Déchets : un rapport sénatorial propose de recentrer les filières REP sur le principe du "pollueur-payeur"

Alors que le modèle des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) a été fragilisé par une succession de crises ces derniers mois, un rapport de la commission des finances du Sénat présenté ce 8 octobre formule sept recommandations afin de recentrer ces filières sur le principe du "pollueur-payeur". Parmi ses propositions : une diminution progressive des crédits du fonds Économie circulaire en France métropolitaine au profit d’un dispositif de prêt à taux zéro pour faciliter le financement de projets dont la rentabilité s’inscrit dans le long terme, un encadrement des provisions pour charges futures des filières REP qui devraient soutenir l’investissement à travers des appels à projets capacitaires qui seraient initiés par les éco-organismes.

Cinq ans après l’adoption de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec), le système des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) se trouve "pris en étau", constate la mission de contrôle de la commission des finances du Sénat sur le soutien de l’État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu’à l’économie circulaire, qui a remis ses conclusions ce 8 octobre. "D’un côté, le poids économique des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) devrait fortement augmenter dans les prochaines années : le montant des éco-contributions collectées par les éco-organismes doit ainsi passer de 2,3 milliards d’euros en 2024 à 8 milliards d’euros en 2029, souligne le rapport réalisé par Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine. De l’autre côté, le modèle des filières REP apparaît encore éminemment fragile, et les crises se sont en effet multipliées au cours des derniers mois."

"Soutenabilité économique" en question

L’actualité récente du secteur atteste de ces difficultés. La fédération Envie, groupe spécialisé dans l’économie sociale et solidaire, a ainsi assigné l’éco-organisme Écosystem en justice à la suite de la perte d’un appel d’offres qui pourrait menacer 1.000 emplois directs et indirects en son sein. En raison des difficultés rencontrées par la filière REP des produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB), le gouvernement a décidé d’un moratoire sur la filière. La filière de la collecte du textile est elle aussi entrée en crise l’été dernier après que l’entreprise Le Relais, qui met à disposition des bornes afin de favoriser le réemploi des vêtements, a accusé l’éco-organisme Refashion de ne pas lui reverser les éco-contributions.

"Au-delà de ces exemples, la soutenabilité économique de l’ensemble des filières REP soulève des interrogations", note la rapporteure spéciale qui s’interroge sur "la progression des subventions de l’État, malgré le développement des filières REP". Ces subventions, principalement à travers le fonds Économie circulaire, "ne sont pas censées recouper les domaines couverts par les filières, souligne Christine Lavarde. La création de nouvelles filières, et la montée en puissance de celles déjà existantes avec la loi Agec auraient donc dû en toute logique s’accompagner d’une diminution des subventions publiques, mais c’est le contraire qui a été observé sur les dernières années : les crédits consacrés à cette politique ont plus que doublé, passant de 175,9 millions d’euros en 2020 à 434,1 millions d’euros en 2024." Une implication de l’État qui doit être interrogée, estime la rapporteure spéciale, dès lors que la logique des filières REP repose sur une prise en charge par les producteurs eux-mêmes des externalités négatives provoquées par la production de déchets liés à la mise sur le marché de nouveaux produits. Soit l’application du principe du "pollueur-payeur" qui vise à responsabiliser les acteurs économiques.

La rapporteure spéciale propose ainsi de progressivement désengager l’État du soutien à l’économie circulaire, à l’exception des projets portés par les collectivités territoriales d’outre-mer, car les filières REP y sont peu développées. Les crédits du fonds Économie circulaire en France métropolitaine pourraient être peu à peu remplacés par un dispositif de prêt à taux zéro pour les projets à rentabilité longue.

Recyclage des plastiques : de faibles performances pénalisantes

Autre point noir souligné par Christine Lavarde : les faibles performances de la France en matière de recyclage des plastiques, qui la conduisent à payer une contribution importante à l’Union européenne. Établie pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l’UE, la "ressource propre plastique" est une taxe assise sur les déchets d’emballages plastiques qui n’ont pas été recyclés, rappelle-t-elle. "Cette taxe est souvent qualifiée d’’amende’, dans la mesure où elle est évitable : il est possible de réduire sa contribution en améliorant le taux de recyclage du plastique, souligne-t-elle. Or, la France est le premier contributeur européen de la ressource propre plastique en raison de sa faible performance dans le recyclage de ces matériaux."

En 2023, la France a ainsi payé 20% de l’ensemble du produit de la contribution. En comparaison, l’Allemagne a dépassé le taux de 50% des emballages plastiques recyclés en 2022, tandis qu’en France, la même année, cette proportion n’était que de 25,2%.

Trop de thésaurisation de la part des éco-organismes 

Alors que les éco-organismes disposent d’une "trésorerie abondante" (plus d’un milliard d’euros), la mission de contrôle sénatorial leur reproche de ne pas atteindre leurs objectifs. En 2023, 40% du gisement de déchets soumis à une REP échappait encore à la collecte, ce qui représentait 6,6 millions de tonnes de déchets, pointe-t-elle. Sur les huit filières qui disposent d’un objectif de collecte, seules trois l’ont accompli cette année, et une filière uniquement pour l’une de ses deux sous-catégories. Seules deux filières sur cinq ont atteints les objectifs de recyclage, poursuit-elle.

