Les quatre défis de l'intelligence artificielle pour les collectivités
En quelques mois à peine, l'IA a pris une telle place au sein des collectivités que le sujet tend désormais à se confondre avec celui du numérique dans son ensemble. Loin de simplifier le paysage, l'IA suscite de nouveaux questionnements. Zoom sur quatre défis posés par l'IA.

© Dessins générés à l'aide de l'intelligence artificielle . Fond: Adobe stock
L'engouement pour l'IA relevé par l'étude Data publica fin 2024 (notre article du 13 novembre 2024) ne tarit pas. L'IA intéresse des collectivités de toutes tailles, la mobilisation de l'IA générative pour simplifier la gestion administrative dépassant désormais les usages liés à la transition écologique. Et il ne se passe plus une semaine sans l'annonce d'une stratégie IA, d'un nouveau chatbot ou d'une "couche IA" dans un logiciel. Cette accélération s'accompagne de nouveaux défis sans pour autant faire disparaître les anciens.
Pas d'IA sans data
C'est notamment le cas de celui de la qualité des données. Car "il n'y aura pas d'IA sans data de qualité" ont rappelé les intervenants aux assises des objets connectés à Grandville en juin dernier (notre article du 6 juin 2025). Que cela soit pour du calcul prédictif, pour optimiser les consommations d'énergie, créer un chatbot sur les droits des usagers ou faciliter la rédaction des délibérations (…) nourrir l'IA avec des données structurées, à jour et conformes à la réglementation est un préalable. Or, dans ce domaine, beaucoup reste à faire. Le dernier baromètre du numérique des Interconnectés (notre article du 11 juillet 2025) montre que seulement 36% de collectivités ont "mis en œuvre" une gouvernance des données et moins d'une sur deux valorise effectivement ses données territoriales. Dans ce peloton des pionniers, on mentionnera les lauréats de l'appel à projet territoires intelligents et durables dont les initiatives se concrétisent (notre article du 18 mars 2025).
Une régulation en pointillé
Second défi, encadrer le déploiement de l'IA dans un contexte juridique mouvant. Car les concertations organisées par le Cese comme celles menées par les collectivités (notre article du 19 février 2025) ont fait émerger de fortes attentes sur la régulation de l'IA. Les chartes adoptées par les collectivités, auxquelles fait écho le manifeste des Interconnectés (notre article du 12 mars 2025) apportent un début de réponse en fixant un cap. Si elles apportent une assise éthique aux projets locaux, elles ne remplacent pas pour autant la réglementation, encore en pointillé.
Côté IA act européen, les usages inacceptables des IA sont interdits depuis février mais les règles sur les IA à "haut risque" ne seront fixées que dans un an. Une consultation est d'ailleurs en cours pour ces IA susceptibles d'impacter le recrutement ou la prise de décision administrative (notre article du 11 juin 2025). Quant aux IA généralistes, dont font partie les IA génératives, le "guide des bonnes pratiques" n'est entré en vigueur que le 2 août 2025. Il s'agit cependant de préconisations, en matière de transparence des sources, de respect des droits d'auteur et de gestion des risques, dont l'application est laissée au bon vouloir des éditeurs. En France, il manque par ailleurs la désignation officielle de l'autorité régulatrice chargée d'appliquer l'IA act. La Cnil revendique (notre article du 24 juin 2025) ce rôle et occupe le terrain. Elle a planché ces derniers mois sur l'articulation entre l'IA Act et le RGPD et publié des recommandations dédiées aux services publics (notre article du 14 avril 2025).
Dépendance aux IA étrangères
L'arrivée de l'IA intervient ensuite dans un contexte de fortes tensions géopolitiques. Or, il s'avère que les Big tech américaines et chinoises sont derrière la majorité des solutions, ce qui a ravivé le débat sur la souveraineté numérique (notre article du 1er avril 2025). L'indépendance numérique est cependant au mieux un horizon lointain (notre article du 11 juillet 2025) tant les investissements sont conséquents sur l'ensemble de la chaine de valeur.
Au niveau des collectivités, on souhaite dans un premier temps mesurer les dépendances : c'est le sens du projet Ti-Break lancé en avril par quelques grandes collectivités (notre article du 10 avril 2025).
De leur côté, les régions (notre article du 12 juin 2025) renforcent leur soutien aux écosystèmes d'IA territoriaux et souhaitent peser dans les choix stratégiques. Le secteur public est ensuite appelé à faire preuve d'exemplarité en achetant des technologies souveraines. Si France Travail ou le ministère de la Fonction publique ont choisi Mistral comme IA conversationnelle, beaucoup reste à faire pour concrétiser le levier de la commande publique sur la souveraineté numérique (notre article du 16 juin 2025).
Une IA soutenable pour le climat
Dernier défi : à plus long terme, il faudra concilier introduction de l'IA et neutralité carbone. Car étude après étude, la responsabilité de l'IA dans l'accroissement de la facture environnementale du numérique fait de moins en moins de doute (notre article du 22 avril 2025). En cause : les besoins en puissance de calcul de l'IA générative pour entraîner les modèles et générer des contenus. Certains soutiennent même que les bénéfices de l'IA pourraient être "effacés" par l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre qu'elle génère (notre article du 10 février 2025).
Les chiffres qui circulent souffrent néanmoins d'un tropisme américain, pays marqué par une électricité très carbonée. Et du fait de son électricité nucléaire, la France peut espérer réduire l'impact carbone de l'IA. Un atout que le président de la République a fait valoir pour séduire les investisseurs lors du dernier sommet international de l'IA. Au total, 109 milliards d'euros d'investissements privés pour l'IA ont été annoncés (notre article du 11 février 2025). Eu égard à leur impact local, les territoires ont exprimé le souhait d'y être associés (notre article du 21 février 2025). Et au-delà de l'avantage énergétique, la France veut faire la différence en promouvant une IA frugale et de petits modèles spécialisés.
Il restera à savoir si ces modèles tricolores seront en mesure de résister au tsunami des IA américaines et chinoises.