Le réseau des villes éducatrices veut donner une véritable place à l'enfant-citoyen
À travers un plaidoyer adopté en assemblée générale le 24 septembre 2025, le Réseau français des villes éducatrices (RFVE) défend une vision inclusive et émancipatrice de l'éducation, ancrée dans les territoires. À l'approche des élections municipales, il appelle les futures équipes locales à faire de l'éducation "une priorité politique et sociétale, bien au-delà des seules compétences obligatoires".

© V. Fauvel/ Au centre, Emilie Kuchel
"On s'est rendu compte qu'il fallait que l'on travaille à définir comment une ville peut devenir une ville éducatrice", explique Émilie Kuchel, présidente du Réseau français des villes éducatrices (RFVE) réuni mercredi 24 septembre 2025 à l'hôtel de ville de Paris. "On n'est pas que la porte qui grince, le robinet qui fuit", ironise-t-elle. Pour autant, le RFVE "n'octroie pas de label". C'est donc dans une posture d'équilibriste que le réseau qui rassemble 110 villes et collectivités françaises de toutes tailles, rurales, péri-urbaines et urbaines, "donne à voir les différents champs d'action des territoires et les axes de développement des politiques pour répondre avant tout aux intérêts supérieurs des enfants et des jeunes". "L'éducation est notre premier budget, elle doit être au cœur des projets politiques locaux", a exhorté Émilie Kuchel avant de présenter le plaidoyer du réseau en vue des élections municipales de 2026. Les villes éducatrices ont choisi ce moment charnière, "dans un contexte marqué par l'instabilité des politiques nationales et la montée des discours populistes".
Un plaidoyer contre les vents contraires
Créé il y a une trentaine d'années dans le sillage de l'Association internationale des villes éducatrices, le RFVE et ses membres constatent aujourd'hui que "la politique éducative portée ces dernières années au niveau de l'État manque de cohérence et de continuité". Sept ministres de l'Éducation nationale depuis 2017, autant de réformes inachevées et une dissolution surprise en 2024 sont venus accroître les incertitudes. "Comment construire une éducation collective et forte dans ce contexte ?", s'est interrogée Émilie Kuchel.
Dans son rapport moral, la présidente a dénoncé "un discours populiste qui tend à rendre coupable l'école de toute la responsabilité des maux de la société". Pour le RFVE, l'éducation reste pourtant "un pilier de notre cohésion sociale", indissociable d'un projet de société qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs : communes, État, associations, familles.
Trois piliers pour des villes éducatrices
Le plaidoyer du réseau formule donc une vision qui repose sur trois piliers. RFVE appelle de ses vœux une "ville adaptée aux enfants, où l'espace public est pensé à leur hauteur, sécurisé, accessible à pied et à vélo, propice au jeu, à la nature et à la participation citoyenne". Il identifie "une ville qui pilote la politique éducative, en fédérant tous les acteurs locaux autour d'un projet éducatif global couvrant le scolaire, le périscolaire et le temps libre". Il pointe enfin la nécessité de construire "une ville qui n'oublie aucun enfant, en favorisant la mixité sociale, l'inclusion des enfants en situation de handicap et la lutte contre les déterminismes sociaux".
"Nous affirmons que ce n'est pas de la seule responsabilité individuelle de réussir ou pas, mais bien d'une volonté politique collective de permettre aux plus fragiles de lutter contre les déterminismes sociaux", a insisté Émilie Kuchel. Le réseau rappelle à cet égard qu'une étude de l'OCDE estime à six générations, soit 180 ans, le temps nécessaire pour passer de la pauvreté à la classe moyenne.
Coéducation et participation des familles
La ville éducatrice place les familles au cœur du projet éducatif. Le texte d'orientation adopté en septembre souligne que "les familles sont les premières éducatrices des enfants, à parité d'estime avec les acteurs institutionnels". Les politiques locales doivent proposer un accompagnement à la parentalité qui ne se limite pas aux situations de crise, mais s'adresse à toutes les familles, y compris monoparentales ou confrontées au handicap.