"Dans le même temps, le montant total des provisions pour charges futures atteignait un milliard d’euros au terme de l’exercice 2022 pour les 18 éco-organismes pour lesquels la donnée était disponible, ce qui représentait en moyenne 8,2 mois de leurs charges de l’année 2021, et surtout la moitié des éco-contributions collectées", relève le rapport, qui constate que cette trésorerie a augmenté sur les dernières années.

"La moitié du montant des éco-contributions est thésaurisée", souligne Christine Lavarde. La sénatrice rappelle que dans son rapport public annuel de 2016, la Cour des comptes estimait qu’une telle situation ne pouvait perdurer, "les éco-organismes n’ayant pas vocation à être des gestionnaires de fonds, alors que les éco-contributions pèsent sur la trésorerie des entreprises et, en bout de chaîne, sur le consommateur." Pour la rapporteure spéciale, qui dit souscrire "entièrement à ce constat qui reste valable neuf ans après, il n’est pas compréhensible qu’autant d’argent soit immobilisé alors que les objectifs des cahiers des charges ne sont pas atteints." "Le risque est en effet que les éco-contributions progressent de plusieurs milliards d’euros, sans que les résultats des actions des éco-organismes soient clairement identifiables, ce qui conduirait inévitablement le secteur à une crise d’ampleur", prévient Christine Lavarde. Elle propose donc d’encadrer les provisions pour charges futures des filières REP, en prévoyant notamment des seuils plus contraignants que ceux qui sont mentionnés actuellement dans les cahiers des charges, et de renforcer les sanctions en cas de non-respect de ceux-ci.

Réorientation vers l'investissement

Autre nécessité selon elle : obliger les filières REP à "prendre leur part dans l’investissement". À l’heure actuelle, elles ne sont pas focalisées sur l’investissement, car leur modèle est basé sur le principe d’un soutien avant tout à la tonne de déchets collectés et valorisés, indique Christine Lavarde. "La loi Agec avait tenté d’amorcer une ouverture des filières vers l’investissement, en étendant le champ de leurs missions vers l’éco-conception notamment, mais sa mise en œuvre s’est plutôt concentrée sur les dispositifs les plus symboliques et médiatiques, tels que le bonus réparation", observe-t-elle.

Faute de stratégie d’ensemble, aucun des nouveaux outils de la loi Agec (fonds réparation, fonds réemploi et réutilisation, éco-modulations) n’a atteint ses objectifs, constate-t-elle. Elle préconise donc "un changement de paradigme" en permettant aux filières REP de soutenir l’investissement à travers des appels à projets capacitaires qui seraient initiés par les éco-organismes. "En dernier ressort, les éco-organismes pourraient également être autorisés, sous contrôle de l’administration, à investir directement dans des installations strictement destinées à l’atteinte des objectifs réglementaires", avance-t-elle, estimant que cela suppose toutefois "un contrôle renforcé de la part des services de l’État, pour éviter les biais et mauvaises pratiques dans les investissements".

La sénatrice appelle aussi à une "supervision renforcée des filières REP". "À l’heure actuelle, cinq administrations sont en charge du suivi et de la supervision des filières, développe-t-elle. Cette organisation, particulièrement morcelée, est source d’inefficiences : par exemple, la direction générale de la prévention des risques n’a pas accès à SYDEREP, la base de données de l’Ademe, alors qu’elle détient le véritable pouvoir de sanction". Christine Lavarde préconise donc une mutualisation des moyens de l’ensemble de ces administrations.

Adapter les préocédures de contrôle

Alors que la procédure de contrôle des éco-organismes et des non-contributeurs est jugée "lourde, et parfois inadaptée" - par exemple, lorsqu’une filière comprend un seul éco-organisme, le retrait d’agrément n’est pas crédible car cela reviendrait à suspendre l’ensemble de la filière REP dans un secteur –, la rapporteure recommande d’ "adapter et de simplifier ces procédures de contrôle, et de redéfinir les sanctions en cas de non-respect des prescriptions et des objectifs du cahier des charges pour les rendre efficaces et crédibles". Il faudrait aussi "mutualiser les moyens des administrations en charge du suivi et du contrôle des filières REP". Les instances en charge de la supervision des REP ne réalisant pas non plus d’études économiques approfondies de la situation des filières, les différentes crises rencontrées cette année n’ont pas pu être anticipées, remarque encore la rapporteure spéciale qui propose d’étendre la supervision des filières REP à l’analyse économique des secteurs, et d’"enrichir les documents budgétaires avec cette information".

Enfin, la sénatrice appelle à ce que cette hausse des moyens de contrôle ne soit pas supportée par le budget de l’État, mais prise en charge par les filières REP elles-mêmes, en augmentant la redevance payée par les éco-organismes. "La redevance, qui a vocation à permettre aux producteurs d’assumer le coût de leur supervision, a été définitivement validée par le Conseil d’État par deux décisions du 6 mars 2024. Il est donc désormais possible d’étendre son champ à l’ensemble du contrôle des filières REP", conclut Christine Lavarde.

 

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