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Les restrictions annoncées sur le mécénat des entreprises suscitent une levée de boucliers

L'annonce par Gabriel Attal et Gérald Darmanin d'un coup de rabot sur la déduction fiscale du mécénat des grandes entreprises suscite des réactions, notamment de la part de l'Admical. La mesure s'inscrit à la fois dans le cadre de la recherche d'économies sur les niches fiscales, mais aussi, paradoxalement, dans le prolongement du mouvement des grandes entreprises en faveur de la reconstruction de Notre-Dame.

L'annonce le 30 août par Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, d'un coup de rabot sur la déduction fiscale du mécénat des grandes entreprises a créé la surprise. Elle a été aussitôt confirmée par Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, qui avait déjà laissé entendre l'imminence d'une telle mesure en juin dernier, lors de son passage dans l'émission "Le grand jury" sur LCI. Supposée rapporter environ 80 millions d'euros à partir de 2021, elle se situe en effet dans le cadre de la recherche d'économies sur les niches fiscales, à l'occasion de la loi de finances pour 2020. D'autres mesures d'économies du même type devraient d'ailleurs concerner la réduction de la déduction forfaitaire spécifique, niche sociale bénéficiant en majorité aux secteurs de la construction, du nettoyage et de l'aviation (400 millions d'euros d'économies attendues), la suppression de l'avantage fiscal du gazole non routier (215 millions) et la refonte du crédit impôt recherche (200 millions).

Un effet Notre-Dame de Paris

Mais l'annonce de ce coup de rabot n'est, à l'évidence, pas non plus sans lien avec les suites de l'incendie de Notre-Dame, le 15 avril dernier. Paradoxalement, la mobilisation massive de grandes entreprises françaises pour financer la reconstruction a suscité dans l'opinion des soupçons d'optimisation fiscale, même si plusieurs de ces grands mécènes ont affirmé qu'ils n'avaient pas l'intention d'utiliser la déduction fiscale. Dans une interview aux quotidien Les Échos du 29 août, Gabriel Attal reprend cette explication : "Si le mécénat devient considéré comme un mécanisme d'optimisation fiscale, il finira par être remis en cause dans son principe même, comme cela a été le cas au moment de Notre-Dame." La mobilisation autour de la reconstruction a également relancé la question de la disproportion supposée entre cette mobilisation à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros et la situation de nombre de monuments plus modestes, qui restent en déshérence (voir nos articles ci-dessous des 18 et 24 avril 2019).

En pratique, le taux de défiscalisation devrait être ramené de 60% à 40% pour les dons supérieurs à 2 millions d'euros, à l'exception de ceux destinés aux associations d'aide aux plus démunis (couverts par la "loi Coluche", issue de la loi de finances pour 1989, et désormais inscrite à l'article 238 bis du code général des impôts). Environ 80 grandes entreprises seraient concernées, pour un montant de l'ordre de 400 millions d'euros. Une autre mesure, moins médiatisée, est également prévue : le montant total des salaires défiscalisés au titre du mécénat de compétences serait ramené de 20.000 à 10.000 euros.

"Une fragilisation fiscale du mécénat"

L'annonce de ce coup de rabot a fait aussitôt réagir l'Admical, association reconnue d'utilité publique qui regroupe les entreprises mécènes depuis 1979. Dans un communiqué du 30 août, titré "Non à une nouvelle économie au détriment des acteurs de l'intérêt général", l'Admical – rejointe par d'autres associations (Association française des Fundraisers, Les Entreprises pour la cité, Centre français des fonds et fondations, France générosités...) – s'adresse aux parlementaires pour dénoncer une mesure "qui met à mal l'existence et la pérennité de projets d'intérêt général menés par des associations et fondations [...] en totale contradiction avec les engagements du candidat Macron à développer le mécénat des particuliers comme des entreprises et à garantir un environnement fiscal stabilisé pour le mécénat durant le quinquennat…" L'association estime qu'il s'agit là d'"une nouvelle fragilisation fiscale du mécénat, coup supplémentaire porté aux bénéficiaires des actions d'intérêt général, qui ont déjà largement souffert des économies budgétaires depuis le début du quinquennat".

L'Admical souligne au passage que les dons des entreprises atteignent aujourd'hui 3 milliards d'euros, sur un total de dons de 7,5 milliards. Elle rappelle également que "nous avons vécu, en 2018, une baisse historique de 4,2% des dons des particuliers, précisément due à une déstabilisation fiscale (transformation de l'ISF en IFI, hausse de la CSG et climat d'incertitude lié au passage au prélèvement à la source)".

Bientôt un "Giving Tuesday" à l'américaine ?

Si la mesure touche toutes les formes de mécénat à l'exception de l'aide aux plus démunis, elle inquiète particulièrement le secteur de la culture. En effet, celui-ci est confronté depuis quelque temps à un recul relatif des dons, comme le rappelait le récent rapport d'information du Sénat consacré au mécénat culturel (voir notre article ci-dessous du 30 août 2018). Longtemps privilégié par les donateurs, le mécénat culturel est désormais "passé au second rang", derrière le secteur social et se trouve aujourd'hui pratiquement à égalité avec le sport. Le social représente dorénavant 29% des entreprises mécènes pour 22% du budget total, contre 24% et 13 à 15% pour la culture (soit 500 millions d'euros).

Gabriel Attal se veut toutefois rassurant sur l'impact de ce coup de rabot sur le mécénat des entreprises et affirme sa "confiance dans leur capacité à maintenir leurs dons, et à le faire savoir". Il rappelle également qu'"aujourd'hui, plus d'une entreprise sur trois ne demande pas la déduction fiscale à laquelle elle a droit pour ses dons ! Elles s'engagent parce qu'elles estiment avoir une responsabilité sociétale, parce que les consommateurs l'attendent, et parce que leurs collaborateurs - notamment les jeunes - le leur demandent de plus en plus".

Le secrétaire d'État se veut aussi rassurant sur l'impact du passage de l'ISF à l'IFI (impôt sur la fortune immobilière). Selon lui, "il n'y a aucune raison que la forte progression observée depuis dix ans ne reprenne pas. Les toutes premières estimations montrent d'ailleurs une hausse de l'ordre de 10% à 15% des dons dans le cadre de la campagne IFI 2019". Enfin, le gouvernement annonce son intention d'organiser, chaque 3 décembre, un "Giving Tuesday", calqué sur la journée du don qui, aux États-Unis, suit de peu le "Black Friday", dédié à la consommation.

 

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