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Culture - Musée des Confluences à Lyon : un contenant pour quel contenu ?

L'inauguration du musée des Confluences à Lyon, le 19 décembre, marque l'aboutissement d'un chantier hors normes. Un chantier qui réunit tous les superlatifs, pas toujours positifs : une durée de près de quatorze ans, un coût de 255,4 millions d'euros quatre fois supérieur à l'estimation initiale (et même de 286,7 millions d'euros selon une association de contribuables et 328,5 millions si on inclut la reconstruction d'autres équipements qui préexistaient sur le site), des gestes architecturaux audacieux mais pas toujours bien maîtrisés, des polémiques et des contentieux sans fin entre maître d'ouvrage, maître d'œuvre, mandataire et entreprises, des pénalités de retards de 41,6 millions d'euros réclamés par le département du Rhône au groupe Vinci...

Un signe urbain qui marque l'identité d'une ville

Même si d'autres grands chantiers culturels connaissent des "péripéties" similaires - la salle de la Philharmonie de Paris n'est pas non plus un modèle du genre -, les dérapages du chantier du musée des Confluences revêtent une ampleur inusitée. Mais, aujourd'hui, le musée a le mérite d'exister. Et - comme le musée Guggenheim de Bilbao, la référence incontournable depuis vingt ans - il constitue bien le signe urbain attendu, qui marque l'identité d'une ville (comme désormais le Mucem à Marseille).
Posé à quelques mètres de l'autoroute A6 qui traverse Lyon, près du confluent de la Saône et du Rhône, l'immense vaisseau de verre, d'acier et de béton - un "nuage de cristal" -, captera l'attention des millions de personnes qui empruntent cet axe majeur.
Si la question du contenant a ainsi été menée à bon port malgré les difficultés, reste désormais la question du contenu. Et, à cette occasion, il est difficile de ne pas s'interroger sur les limites du "modèle Bilbao". Selon son site internet, "le musée des Confluences - qui porte avec beaucoup de justesse son nom - est une philosophie de la rencontre, un goût de l'échange, une intelligence de regards croisés". Au-delà de ce positionnement qui pourrait définir bon nombre de musées et d'institutions culturelles, il se veut un musée dédié aux sciences et aux sociétés.

Un certain décalage

Les thèmes des deux premières expositions montrent pourtant un certain décalage avec ces ambitions affichées, quel que soit leur intérêt. La première - "Dans la chambre des merveilles" - est consacrée aux cabinets de curiosités lyonnais, avec animaux en porcelaine de Saxe, mâchoires de requins, instruments astronomiques, perroquets empaillés et créatures étranges en bocaux. Des objets de cabinets de curiosités que l'on retrouve dans tout musée de sous-préfecture qui se respecte. La seconde exposition est consacrée à Emile Guimet, né à Fleurieu-sur-Saône en 1836, et dont la collection fait notamment la fierté du musée des arts asiatiques qui porte son nom à Paris.
Le musée des Confluences souffre en effet de certains handicaps au regard d'autres réalisations récentes. Il ne peut pas s'appuyer sur une "maison-mère" prestigieuse aux fonds inépuisables, comme Le Louvre - Lens ou le Centre Pompidou - Metz. Il n'a pas non plus bénéficié d'une dation spectaculaire, comme le musée Soulages à Rodez ou la Fondation Louis Vuitton dans le bois de Boulogne à Paris (musée privé). Il n'a pas davantage bénéficié du transfert des fonds d'un autre musée, comme le Mucem à Marseille, qui a récupéré les fonds du musée des Arts et Traditions populaires à Paris. Le musée des Confluences revendique certes d'avoir "en héritage plus de 2,2 millions d'objets peu à peu rassemblés en une histoire d'un demi-millénaire, du XVIIe au XXIe siècle". Mais il s'agit principalement de fonds issus de cabinets de curiosités ou de sources similaires. Enfin, contrairement au Mucem, qui a bénéficié à plein de l'effet "Marseille, capitale européenne de la culture", l'ouverture du musée des Confluences ne sera pas portée par un événement particulier.

Un visiteur d'exposition pour trois entrées

Architecture spectaculaire et attractive, flou sur le positionnement et le projet muséal (passés au second plan derrière les difficultés du chantier), fonds manquant de pièces de premier ordre : le risque est grand de voir le contenant prendre le pas sur le contenu.
Un risque qui n'a rien de théorique : le Mucem - réussite incontestable qui vient d'être couronnée par le Prix du musée 2015 du Conseil de l'Europe - y est tout autant confronté. Il aura accueilli en 2014 environ deux millions de visiteurs, un chiffre trois fois supérieur aux 630.000 visiteurs de ses expositions. Une consolation toutefois, dont bénéficiera peut-être aussi le musée des Confluences : même si seul un visiteur du Mucem sur trois pousse la porte des expositions, le total de 630.000 visiteurs est le double de ce qu'espéraient les concepteurs du musée en vitesse de croisière (350.000 personnes)...