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La fermeture des stations de ski jette la lumière sur la précarité des saisonniers

L'éligibilité des saisonniers des stations de ski au chômage partiel, contenue dans une ordonnance du 27 mars, constitue pour eux une bouffée d'oxygène après la fermeture brutale des stations le 15 mars dernier. Mais derrière, c'est toute l'économie de la montagne qui est frappée de plein fouet : pour les stations de ski, les pertes se montent à 1,8 milliard d'euros. Elles en appellent à l'Etat.

Les travailleurs saisonniers des stations de ski auront bien droit au chômage partiel jusqu'au 15 avril 2020, voire au-delà si leur contrat de travail le prévoyait. L'article 10 de l'ordonnance n°2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle, publiée au Journal officiel du 28 mars, précise ainsi que les salariés employés par les régies "dotées de la seule autonomie financière qui gèrent un service public à caractère industriel et commercial de remontées mécaniques ou de pistes de ski" peuvent être placés en activité partielle. A condition toutefois qu'ils soient "soumis aux dispositions du code du travail et que leur employeur [ait] adhéré au régime d'assurance chômage". L'information avait été donnée par la ministre du Travail à l'issue du conseil des ministres du 25 mars 2020 et correspond au fruit d'une négociation avec les syndicats concernés. Un courrier du 21 mars d'Antoine Foucher, directeur de cabinet de la ministre, adressé au secrétaire fédéral de FO, Eric Becker, mentionnait le compromis trouvé.

Les saisonniers pourront ainsi toucher 70% du salaire brut (soit 84% du net) de la part de leur employeur, qui sera intégralement remboursé par l'Etat et l'Unedic, comme le prévoient les nouvelles modalités d'indemnisations du décret du 25 mars 2020. Le chômage partiel doit leur permettre de passer cette période difficile, jusqu'à la fin de leur contrat, avant ouverture de leurs droits au chômage. Cette mesure vise à répondre à la fermeture brutale des stations de ski le 15 mars dans le cadre du confinement. Or les saisonniers sont vitaux pour l'économie de la montagne. Sur plus d'un million de personnes qui ont au moins un contrat saisonnier, 120.000 travaillent en hiver pour la montagne. Les saisonniers représentent 80% des 17.000 effectifs embauchés sur les pistes des stations de ski. "En cas de manque de neige, nous arrivons à obtenir le chômage partiel, là, la situation est pire", commente à Localtis Charles-Ange Ginesy, le président de l'Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM).

Autre soulagement pour les saisonniers au chômage technique : le report de la deuxième partie de la réforme de l'assurance chômage. Avec cette réforme, qui aurait dû entrer en vigueur au 1er avril, l'indemnisation chômage sera à terme calculée sur le revenu mensuel moyen, quel que soit le nombre de jours travaillés, et sur une période de six mois au lieu de quatre. Ce qui s'avère défavorable aux personnes multipliant les contrats courts. On se souvient que cette réforme avait créé un mouvement social sans précédent dans les stations, au mois de février.

D'autres dispositifs, comme le cumul du revenu de solidarité active (RSA) avec un emploi de saisonnier, peuvent aussi favoriser de meilleures conditions pour ces travailleurs. Dans le cadre de son programme d'insertion par l'emploi couvrant la période 2019-2023, la Haute-Savoie a ainsi prévu une expérimentation de ce dispositif (cumul RSA et revenus d'activité saisonniers). Le département suit les pas des pionniers en la matière que sont le Rhône, la Marne, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, la Dordogne, la Gironde ou encore la Charente-Maritime. Mais jusqu'ici le cumul concernait surtout des emplois agricoles.

"La saison d'été va être forcément impactée"

L'horizon n'est cependant pas dégagé pour les saisonniers de la montagne, car la saison d'été s'annonce d'ores et déjà difficile. "Les investissements tournent totalement au ralenti avec la période de confinement, témoigne Charles-Ange Ginesy, les travaux prévus pour les équipements de l'été - comme les pistes de luge, les activités de remontées mécaniques pour l'accrobranche, les pistes de VTT - sont suspendus. La saison d'été va être forcément impactée." L'association évalue à 1,8 milliard d'euros la perte globale de pertes de chiffre d'affaires des stations du fait de l’arrêt brutal de l’activité (voir encadré ci-dessous), sachant que pour bon nombre de stations de moyenne montagne la saison s'est avérée particulièrement difficile en raison d'un faible enneigement.