Le RFVE insiste aussi sur la participation réelle des enfants et des jeunes aux décisions locales, au-delà de la simple consultation symbolique. "La participation citoyenne véritable des enfants et des jeunes nécessite une acculturation pour rendre effectives leurs prises de décisions et ne pas se contenter de leur demander leur avis pour n'en rien faire", prévient le texte d'orientation.
Inclusion, égalité et lutte contre les violences
L'inclusion des enfants en situation de handicap reste un cheval de bataille du réseau. Si la loi de 2005 a permis leur intégration en milieu scolaire ordinaire, "l'augmentation quantitative ne s'est pas toujours accompagnée d'une amélioration qualitative". "Il faut une réelle volonté politique de changer la donne", a rappelé Émilie Kuchel, rappelant le bilan contrasté du rapport de la Cour des comptes de la rentrée 2024 (voir notre article du 16 septembre 2024). Le RFVE plaide pour une réforme en profondeur de l'école inclusive : renforcement des moyens, formation des accompagnants, coordination avec le secteur médicosocial. Le réseau dénonce "le statut précaire des AESH" et leur "manque de formation" (lire notre interview du 8 septembre 2025).
Au-delà du handicap, le réseau défend également la place de l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), en dépit des "tentatives réactionnaires pour la décrédibiliser", référence, faite aux récents propos du secrétaire général de l’enseignement catholique.
Transition écologique et droit aux loisirs
Le RFVE souligne également que des investissements sont nécessaires pour rénover et adapter les bâtiments scolaires au changement climatique. Elle réclame "un soutien ambitieux de l'État", estimant au passage que le programme ÉduRénov lancé en 2023 ne suffira peut-être pas (voir notre article du 9 septembre 2024). Les hôtes de la salle du conseil de l'hôtel de Paris s'accordent aussi à dire que les diverses mesures ponctuelles prises au mois de juin 2025 dans l'urgence de la canicule ne sont pas satisfaisantes (voir notre article du 30 juin 2025). Émilie Kuchel alerte d'ailleurs quant au paradoxe de "rénover des établissements qui vont peut-être bientôt être menacés de fermeture, en raison de la baisse démographique" (voir notre article du 26 juin 2025).
L'éducation à la nature et le développement des classes de découverte, des classes dehors figurent également parmi les priorités du RFVE. Rappelons qu'en mai 2025, une proposition de loi transpartisane a été déposée afin de rendre effective la classe dehors, "trop peu pratiquée en France malgré ses effets bénéfiques" (voir notre article du 14 mai 2025). L'une des co-auteure de la proposition de loi, la député Florence Hérouin-Léautey, était présente le 24 septembre et a eu l'occasion d'intervenir pour en souligner l'intérêt.
Enfin, les villes éducatrices réaffirment que l'accès aux loisirs et aux vacances relève d'un droit fondamental. Les séjours collectifs, les activités sportives ou culturelles sont considérées comme des temps éducatifs à part entière, favorisant l'autonomie et la mixité.
L'effort financier des collectivités pour le primaire comparable à celui de l'État
Le réseau défend avec constance l'école publique "gratuite, laïque et républicaine". "Nous sommes un acteur important de l'Éducation nationale", a insisté Émilie Kuchel, soulignant que le rôle des collectivités est souvent invisibilisé alors même que l'effort financier des collectivités pour le primaire est comparable à celui de l'État (voir notre article du 23 septembre2025). Les alliances éducatives locales, associant écoles, associations d'éducation populaire, équipements sportifs et culturels, sont présentées comme le meilleur levier pour assurer la continuité éducative.
Appel aux futurs élus municipaux
À la veille des échéances de 2026, le RFVE souhaite que son plaidoyer serve de feuille de route aux candidats. "Ce n'est pas un texte exhaustif mais un chemin pour les collectivités", résume sa présidente. L'ambition affichée est de faire de l'éducation un projet politique global, qui dépasse les clivages partisans et les limites de compétences. "Si on devait opposer à une vision néolibérale et concurrentielle de l'école, une autre vision, ce serait celle d'une école de la coopération qui permet l'émancipation de l'enfant", a résumé Sandrine Le Gouic, vice-présidente du RFVE.
Pour le réseau, chaque conseil municipal peut choisir d'adhérer et ainsi rejoindre une communauté d'entraide et de plaidoyer.