Profusion d'idées pour réenchanter les mandats locaux

Près de 400 élus venus de toute la France étaient réunis ce 7 novembre à Paris, dans le cadre de la convention nationale de la démocratie locale. Un événement co-organisé par le ministère de l'Intérieur et le ministère délégué chargé des Collectivités territoriales. L'objectif : recueillir le maximum de propositions du terrain pour rendre les mandats locaux plus attractifs, notamment en vue du projet de loi porté par Dominique Faure. Son collègue Gérald Darmanin a lui-même esquissé quelques pistes. Tout comme David Lisnard, le président de l'Association des maires de France.

"L'expérience est très intéressante et instructive", réagissait à la mi-journée Solène Le Monnier. La conseillère municipale de la commune de Berric (Morbihan) était présente à la grande concertation voulue par le gouvernement pour faire le plein d'idées en vue de la réforme du statut de l'élu qu'il entend déposer au premier semestre 2024. Comme près de 400 autres élus locaux venus de toute la France – y compris de l'Outre-mer –, dont 200 représentants des communes et intercommunalités et une centaine détenant un mandat de conseiller départemental ou régional.

Répartis par tables de dix dans deux salles de la CCI de Paris, les élus de tous les échelons ont confronté leurs points de vue sur de nombreuses propositions. A l'ordre du jour, deux grands sujets : le statut de l'élu et les difficultés auxquelles les élus locaux font face au quotidien – ce que le gouvernement appelle "les irritants" (sur les détails de l'organisation de la convention, voir notre article du 6 novembre). L'idée était de parler sans tabous et de choses très concrètes. A l'ouverture, la ministre chargée des Collectivités territoriales avait appelé les participants à "être disruptifs". "N'hésitez pas à formuler des contributions inattendues, à sortir des sentiers battus", avait-elle lancé.

Présidente-fondatrice de la jeune Union nationale des élus locaux, Solène Le Monnier voulait particulièrement mettre en avant l'importance de "ne pas mettre de côté les conseillers municipaux" dans la réforme envisagée. "Pour enrayer la vague de démissions qui touchent ces élus, il faut leur redonner du pouvoir d'action, une légitimité à exercer leur mandat", a-t-elle déclaré à Localtis.

"Trop grande intercommunalisation "

A l'ouverture de la rencontre, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales a partagé ses constats sur "la dégradation des conditions d'exercice des mandats". Dominique Faure a égrené un certain nombre de difficultés que rencontrent les élus locaux au quotidien : "la complexité", "le sentiment de solitude, le manque de temps ou de moyens ou de personnels", "la difficulté à cumuler un emploi avec son mandat", "la contestation et la violence verbale et physique" de la part de plus en plus de citoyens. "Le mandat de maire est le plus difficile. On est à portée de baffe, d'engueulade. Tout le monde connaît notre adresse", a observé de son côté le ministre de l'Intérieur, qui s'est exprimé lui aussi à l'ouverture de la convention.

Gérald Darmanin est allé plus loin dans son diagnostic, évoquant la "scoliose démocratique" dont souffrirait la France. Un mal dû au fait que "nous avons des demandes de plus en plus fortes et de plus en plus relayées et un pouvoir de plus en plus réduit". Ce pouvoir des élus locaux s'amenuise en raison des normes qui leur sont imposées, a pointé l'ancien maire de Tourcoing. Il a aussi mis en cause "la trop grande intercommunalisation", alors que les intercommunalités "ne sont pas élues au suffrage universel direct". "Le maire prend parfois les engueulades de ses concitoyens sans parfois avoir vraiment son mot à dire (…) s'il ne préside pas lui-même son intercommunalité". Le ministre a de même dénoncé "les grandes régions qui ont quand même éloigné très fortement la décision de l'action communale".

A la façon d'un "ostéopathe", il faut "retirer des contraintes et redonner du pouvoir à ceux qui sont élus au suffrage universel direct", a souligné Gérald Darmanin. Pour conforter le pouvoir des maires, "l'Etat doit les accompagner bien plus", lorsque ceux-ci exercent en particulier leurs missions d'agent de l'Etat, a-t-il jugé, citant par exemple le rôle que jouent les maires dans la procédure de regroupement familial. D'une manière générale, le ministre a estimé que les services déconcentrés de l'Etat devaient être davantage à la disposition des maires.