Pour les saisonniers, ces difficultés s'ajoutent à des conditions de protection sociale déjà compliquées. Car, malgré les lois en vigueur, les mesures destinées à faciliter la vie à ces travailleurs saisonniers - très souvent pluriactifs - peinent à être appliquées. Vieux serpent de mer, la mutualisation des différents organismes de sécurité sociale auxquels ils cotisent (régime général, mutualité sociale agricole, régime social des indépendants selon leurs missions) n'est toujours pas réglée. Déjà prévu dans la loi de 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite "loi Montagne" (article 59 de la loi), ce dispositif est peu appliqué, et quand il l'est, il est réservé à une partie seulement des saisonniers : ceux qui cumulent plusieurs activités simultanément. Il exclut ainsi pour le moment les salariés combinant plusieurs activités tout au long de l’année (et rattachés à différents régimes), c'est-à-dire les travailleurs dits "occasionnels" dans la terminologie des caisses. Exemple : un moniteur de ski en saison hivernale exerçant des activités de berger ou d'agriculteur en été. La difficulté principale d'après l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) réside dans la définition des critères pour déterminer la "caisse pivot" jouant le rôle de coordination. "Le sujet est très complexe", insiste-t-on à l'ANCT.

Pourtant, en 2016, la loi Montagne II avait repris à son compte l'idée de caisse de référence (à savoir la caisse de l'activité principale du saisonnier qui devient compétente pour prendre en charge la protection liée à l'activité secondaire). Mais pour le moment, on a peu de visibilité sur ces mesures. Et le rapport d'évaluation du dispositif qui devait être publié au plus tard au 29 décembre 2018 n'a jamais été remis aux parlementaires… "A notre connaissance, cette évaluation n'a pas été effectuée ou en tout cas pas communiquée", indique-t-on à l'ANCT. "Le guichet unique n'a pas fait l'objet de l'évaluation requise", mentionne pour sa part le rapport parlementaire sur la mise en application de la loi Montagne II présenté le 4 mars 2020. Les conclusions du Conseil national de la montagne (CNM) qui s'est saisi du sujet, associant à sa réflexion des caisses locales du régime général et la mutualité sociale agricole (MSA), sont les mêmes : le système n'est actif que pour les personnes exerçant simultanément plusieurs activités. Et encore, même pour ces derniers, le dispositif ne produit pas tous ses effets car il est encore relativement inconnu des potentiels bénéficiaires… "Vos rapporteurs déplorent cette situation et la prise en considération d'une catégorie trop étroite de saisonniers dans le dispositif des caisses pivots tel qu'il existe actuellement, là où il existe, ne correspond ni à l'esprit ni à la lettre de la loi Montagne de 1985", insistent les parlementaires.

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Charles-Ange Ginesy : "Nous demandons l'abandon des dettes sociales et fiscales"

 

"Nous avons perdu 20% de notre capacité financière, soit une baisse de 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires". Charles-Ange Ginesy, président de l'Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) alerte sur la situation des stations de ski, qui ont dû fermer prématurément le 15 mars pour éviter la propagation du coronavirus. "Pourtant la saison était bien partie, avec des mois de décembre et janvier très bons", détaille le président de l'ANMSM. La saison d'été risque elle aussi d'être impactée, les investissements destinés aux équipements étant au point mort. Si l'ANMSM comprend la décision, et si tous les acteurs concernés se sont organisés pour fermer rapidement, elle demande un accompagnement de l'Etat, au-delà du chômage partiel et des reports de charges sociales et fiscales proposées. "Aujourd'hui, nous attendons de l'Etat des remises gracieuses de toutes les cotisations sociales, précise Charles-Ange Ginesy, des négociations ont lieu pour des prêts à taux zéro permettant de financer ces charges, mais les stations sont dans une telle situation qu'il leur est impossible de continuer à s'endetter, même dans ce cadre. Nous demandons l'abandon de ces dettes sociales et fiscales." L'ANMSM, en coordination avec Domaines Skiables de France et le syndicat national des moniteurs du ski français, a adressé un courrier dans ce sens au Premier ministre. "Nous espérons être associés aux décisions", conclut Charles-Ange Ginesy.