Les sénateurs à nouveau au chevet du commerce rural
Quatre ans après un rapport sénatorial pour maintenir et développer le commerce de proximité dans les communes rurales les plus petites, où en sommes-nous ? C'est ce qu'ont tenté de savoir les sénateurs, lors d'une table ronde organisée le 10 décembre 2025 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Au cœur des freins persistants : les difficultés des commerçants après le lancement de leur activité (salaire, négociation des prix d'achat, animations) et le manque de visibilité des dispositifs d'aide.
© Capture vidéo Sénat/ Louis Pautrel, Céline Massal et Frédéric Gibert
En 2022, les sénateurs posaient le diagnostic de la disparition du commerce rural et formulaient une série de recommandations (voir notre article du 17 mars 2022). Il y a quelques semaines, c'est le rapport pour relancer le commerce de proximité dans les centres-villes et les quartiers (voir notre article du 5 novembre 2025) de Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne), Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U et Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires, qui avançait trente propositions dont la lutte contre les distorsions de concurrence des grandes plateformes en ligne et davantage de marges de manœuvre pour les maires notamment dans les choix d'installation. A la suite de ces recommandations, les sénateurs ont souhaité dresser un bilan des actions nationales et locales menées pour préserver les commerces dans les territoires ruraux et imaginer de nouvelles perspectives et leviers, à travers une table ronde organisée par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 10 décembre 2025.
Mutation plus que disparition
"Nous sommes face à un paradoxe, d'un côté le nombre global de commerces en France n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans, en termes de surfaces, de nombre de magasins et de salariés, de l'autre leur répartition territoriale s'est continuellement déséquilibrée au détriment des zones rurales", a posé Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur de la commission.
Ainsi en 2021, plus de 20.000 communes ne disposaient pas de commerce alimentaire. "C’est 61% des communes françaises", a relevé Céline Massal, professeure agrégée de géographie, enseignante en classe préparatoire au lycée militaire de Saint-Cyr, qui date le début de la disparition de ces commerces aux années 1980 et 1990, durant lesquelles un tiers de ces derniers, notamment alimentaires (boulangerie, boucherie, épicerie, primeur), a disparu. Mais la chercheuse nuance : ils "n'ont pas réellement disparu mais se sont agglomérés", dans les zones périurbaines, à distance de quelques kilomètres des petites communes, par l'intermédiaire des grandes enseignes "qui sont parties à la conquête du rural dès 1980", a détaillé Céline Massal. "Ce sont des commerces franchisés, donc pas indépendants, accessibles en voiture", insiste-t-elle, concluant à une mutation plus qu'à une disparition des commerces de proximité en milieu rural. "Mais cette mutation est excluante, pour une partie de la population et des territoires", a précisé Céline Massal, notamment les personnes âgées et les plus petits centres-bourgs.
Les impacts de la loi Notr pour les communes rurales
Face à ce phénomène de disparition/mutation, des réponses ont été données au fil de l'eau. Des réponses "anciennes", comme les dépôts de pain, les commerces multiservices, avec une dimension de commerce de "dépannage" plus que de commerce rentable. Des innovations ont aussi lieu, comme les distributeurs de pain, œufs, lait qui se multiplient et les tournées qui sont largement réinvesties. "Ces réponses sont souvent informelles, a expliqué Céline Massal, elles relèvent d'initiatives souvent privées", car la plupart du temps les acteurs n'ont pas connaissance des aides publiques disponibles. "Il y a un problème de visibilité et de clarté du jeu des acteurs concernés", a-t-elle pointé, il faut aussi se questionner sur la répartition commerciale et réfléchir à d'autres échelles car on ne peut pas avoir du commerce partout".
Une question de la gouvernance également posée par Louis Pautrel, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), chargé du commerce et maire de Le Ferré (Ille-et-Vilaine). "Il s'est passé quelque chose de terrible pour ma commune avec la loi Notr, a-t-il mentionné, nous sommes passés d'une communauté de communes rurales de 8.500 habitants à une communauté d'agglomération de 55.000 habitants et je peux vous dire, on n'existe plus aujourd'hui ! Les chargés de mission parfois ont du mal à localiser ma commune sur la carte…" La suppression des CCI locales (il n'y en a plus qu'une par département) et les coupes budgétaires qu'elles ont subies, ne font que rajouter aux difficultés pour contacter les bons interlocuteurs.
Aider les commerces dans leur fonctionnement
Le vice-président de l'AMRF regrette aussi l'accumulation de normes imposées aux maires dans le cadre des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et met en garde contre l'application du ZAN. "Un commerce fermé depuis longtemps, cela peut être tentant de le transformer en logement, mais que faire après si on n'a plus de mètres carrés disponibles ?", a ainsi questionné Louis Pautrel.
Autre enjeu important : l'accompagnement des commerçants durant leur installation mais aussi et surtout après. "Souvent les aides sur investissement permettent aux communes de racheter les commerces et d'effectuer les travaux pour les réhabiliter, et l'Accre permet aux commerçants de s'en sortir financièrement au début, a expliqué Louis Pautrel, le plus compliqué, c'est la notion de fonctionnement. Comment faire pour dégager un salaire par la suite ? Et je ne parle même pas du Smic." Il faudrait, selon lui, aider les commerces au-delà des six premiers mois à se structurer et à se faire connaître pour s'assurer un chiffre d'affaires suffisant. La question de la mutualisation des moyens est aussi posée, les commerçants des petits bourgs ne bénéficiant pas souvent d'union de commerçants leur permettant de mettre en place des animations pourtant essentielles à leur activité. Et les compétences des commerçants sont aussi importantes. "Cela suscite un certain nombre de compétences, des acquis, par exemple pour un bar restaurant, la première chose qui compte, c'est d'avoir un sourire du patron ou de la patronne quand on arrive, et ce n'est pas quelque chose de naturel !", a fait valoir Louis Pautrel.
Participation des citoyens
Autre problème : la difficulté des commerçants à négocier des achats de masse et à obtenir des tarifs leur permettant de générer des marges dans leurs ventes. Un travail autour du recrutement des commerçants est en cours et un dispositif de commerces éphémères, Mavielocale, devrait être lancé dans le cadre de Petites Villes de demain. "Il s'agit, pour les villes de moins de 2.000 habitants, de repérer les locaux vacants et de faire en sorte que la commune les mette à disposition d'un porteur de projets durant quelques semaines", a détaillé Louis Pautrel. Frédéric Gibert, responsable du programme Action Cœur de ville et du plan commerce de la Banque des Territoires, a rappelé le travail mené par cette dernière dans ces différents domaines, dont la participation dans les foncières de redynamisation et le financement des managers de centre-ville, qui se déploient dans les grandes mais aussi dans les plus petites communes (voir aussi notre article de ce jour).
Enfin, dernier point soulevé par les intervenants : la nécessaire participation et mobilisation des citoyens pour soutenir les commerces. Sur ce point, un bémol exprimé par Louis Pautrel : "Le souci dans les communes rurales, c'est qu'on a des niveaux de revenus médians faibles et les personnes qui ont de l'argent et cherchent à défiscaliser le font dans d'autres territoires car nous n'avons pas d'outils de défiscalisation dans le rural." Encore un sujet à traiter...