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Delphine Labails : "Les élus locaux entendent jouer pleinement leur rôle en matière d'éducation"

Delphine Labails, maire de Périgueux depuis le printemps 2020, est la nouvelle coprésidente, avec Frédéric Leturque, maire d'Arras, de la commission éducation de l'Association des maires de France (AMF). Un an après le début de la crise sanitaire qui touche particulièrement les écoles, elle a fait le point sur les dossiers du moment : difficultés dans la gestion de cette crise, mais aussi carte scolaire, contrôle de l'instruction en famille, évaluation de l'école...

Localtis - Pouvez-vous nous présenter les activités de la commission de l'éducation de l'AMF ?

Delphine Labails - Nous souhaitons être un espace de travail au service des élus sur des thématiques identifiées, comme par exemple les Atsem [agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles]. L'idée est de ne pas être dans une position de réaction par rapport à des propositions qui viendraient de l'extérieur, et notamment du ministère de l'Éducation nationale, mais, de manière plus globale, d'avoir notre propre analyse de pratique et d'outiller notre réseau. Il y a désormais un groupe de travail indépendant au sein de la commission consacré à la restauration scolaire, qui est au cœur de la préoccupation des maires. D'abord sur sa première mission, qui est de nourrir chaque jour des élèves dans un contexte sanitaire contraint. Mais c'est aussi un vrai outil pour agir sur son territoire, en termes de soutien à l'économie locale d'une part, de réflexion écologique d'autre part.

Quels thèmes vous préoccupent-ils le plus actuellement ?

La crise sanitaire a été l'objet d'une gestion complexe pour les élus locaux. Nous avons rencontré des difficultés majeures en termes d'organisation tout au long de l'année avec des injonctions parfois paradoxales qui arrivaient très tardivement. Il fallait se saisir dans l'immédiateté, du jour au lendemain, de modifications dans l'organisation des locaux qui peuvent être très complexes car toutes les communes ne disposent pas d'écoles vastes et de salles complémentaires aux salles de classe qui permettent de dégrouper les élèves, ou tout simplement d'avoir du matériel informatique disponible pour les enseignants. Cela s'est fait [de la part de l'Éducation nationale] à travers un dialogue, sans dire inexistant, mais faible avec les maires, qui sont les premiers concernés.

Pouvez-vous évaluer le coût de la crise sanitaire ?

Les communes sont en train d'évaluer les dépenses liées à la crise sanitaire. Au 12 mars, sur la ville de Périgueux, j'ai dépensé 1,2 million d'euros pour assurer la sécurité sanitaire des habitants, notamment en renforçant nos effectifs, et j'ai perdu 600.000 euros de recettes d'activités périscolaires, de conservatoire, de musées, etc. Soit 1,8 million consacrés à la gestion de la crise. C'est autant que je ne peux pas consacrer à l'amélioration des écoles.

Le deuxième sujet, en ce mois de mars, ce sont les mesures liées à la carte scolaire. Où en êtes-vous ?

Pour tous les maires attachés à maintenir leurs écoles, la négociation cette année est plus complexe que les années précédentes. En 2019, nous avions eu un engagement de la présidence de la République pour qu'il n'y ait aucune fermeture en milieu rural sans l'accord des maires [voir notre article du 27 mars]. En 2020, cette disposition avait été étendue de manière tacite et plutôt très bien respectée par les Dasen [directeurs académiques des services de l'Éducation nationale]. Il y a eu très peu de fermetures de classe, notamment en milieu rural. Cette année, nous sommes dans un nouveau temps avec des dialogues complexes dans bon nombre de départements. L'ambition des maires sur la question de la carte scolaire, c'est toujours le service public de l'éducation, avec un attachement viscéral des maires à leur école, car une école qui ferme, c'est un village qui commence à mourir. Et l'école est bien souvent le dernier service public présent sur le territoire.

Autre sujet d'actualité : la loi renforçant les principes de la République et les mesures portant sur l'instruction en famille. Quelle est la position de l'AMF ?

Nous travaillons depuis le mois de janvier sur ce sujet et nous avons été auditionnés par le ministre de l'Intérieur. La question de l'embrigadement des mineurs et la radicalisation nous conduit à réinterroger ce dispositif. C'est ce qui nous a amenés à proposer un régime d'autorisation [prévu par le projet de loi, ndlr]. Nous y apposons une condition. Aujourd'hui, quand vous êtes informés d'une scolarisation à domicile, vous devez organiser une enquête pour évaluer les conditions de scolarisation et le projet familial et éducatif, mais cette décision arrive souvent très tard, en fin d'année scolaire. Pour remplir pleinement cette mission, nous avons souhaité qu'elle conditionne l'autorisation, que ce soit une enquête préalable. Nous demandons en outre deux éléments d'amélioration, notamment pour les plus petites communes : un soutien méthodologique précis, au-delà d'une simple charte, avec une formation des élus et des personnels des communes ou avec des outils normés qui pourraient être les mêmes pour toutes les communes, des modèles de rapport pour accompagner la mise en œuvre de cette mission, car quand on est maire d'une petite commune rurale, on n'a pas forcément de personnel dédié ou qualifié. Le deuxième élément est ce dialogue nécessaire et fréquent que l'on doit avoir avec l'institution scolaire. Le dialogue avec les directeurs d'école et les enseignants est naturel, il se fait. En revanche, avec l'inspection académique, avec l'inspecteur de circonscription, cela peut être plus distendu. Et dans des missions telles que celle-ci, où il s'agit d'évaluer la capacité d'instruction à domicile, on a besoin d'un État présent, fort, en accompagnement. Nous attendons donc le soutien de l'Etat, ou alors une dotation financière qui permettrait le recrutement sur une mission bien spécifique d'un personnel qualifié pour procéder à ces enquêtes.

Votre dernière thématique forte de l'année concerne l'évaluation de l'école. De quoi s'agit-Il ?

Le Conseil d'évaluation de l'école (CEE) est en train d'élaborer des outils méthodologiques. Nous avons déjà eu deux réunions de travail avec lui et nous en aurons un troisième à propos de l'articulation sur le territoire. Une école n'est ni un collège ni un lycée. La collectivité est beaucoup plus impliquée dans la gestion de l'école que ne le sont les départements et les régions dans les collèges et lycées. L'école de la République a toujours été l'école communale, et la commune a toujours pris pleinement sa place dans l'organisation de l'école. Du personnel municipal intervient dans l'école, il y a ce partage des locaux, tout est très imbriqué. On doit réfléchir cette démarche d'évaluation.de manière différente de celle du second degré. Nous sommes dans un dialogue très constructif et dynamique avec le CEE. Nous avons posé trois principes sur lesquels nous devons être attentifs. D'abord que le personnel municipal soit vraiment associé au dispositif d'auto-évaluation de l'école. Ensuite, que l'ensemble des personnels puissent être formés aux outils de l'évaluation, dont on a du mal à se saisir réellement, avec si possible une formation partagée avec les personnels de l'Éducation nationale pour se constituer une culture commune de l'évaluation. Enfin, que cette évaluation se fasse dans le respect des compétences de chacun.

Le mot de la fin ?

Ce que nous, maires, souhaitons dire sur ces questions est que l'école est l'affaire de tous, des parents, des enseignants, des personnels communaux et des élus. Nous entendons jouer pleinement notre rôle, avec énergie et détermination, même si tout cela se fait sans moyens supplémentaires.

Propos recueillis par Jean Damien Lesay pour Localtis lors d'un point presse le 12 mars 2021.