IA territoriale : le SNDGCT appelle à "conduire" plutôt que de "subir"
Le Syndicat national des directions générales des collectivités territoriales (SNDGCT) dévoile une étude inédite consacrée au déploiement de l'intelligence artificielle dans les collectivités. Si les outils se diffusent rapidement, les usages restent hétérogènes, souvent non encadrés et parfois à rebours des exigences de souveraineté, de transparence et de sobriété. Le syndicat appelle les DGS à structurer une stratégie claire pour une IA "utile, maîtrisée et soutenable".
© SNDGCT et Adobe stock
En l'espace de trois ans, l'intelligence artificielle a imprégné les pratiques professionnelles locales. Rappelons que selon le denier baromètre de l'Observatoire Data Publica publié fin novembre 2025, près de 77% des collectivités de plus de 3.500 habitants ont déjà testé ou déployé une IA ou prévoient de le faire dans les douze mois à venir. Les premiers usages concernent principalement la rédaction et la mise en forme de documents administratifs, l'accueil du public via des agents conversationnels ou encore l'automatisation de tâches répétitives. Ces expérimentations, encore modestes mais très répandues, s'accompagnent d'attentes importantes en matière de modernisation et d'allègement de la charge administrative.
Ces enseignements sont rappelés dans une étude du SNDGCT, menée auprès d'un échantillon de collectivités adhérentes, publiée jeudi 4 décembre 2025. Mais l'enquête montre une réalité plus sensible : une part significative des usages relève de ce que le SNDGCT qualifie d'IA non encadrée et que l'on appelle aussi "l'IA shadow", c'est-à-dire des pratiques individuelles fondées sur des outils externes comme ChatGPT ou Copilot, utilisés sans validation de la DSI ni cadre interne partagé. Ce recours spontané se traduit par des pratiques hétérogènes, une absence de traçabilité, des risques juridiques liés à la protection des données et parfois une perte de maîtrise sur les processus. "Le déploiement des IA dans le service public n'est pas si simple", rappelle le président de Civitéo et cofondateur de l'Observatoire Data Publica, Jacques Priol, dans la préface de l'étude, insistant sur la nécessité de renforcer dès 2026 le dialogue social et la gestion stratégique des données; tout en soulignant la convergence entre les résultats de cette enquête et les observations du dernier baromètre Data Publica (voir notre article du 14 novembre 2025) .
Entre manque de moyens et défis de conformité
Si l'intérêt pour l'IA est manifeste, les dirigeants territoriaux interrogés évoquent des obstacles structurels. Le premier concerne la disponibilité des moyens humains et financiers : près de 54% d'entre eux estiment ne pas être en capacité de prioriser une démarche IA dans un contexte de surcharge des équipes et d'absence de budget dédié. À cela s'ajoute une difficulté à garantir la conformité au RGPD et la souveraineté des données, alors même que la majorité des usages identifiés s'appuie sur des outils hébergés hors de l'Union européenne.
Les inquiétudes portent également sur l'impact de l'IA sur les métiers. Selon les répondants, la crainte de voir certaines fonctions fragilisées demeure, alimentée par des projections évoquant une transformation potentielle de près de 80 % des métiers territoriaux, selon une étude de l'Inet également citée dans la note. Le manque de fiabilité de certains outils, parfois sujets à des erreurs ou à des résultats "hallucinants", nourrit par ailleurs des réticences organisationnelles. Enfin, la difficulté à organiser un pilotage transversal, mobilisant DSI, directions métiers, DPO et DRH, retarde dans de nombreuses collectivités la mise en place d'une démarche structurée.
Cinq axes structurants pour une stratégie publique de l'IA
La note du SNDGCT identifie cinq axes structurants qui forment le socle d'une stratégie publique de l'IA. Le premier concerne la modernisation et l'efficience, avec l'objectif de dégager du temps sur les tâches à faible valeur ajoutée pour réinvestir dans la qualité du service public. Le second rappelle que la réussite ne sera pas technologique mais humaine : l'IA impose une profonde transformation des pratiques professionnelles, une montée en compétences continue et une réflexion sur la place de l'humain dans l'action publique.
La sécurité et la conformité constituent une troisième priorité. Le syndicat souligne que les collectivités doivent désormais se doter d'un registre des traitements IA, d'environnements sécurisés, de chartes d'usage opposables et d'une gouvernance claire. L'éthique et la souveraineté sont deux aspects mentionnés par l'étude qui note que la majorité des usages actuels repose encore sur des solutions extra-européennes, faute d'alternatives disponibles ou identifiées. Enfin, la sobriété environnementale s'impose comme un impératif, alors que la consommation électrique mondiale des centres de données pourrait atteindre 945 TWh en 2030, poussant les collectivités à aligner leur stratégie IA sur leurs Plan climat-air-énergie territorial (PCAET) et engagements climat.
La place particulière des directions générales
L'étude accorde une place particulière au rôle des directions générales. Celles-ci doivent non seulement encadrer les usages, mais aussi anticiper les effets de l'IA sur les métiers, les organisations et les équilibres démocratiques. Plusieurs répondants expriment le besoin d'un partage d'expériences et d'une montée en compétences accélérée afin d'être en capacité d'arbitrer entre innovation, risques, souveraineté et sobriété. L'étude rappelle que l'arrivée de l'IA dans le service public crée une "double exigence" : accompagner la transformation des missions et clarifier le projet politique et managérial qui doit guider l'usage de ces technologies.
Hélène Guillet, présidente du SNDGCT, résume cet enjeu en affirmant que l'IA n'a de sens que si elle demeure "utile, maîtrisée, soutenable et fidèle aux valeurs du service public". Un message qui résonne avec les attentes exprimées par les directions générales, confrontées à l'afflux de sollicitations commerciales, à la pression budgétaire et à la nécessité de garantir la qualité du service rendu dans un contexte d'accélération technologique.
Les usages d'IA se développent plus vite que les cadres qui devraient les réguler
À travers cette étude, le SNDGCT constate - s'il le fallait - que les usages d'IA se développent plus vite que les cadres qui devraient les réguler. Dans ce contexte, l'enjeu pour les collectivités n'est plus de décider si elles doivent ou non adopter l'IA, mais de déterminer comment l'encadrer pour en faire un levier de modernisation, sans perte de contrôle ni dégradation des missions publiques.
La réussite passe, selon le syndicat, par un pilotage interservices, une transparence renforcée, une gouvernance éthique, des solutions souveraines et un accompagnement continu des agents. Une condition essentielle pour éviter que l'IA ne creuse les inégalités, n'alimente la défiance ou ne s'impose par défaut au détriment des principes du service public. Comme le rappelle la conclusion, il s'agit désormais pour les collectivités de "conduire" cette transition plutôt que de la subir, en plaçant l'intérêt général au cœur des choix technologiques.