvoirs en matière de tarification aux collectivités locales en charges des établissements. A ce cadre fixé par la loi du 13 août 2004 s'ajoute le principe posé par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998 : les tarifs sont fixés en fonction des revenus et de la taille des ménages, et ne peuvent jamais dépasser le coût individuel de la prestation. Ce cadre législatif et réglementaire laisse  cependant une marge de manoeuvre importante aux établissements.

Que font les collèges et lycées d'Ile-de-France ?

Afin d'élaborer un barème unique le plus adapté possible, les chercheurs de l'IAU ont dressé un état des lieux des pratiques des lycées et des collèges des départements franciliens. Ils soulignent la très forte hétérogénéité tant des barèmes que de la fréquentation des cantines dans ces territoires. Deux types de barèmes coexistent : ceux fondés sur les parts de bourse, ceux fondés sur le quotient familial. Environ 60% des lycées ont adopté une répartition des aides au quotient familial. Un chiffre en hausse ces dernières années. Au total, environ un demi-pensionnaire lycéen sur cinq bénéficie des aides régionales.
Côté collèges, la diversité est plus grande encore. Avant même les transferts de compétence, trois départements avaient mis en place une aide à la demi-pension : le Val-de-Marne dès 1990, l'Essonne en 1996, les Hauts-de-Seine en 2000. La Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis ont défini leur propre politique en 2005, le Val-d'Oise en 2008 et Paris en 2010. Ainsi, peu à peu, tous les départements ont mis en place un tarif unique. Cependant, les conditions d'éligibilité aux aides ou aux tarifs réduits sont diverses, en particulier sur le critère social. Ainsi, en Seine-et-Marne sont aidées les familles dont le quotient familial fiscal est inférieur à 520 euros, alors qu'à Paris c'est le quotient familial CAF qui sert de référence, avec un plafond de 2.500 euros. Tous utilisent l'indicateur du quotient familial, mais le mode de calcul n'est pas homogène, de même que les barèmes d'aides ou grilles tarifaires adoptées localement. Le nombre de tranches varie de 3 à 8 selon les départements.
Cette diversité de barème, notent les chercheurs "reflète en partie les caractéristiques sociales des populations locales, mais résulte surtout de choix politiques": le département des Hauts-de-Seine - où le revenu moyen par unité de consommation est le plus élevé après Paris - , concentre davantage son aide sur les familles les plus défavorisées avec un plafond de quotient familial de 750 euros. C'est à Paris que l'étendue tarifaire est la plus grande : certaines familles paient 0,13 euro pour un repas, d'autres 5 euros.
Certains conseils généraux gèrent eux-mêmes l'instruction des dossiers (Essonne), d'autres la confient contre rémunération aux établissements (Seine-Saint-Denis), d'autres enfin la délèguent à un prestataire privé (Val-d'Oise).
La proportion de collégiens aidés est très variable : elle s'élève à 14% des demi-pensionnaires dans les Hauts-de-Seine contre 61% dans le 93. Même variabilité dans le niveau de fréquentation de la demi-pension : 7 collégiens sur 10 mangent à la cantine en Seine-et-Marne, contre seulement 5 sur 10 dans le Val-d'Oise.

Fréquentation des cantines de Seine-Saint-Denis : 35% des lycéens

Après ce tour d'horizon des différents systèmes tarifaires mis en place, les chercheurs tentent  d'estimer le niveau de richesse des familles franciliennes. Ils étudient également les déterminants de la fréquentation de la demi-pension. Cette fréquentation varie fortement d'un lycée à l'autre, de 10 % à 90% des élèves. Deux départements présentent des taux de fréquentation très faibles : le Val-d'Oise (54% soit 20 points de moins que les autres départements de la grande couronne) et la Seine-Saint-Denis (35% soit plus de 20 points de moins que les autres départements de la petite couronne). Sans surprise, l'origine sociale des élèves a un très fort impact : toutes choses égales par ailleurs, les enfants de cadres supérieurs sont deux fois plus nombreux à déjeuner au lycée que les enfants d'ouvriers ou de parents sans activité. Enfin, le lien entre la fréquentation de la demi-pension et les ressources des familles apparaît très clairement, même si des "effets de pairs" sont sensibles : lorsque les enfants d'ouvriers fréquentent des lycées bourgeois, ils mangent plus fréquemment à la cantine.
En conclusion de leur étude, les chercheurs proposent un barème. L'objectif est d'aider un lycéen sur deux, en prenant en compte le fait que l'adoption de tarifs incitatifs devrait entraîner une hausse de la fréquentation. Enfin, le rapport rappelle que trois régions ont déjà mis en place un tarif unique: Champagne-Ardenne, Bourgogne et Aquitaine. 

 

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