Nappes phréatiques : un léger mieux en août mais la prudence reste de mise

Les pluies de juillet-août ont permis de recharger les nappes phréatiques sur le tiers nord de la France et d'éviter la reproduction du scénario catastrophe de l'été dernier. Mais dans une grande partie du pays, notamment le pourtour méditerranéen, le couloir Rhône-Saône et le sud de l'Alsace, la situation reste "préoccupante", selon le bulletin de situation présenté par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ce 14 septembre.

Au 1er septembre, la France comptait toujours 62% de ses nappes phréatiques, principales réserves d'eau potable, en dessous des normales de saison, dont 18% à des niveaux très bas, selon le dernier bulletin présenté par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ce 14 septembre. Mais cette situation est légèrement meilleure qu'en juillet quand 72% des nappes étaient à des niveaux insuffisants. Elle l'est aussi nettement par rapport à la même période de l'an dernier lorsque "77% d'entre elles se trouvaient sous les moyennes et (que) 20% (étaient) très bas(ses)", comme l'a souligné mercredi soir le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, dans Libération.

Impact des pluies contrasté

Contrairement à 2022, où le printemps et l'été avaient été très secs, "cette année a bénéficié du soutien des pluies" printanières et estivales, a indiqué Violaine Bault, hydrogéologue au BRGM. Mais ces pluies ne sont pas tombées partout et leur impact a été différent selon le type de nappes - réactives ou inertielles, permettant une recharge plus ou moins rapide -, et la sensibilité des sols. Surtout, elles sont intervenues à l'issue d'un automne et d'un hiver particulièrement secs qui n'ont pas permis de recharger des nappes déjà en souffrance.
"Sur le tiers nord de la France, les précipitations de juillet et d’août ont permis d’engendrer des épisodes de recharge courant août et de limiter les prélèvements", note le BRGM. Leur impact dépend de la réactivité de la nappe et des cumuls pluviométriques locaux. Ainsi, la plupart des nappes réactives du Cotentin à l’Alsace affichent des niveaux en hausse ou stables en août, constate-t-il. L’impact des pluies est plus contrasté pour les nappes inertielles du Bassin parisien et de l’Artois. Généralement, les pluies ont été insuffisantes pour permettre d’inverser la tendance à la baisse mais la vidange a été ralentie. Sur quelques secteurs moins inertiels ou plus arrosés, les tendances sont stables ou en hausse. 
Sur les deux tiers sud du territoire, en revanche, la vidange se poursuit. "Ce constat n’est pas surprenant en quasi-absence de précipitations durant le mois sur ce secteur, poursuit le BRGM. La vitesse de la vidange dépend essentiellement des volumes prélevés." En Corse, par contre, les précipitations enregistrées lors de la tempête Réa des 28-29 août ont permis d’enregistrer des pics de recharge sur les nappes très réactives.

Situations "peu favorables" sur de nombreuses nappes

Globalement, il s'agit de la "situation la plus favorable que nous ayons depuis février" même si elle reste toujours "inquiétante" et même "préoccupante" sur le pourtour méditerranéen, sur le couloir rhodanien et le sud de l'Alsace "qui connaissent des minima historiques sur de nombreux secteurs", précise Violaine Bault.
En cause, des pluies insuffisantes ou qui se sont peu infiltrées et surtout, un héritage de "plusieurs hivers déficitaires en précipitations" auxquels se sont ajoutés "d'importantes sollicitations des nappes" pour l'eau potable, l'irrigation ou le tourisme. Selon le BRGM, de nombreuses nappes connaissent des situations peu favorables avec des niveaux très bas par rapport à tous les mois d'août des années précédentes :
-    celles du Sundgau (sud de l'Alsace), du Dijonnais, de la Bresse, de la Dombes, du Nord Isère et du Bas-Dauphiné affichent des niveaux bas à très bas, du fait de plusieurs recharges hivernales successives peu intenses et d’un comportement très inertiel ; 
-     les niveaux des nappes alluviales de la Côte d’Azur sont très bas, la recharge 2022-2023 ayant été insuffisante et la vidange s’étant poursuivi tout l’été ; 
-    les nappes alluviales de l’Hérault et de l’Orb enregistrent des niveaux très bas, les pluies efficaces étant déficitaires depuis 2022 ; 
-    les nappes de l’aquifère multicouche du Roussillon connaissent une situation inédite, avec des niveaux bas à très bas. Les précipitations et la limitation des prélèvements semblent avoir un effet bénéfique mais souvent localisé et très insuffisant pour compenser les déficits accumulés depuis 2022

À la date du 8 septembre, 189 communes étaient privées d'eau potable, soit deux fois plus que le 10 août, a indiqué Christophe Béchu. C'est certes moins que l'an dernier à la même époque, où quelques 700 communes étaient affectées, mais "la crise de l'eau n'est pas encore derrière nous", a-t-il relevé.

Prudence pour les prochaines semaines

Pour le BRGM, la vigilance reste de mise pour les prochaines semaines. Le mois d'août s'est en effet terminé par une vague de chaleur tardive, du 17 au 24, et septembre a commencé par une canicule de plusieurs jours, autant de facteurs susceptibles d'alimenter la sécheresse et de dégrader la situation des nappes. D'autant que la période de recharge des nappes ne devrait pas intervenir avant la fin octobre.

Tout dépendra donc des futures pluies qui pourraient recharger certaines nappes très réactives, mais "leur impact restera dans tous les cas limité sur les deux tiers sud du pays", estime le BRGM. "En effet, les épisodes cévenoles, fréquents en septembre, et les orages de fin d’été favorisent le ruissellement, explique le BRGM. De plus, les pluies réussissant à s’infiltrer devraient dans un premier temps permettre d’humidifier les sols, actuellement très secs, et bénéficier à la végétation." Sur les nappes réactives, l’infiltration des pluies en profondeur devrait donc rester très limitée et la vidange devrait théoriquement se poursuivre en septembre. La situation devrait continuer à se dégrader rapidement sur les nappes réactives non soutenues par de petits épisodes de recharge et sur celles les plus sollicitées par des prélèvements, estime l'organisme. En cas de pluies locales conséquentes, la situation pourrait cependant s’améliorer momentanément. 

Les nappes inertielles du Sundgau (sud Alsace) et du couloir Rhône-Saône ne devraient bénéficier d'aucun épisode de recharge avant l’automne, avec la mise en dormance de la végétation et la reprise des pluies, ajoute le BRGM. La situation devrait se dégrader plus ou moins lentement selon les volumes prélevés dans les eaux souterraines.

"Tension" attendue en 2024

Pour 2024, "on sera toujours probablement en tension" du fait de l'accumulation des déficits, sauf en cas de pluies particulièrement abondantes tout au long de l'automne et de l'hiver et même au printemps, conclut Violaine Bault. Un scénario qui pourrait être aggravé par le changement climatique. "On sait qu'il pleut moins et que la pluie change de nature. On a plus d'événements de type orages, avec des pluies violentes qui ont du mal à s'infiltrer" ainsi que des printemps et des automnes plus doux qui tendent à raccourcir la période de recharge des nappes, souligne le BRGM. Mais d'autres facteurs sont à prendre à compte tels que les niveaux de prélèvements, les changements de pratiques agricoles ou d'occupation des sols, pondère-t-il.