Souveraineté numérique : le secteur public invité à montrer l'exemple
En marge du salon VivaTech, où la Tech européenne et tricolore était à l'honneur, le ministère de la Fonction publique a organisé une table ronde sur la souveraineté numérique. Un choix d'organisateur à valeur de message : la souveraineté numérique induit un secteur public moteur et exemplaire pour sortir du statut de "colonie numérique".

© Dinum/ Table-ronde organisée par la DINUM sur le thème “Résilience et souveraineté numérique“ le 13 juin
Souveraineté numérique. Du président de la République aux élus locaux en passant par les parlementaires, l'expression s'est invitée dans tous les débats traitant du numérique à Vivatech 2025 qui s'est tenu du 11 au 14 juin 2025. "Au moins, on n'a plus besoin d'expliquer ce que c'est", a commenté Victor Kabla le fondateur d'OVH, une solution cloud tricolore, à l'occasion d'une table ronde organisée non pas à Bercy mais au ministère de la Fonction publique par la Dinum, la DSI de l'État. Avec une ambition, fédérer l'écosystème – secteur public inclus – pour tenter de sortir des dépendances aux solutions étrangères.
Une dépendance chiffrée
Une dépendance énorme, comme le montrent les chiffres du consortium Eurostack, présentés par Francesca Bria, économiste et co-auteure de ce rapport qui fait référence. L'Europe importe 80% de ses services numériques de l'étranger. Et qu'il s'agisse du cloud ou des modèles de fondation d'intelligence artificielle, la dépendance aux solutions américaines est de 70%. Quant aux microprocesseurs, considérés comme "le système nerveux de l'économie digitale", l'Europe dépend quasiment intégralement de la Corée du Sud et de Taïwan. Des chiffres qui seront bientôt complétés par des données nationales dans le cadre d'un Observatoire de la souveraineté numérique annoncé par le gouvernement il y a quelques semaines.
Une dépendance que le Cigref, association des grandes entreprises et administrations publiques françaises, traduit cependant en opportunités. "Cela représente 80 milliards d'euros de dépenses informatiques qui pourraient profiter à des acteurs français ou européens", veut croire Emmanuel Sardet, président du Cigref.
De la prise de conscience aux actes
Si la prise de conscience ne date pas d'hier au niveau de l'État – les premiers plans cloud datent des années 2010 - les tensions géopolitiques et l'augmentation des cyberattaques sont venues rappeler l'urgence à agir. Stéphanie Schaer, directrice de la Dinum, rappelle que l'État s'est doté de la "doctrine Cloud au centre" avec trois piliers :
- l'immunité aux droits extraterritoriaux avec la norme SecNumCloud ;
- la substituabilité des solutions ;
- et le développement des compétences internes" (notre article du 5 juin 2023).
Les contraintes budgétaires conduisent cependant à passer à la vitesse supérieure. "Les administrations font face à des augmentations brutales de contrats, parfois multipliées par cinq, sept ou douze du jour au lendemain. Ce n'est pas soutenable financièrement pour l'État", s'alarme Stéphanie Schaer, qui fait allusion notamment aux hausses récentes décrétées par Microsoft. La Dinum rappelle que les deux tiers de la commande publique vont vers des acteurs européens (notre article du 19 mars 2025). Et de plus en plus d'appels d'offres publics intègrent désormais des clauses - réversibilité, interopérabilité… - pour garantir la pérennité des investissements. Des avancées qui n'infusent cependant pas encore l'ensemble des ministères, l'Education nationale étant le dernier en date à avoir fait grincer des dents en renouvelant un contrat Microsoft en mars dernier.
Souveraineté ou autonomie stratégique ?
Il faut dire que la souveraineté n'est pas forcément une priorité des DSI des grands comptes. Leur association, le Cigref, adhère à l'objectif "politique" de souveraineté, mais demande de la souplesse, "ne serait-ce que parce que chaque client a sa vision de la souveraineté", souligne Emmanuel Sardet. Le président du Cigref lui préfère le concept "d'autonomie stratégique" qui consiste à "maîtriser ses risques sur le long terme", ce qui suppose de disposer d'un panel d'alternatives technologiques. Il y ajoute un besoin de "résilience" soit la capacité à maintenir les services en cas de crise.
Octave Klaba, distingue pour sa part "la sécurité des données, la sécurité technologique et la souveraineté opérationnelle". Et de rappeler que cette dernière passe nécessairement par des datacenters locaux dont il faut faciliter l'installation. Quant au volet logiciel du cloud, OVH dit y travailler activement.
L'Europe et la mise en réseau
La souveraineté numérique tricolore ne se construira cependant pas sans l'Europe et la mobilisation de financements conséquents. Francesca Bria appelle à une "troisième voie" technologique, distincte des modèles américain et chinois, qui doit commencer par une "approche holistique", en arrêtant le saupoudrage pratiqué aujourd'hui par l'Europe. Elle souligne aussi les dynamiques initiées par la France et l'Allemagne [notamment pour travailler sur une suite bureautique pour le secteur public], ou encore l'Espagne et le Danemark qui en a fait un thème de sa présidence de l'UE.
Coté investissements, le rapport Eurostack évalue les besoins à 300 milliards d'euros sur dix ans. Un montant à relativiser : Microsoft dépense à lui seul 80 milliards par an dans ses infrastructures. Les investissements ne régleront cependant pas tout. Francesca Bria rappelle qu'au niveau européen, 30% des start-ups financées par des fonds publics sont ensuite rachetées par des acteurs étrangers.
L'acculturation des entreprises aux enjeux de souveraineté fait partie des objectifs de Numeum, qui fédère celles proposant des services et contenus. Le syndicat vient de lancer une "Équipe de France du numérique", qui associe 70 associations professionnelles d'un écosystème encore trop "fragmenté", estime sa présidente Véronique Torner. L'ambition est de donner davantage de "visibilité" à ces entreprises auprès des donneurs d'ordre. Il s'agit aussi de porter la voix de la filière à Bruxelles, où les réglementations numériques ne sont pas toujours favorables aux acteurs européens.
› Le ministère de la Fonction publique joue la carte MistralA l'occasion du salon VivaTech, Laurent Marcangeli, le ministre de la Fonction publique, est revenu sur le projet d'équiper 5,1 millions d'agents publics d'outils d'IA. Concrètement, un partenariat avec la startup française Mistral a été annoncé pour “équiper 10.000 agents” de la fonction publique. Selon Les Echos, il s'agit d'une expérimentation qui "durera entre trois et six mois". Si les résultats sont probants, son usage pourrait être étendu à l'ensemble des agents publics "d'ici la fin de l'année" selon un mode opératoire qui n'a pas été détaillé. Une annonce qui intervient alors que le champion tricolore de l'IA a lancé "Mistral Compute", une offre de cloud souverain pour l’IA en Europe... en partenariat avec le champion américain des puces Nvidia. |