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Culture / Tourisme - Entrée payante pour les cathédrales : une idée pas si neuve... et pas si folle

Toujours à la recherche de financements nouveaux pour la rénovation, l'entretien et la mise en valeur du patrimoine (voir notre article ci-dessous du 11 octobre 2017), Stéphane Bern a jeté un pavé dans la mare en évoquant, dans un entretien au quotidien Le Parisien, l'idée de "faire payer l'entrée des cathédrales". Si la suggestion, il y a quelques semaines, d'un loto de la Française de jeux entièrement dédié au financement du patrimoine a recueilli un large consensus, il n'en va pas du tout de même pour l'instauration d'un droit d'entrée dans les cathédrales.

Douze millions de touristes à Notre-Dame

Devant les réactions négatives - notamment de la part de la sénatrice (Union centriste) de l'Orne, Nathalie Goulet, évoquant une "violation de la loi de 1905" et une mise en cause "de l'égalité devant la loi" (si la mesure ne s'appliquait qu'aux seuls lieux de culte catholiques) -, Stéphane Bern a même semblé faire aussitôt machine arrière, en expliquant dans un tweet qu'il suggérait uniquement "de faire payer l'entrée de Notre-Dame aux visiteurs touristiques [...] en dehors des heures où s'y rendent les fidèles".
En réalité, l'idée n'est pas aussi nouvelle qu'elle en a l'air. Elle a notamment été fortement évoquée il y a seulement trois ans, à l'initiative du Centre des monuments nationaux (voir notre article ci-dessous du 28 octobre 2014). Auparavant, cette idée était également présente dans un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) publié en mars 2011 et intitulé "Valoriser le patrimoine culturel français". Sans viser spécifiquement le patrimoine cultuel, celui-ci préconisait de faire davantage contribuer les touristes au financement de l'entretien des grands monuments emblématiques. L'enjeu est de taille, lorsqu'on sait que Notre-Dame de Paris accueille près de douze millions de touristes et que plusieurs autres cathédrales françaises (Saint-Denis, Reims, Strasbourg, Beauvais...) dépassent le million de visiteurs.

Une pratique répandue à l'étranger

Cette pratique - qui ne soulève aucune contestation pour les grands monuments non religieux - est également mise en œuvre dans plusieurs pays étrangers, du moins pour certains monuments religieux. C'est le cas pour les Etats du Sud de l'Europe (Espagne, Italie et Portugal), mais aussi dans des pays comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, qui font payer aux touristes l'entrée de certains grands édifices religieux : 4 à 7 euros pour le "Dom" (la cathédrale) de Berlin et 15 livres pour la cathédrale Saint-Paul de Londres. Dans son interview, Stéphane Bern évoquait aussi le cas de la cathédrale de Westminster. Enfin, il faut rappeler que l'accès aux tours de Notre-Dame est d'ores et déjà payant, à hauteur de 8 ou 10 euros.
Si le sujet n'a donc rien de tabou, il n'est cependant pas simple pour autant. La principale difficulté serait en effet de distinguer - en dehors des horaires des offices - les touristes des personnes venues pour prier ou se recueillir, qu'il semble difficile de mettre à contribution (d'autant qu'elles acquittent déjà ou sont supposées acquitter le denier du culte).

Vers des cathédrales "gratuites payantes" ?

La Conférence des évêques de France a rapidement réagi dans un communiqué intitulé "Laisser gratuit l'accès aux cathédrales". Elle y explique que, "parce que les cathédrales sont des lieux d’expression de la spiritualité catholique - notamment dans sa dimension artistique -, leur accès libre est aussi un accès libre à la foi chrétienne". Mais consciente du coût de l'entretien de ce patrimoine, l'Eglise n'est pas fermée à toute solution. Elle estime en effet, qu'"avec les catholiques, ce sont les Français et tous les visiteurs qui peuvent être sollicités pour participer librement, par leur générosité, à la sauvegarde de ce patrimoine tant historique, artistique que spirituel". Une solution qui s'apparenterait alors à celle des musées "gratuits payants", récemment importée du monde anglo-saxon par la ville de Paris pour ses musées (voir notre article ci-dessous du 6 juillet 2015).
Un autre enjeu serait d'harmoniser la position des propriétaires de cathédrales. Si l'Etat en possède 77 depuis la loi de 1905, une centaine de cathédrales - la définition est assez floue - sont la propriété de communes ou de départements, voire de particuliers et, pour quelques exceptions, de diocèses.

Pas d'atteinte à la loi de 1905

En revanche, la position de la sénatrice de l'Orne ne semble guère solide juridiquement. S'il est vrai que la loi de 1905, qui transfère la propriété des édifices cultuels à la puissance publique, fait bien de l'Eglise l'affectataire de ces lieux, les obligations de l'Etat en la matière se limitent à permettre le libre exercice du culte. Rien ne lui interdit en revanche de réglementer l'entrée des touristes.
De même, l'invocation d'une possible inégalité devant la loi ne tient guère. Les lieux qui pourraient devenir payants à la visite ne le seraient pas parce qu'ils sont des églises catholiques, mais parce qu'ils sont des monuments historiques. Des lieux de culte d'autres religions pourraient également faire l'objet d'un droit d'entrée pour les visiteurs, dès lors qu'ils appartiennent à la puissance publique, qu'ils sont monuments historiques... et qu'ils attirent les touristes.