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L'État français poursuivi en justice pour ne pas en faire assez contre le réchauffement climatique

Quatre ONG, à l'origine de la pétition à succès baptisée "l'Affaire du siècle", ont déposé ce 14 mars un recours contre l'État français pour "manquements" à son obligation d'action contre le dérèglement climatique. La ville de Grande-Synthe (Nord) a déjà lancé une procédure analogue.

Les ONG Oxfam France, Greenpeace, Notre Affaire à tous et la fondation Nicolas-Hulot ont annoncé avoir chacune déposé une requête en ligne le 14 mars au matin auprès du tribunal administratif de Paris contre l'État français pour "manquements" à son obligation d'action contre le dérèglement climatique. Cette procédure a été lancée au moment même où se déroule le "One Planet Summit" à Nairobi (Kenya) auquel participe Emmanuel Macron.
Dans leur "recours indemnitaire en responsabilité", les ONG demandent au juge de reconnaître les "manquements" de l'État en matière d'action climatique et "d'enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d'y mettre un terme".

Préjudice moral et écologique

Elles réclament la reconnaissance d'un préjudice moral (avec versement symbolique d'un euro) et écologique. Elles relèvent les objectifs manqués en matière d'émissions de gaz à effet de serre (repartis à la hausse en 2016), d'efficacité énergétique, d'énergies renouvelables. Autant de défaillances affectant directement les citoyens : santé, sécurité alimentaire... Le recours s'appuie notamment sur la Charte de l'environnement de 2005 et la Convention européenne des droits de l'Homme, dont la valeur contraignante a été reconnue par la justice.
Insatisfaites de la réponse du gouvernement à une demande préalable envoyée en décembre, les ONG ont décidé de passer à l'étape suivante, fortes du soutien des deux millions de signataires de leur pétition baptisée "l'Affaire du siècle". "On a patienté longtemps avant d'obtenir une réponse du gouvernement, et il n'annonce aucune nouvelle mesure en profondeur !", a expliqué Marie Pochon, coordonnatrice de Notre affaire à tous. "Il nous paraît donc assez naturel de déposer ce recours".
Le gouvernement, dans sa réponse en février, avait rejeté l'accusation d'inaction, évoquant des mesures qui "commencent à porter leurs fruits", tandis que le Premier ministre Edouard Philippe recevait les ONG. "Je comprends qu'on ait envie d'agir plus vite, plus fort, plus loin sur le dérèglement climatique, je suis le premier à le vouloir, le président Macron aussi", a réagi ce jeudi le ministre de la Transition écologique François de Rugy, sur Public Sénat. "Après, (...) dans aucun tribunal on ne réduira les émissions de gaz à effet de serre. C'est avant tout une affaire politique".   Depuis Nairobi, Emmanuel Macron a estimé que "cette plainte traduit une mobilisation". "Je ne pense pas qu'elle mènera à un débouché judiciaire et ce n'est pas là que ça se joue. Ce n'est pas le peuple contre le gouvernement, il faut arrêter ces bêtises (...) C'est nous tous qui devons bouger, les gouvernements, les grandes entreprises, les citoyens", a-t-il dit à la presse.

Nombreux précédents

Ce recours, première procédure climatique à cette échelle en France, fait suite à une autre action, portée fin janvier devant le Conseil d'État par le maire écologiste de Grande-Synthe (Nord), ville à risque de submersion.
A l'étranger, sur fond de montée des dérèglements et devant l'insuffisance des mesures constatées à peu près partout, cette judiciarisation est déjà à l'oeuvre. En Colombie, la Cour suprême a acté la nécessité d'agir, sur plainte de 25 jeunes. Au Pakistan, un fils d'agriculteurs a fait reconnaître le droit à la vie...
Selon le Grantham Research Institute, plus de 270 affaires sont en cours dans 25 juridictions, hors États-Unis où l'on recense plus de 800 cas. Il y a notamment la victoire aux Pays-Bas de l'ONG Urgenda, au nom de 900 citoyens : la cour de La Haye, s'appuyant sur le droit européen et l'Accord climat de Paris, a imposé à l'État de relever ses ambitions de réduction des GES.