"Restaurer la figure du maire"

Dominique Faure a pour sa part affirmé vouloir "poser les bases d'un statut" des élus locaux, "adapté aux difficultés d'aujourd'hui" et "à même de répondre aux attentes de demain". Il faut "changer le statut", notamment "pour donner à l'élu les moyens de se faire respecter", a complété le locataire de la place Beauvau, évoquant aussi la nécessité de "restaurer la figure du maire". Au chapitre de la protection des élus, Gérald Darmanin a annoncé que dans la prolongation de la mise en œuvre du plan gouvernemental dévoilé en juillet, il avait demandé à "tous les sous-préfets" de "réunir de nouveau tous les élus par arrondissements", pour rendre compte de "l'action qu'ils mènent" et également pour "être à leur écoute".

"Il y a énormément de choses à changer", a-t-il déclaré. En mettant par exemple sur la table le cas des maires des communes rurales qui obtiennent moins facilement une disponibilité de leur employeur que les sapeurs-pompiers. La réforme à laquelle l'exécutif travaille se penchera, au-delà des maires, sur les conseillers municipaux. "Ils ne seront pas oubliés", a assuré Gérald Darmanin.

Rendre les mandats locaux attractifs est "un enjeu démocratique majeur", a souligné la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales. "Si personne ne veut plus s'engager" dans une fonction locale, "nous aurons perdu quelque chose de vital". Elle a estimé que le gouvernement avait "l'ardente obligation de lutter contre ça".

Indemnité automatique

En conclusion de la journée, David Lisnard, le président de l'Association des maires de France (AMF), a mis l'accent sur plusieurs propositions. Parmi lesquelles la revalorisation des indemnités des maires. Quelle que soit la taille de la commune, "il est évident qu'un maire doit gagner une indemnité équivalente à [la rémunération d'] un cadre", a-t-il lâché. Cette indemnité doit être automatique – ce n'est pas au maire de la demander – et faire l'objet d'une "sanctuarisation financière hors du budget communal, par la solidarité nationale", a-t-il jugé. Le maire de Cannes a aussi mis l'accent sur "l'ardente nécessité" pour les maires de "retrouver de la capacité d'action". Il a enfin jugé que les fonctions électorales ne devaient pas être pénalisantes dans une vie professionnelle, indiquant par exemple que la durée du mandat devait être prise en compte dans le calcul des indemnités de licenciement des salariés.

Il faut "renforcer le couple maire-préfet", et pour cela "délier les mains du préfet, lui donner plus de capacité à interagir avec nous", a estimé également en fin de journée, Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine, qui était chargé de restituer les discussions des participants. La "volonté d'avoir de la lisibilité dans l'action" doit se traduire par une réduction du nombre d'appels à projets organisés par l'Etat et la capacité de ce dernier à "s'engager dans un cadre pluriannuel", a-t-il aussi plaidé. En souhaitant par ailleurs que la nation soit "au rendez-vous de la solidarité" pour financer "l'engagement individuel" des élus locaux.

Rencontres de Saint-Denis

Cette convention "ne sera pas un coup d'épée dans l'eau", a promis Dominique Faure. "Je verrai d'abord tout ce qu'il est possible de faire rapidement, parce que cela ne relève pas de la loi et ne pose de problème à personne", a-t-elle indiqué. Par ailleurs, la ministre fera "sous l'autorité de Gérald Darmanin des propositions à la Première ministre", en vue d'un projet de loi qu'elle souhaite voir adopté définitivement par le Parlement à l'été 2024. Une réforme qui a de grandes chances d'aboutir, selon Gérald Darmanin, car elle est "finalement assez consensuelle".

Les propositions qui ont émergé lors de la convention alimenteront également les travaux que le président de la République mène avec les chefs des partis politiques dans le cadre des "rencontres de Saint-Denis", notamment sur l'organisation institutionnelle (voir à ce sujet notre article du 6 novembre). Mais les desiderata les plus coûteux devraient être écartés. "L'Etat n'est pas un puits sans fond", a prévenu Dominique Faure.

 

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