Municipales - Quand les chefs d'entreprise vont à la rencontre des futurs élus
Alors que les candidats aux élections municipales multiplient les réunions avec le grand public, les chefs d'entreprise, comme les artisans, commerçants et professions libérales, s'organisent pour les rencontrer et discuter des sujets qui les intéressent. "Pendant la campagne municipale, on aborde des thèmes très divers, comme les crèches, la propreté des rues, les transports... des thèmes qui concernent principalement les citoyens, explique Marie-Sophie Claverie, déléguée générale du Medef Paris. En revanche, il y a peu de discussions sur les sujets d'ordre économique." Pour la déléguée du Medef, l'explication est simple : c'est la région qui par nature gère ce qui relève de l'économie (contrats de projets Etat-région, emploi, formation). "Pourtant le maire peut aussi agir sur l'économie", assure-t-elle. Même constat pour Damien-Marie Giraud, délégué général de la CGPME Saône-et-Loire : "Les rencontres se font autour d'un candidat qui prononce son discours de campagne devant un auditoire. Il n'y a pas de rencontres des différents candidats sur des sujets précis comme le développement économique." Face à ce manque d'échanges entre les acteurs économiques et les futurs élus, les organisations patronales ont décidé de prendre les devants. La CGPME 71 a ainsi organisé des débats entre les candidats d'une ville, tous bords confondus, et les chefs d'entreprise de la circonscription. Objectif : permettre à ces acteurs économiques de se faire une opinion sur la stratégie économique du futur maire de leur ville. Taxe professionnelle, ouverture des magasins le dimanche, développement des zones industrielles... les thèmes de discussions ne manquent pas. Et les chefs d'entreprise souhaitent des réponses précises. "La plupart de nos adhérents sont propriétaires de leur entreprise, détaille Damien-Marie Giraud. Ils savent de quoi ils parlent et ils ont l'habitude de s'exprimer avec leurs tripes." Les réunions en Saône-et-Loire ont connu un vif succès. La dernière, organisée à Chalon, a ainsi rassemblé une soixantaine de chefs d'entreprise jusqu'à près de minuit. "On les sent très impliqués, ils ont tous répondu présent."
Adopter la "business friendly attitude"
La CGPME 71 avait déjà tenté l'expérience lors des législatives, mais pour les municipales il s'agit d'une grande première. Une démarche qui s'explique par l'implication de plus en plus forte des acteurs économiques dans la vie de leur ville. Le Medef Paris, associé à la CGPME 75, est allé encore plus loin en réalisant une enquête auprès de ses adhérents. Objectifs : donner tout son poids à la voix des entreprises dans la campagne des municipales parisiennes, affirmer l'importance du thème de l'économie souvent éclipsé par des thèmes plus polémiques comme les transports ou le logement, et obtenir des précisions des candidats sur leur engagement pour l'avenir de l'économie parisienne. L'enquête réalisée en janvier 2008 a permis de recueillir l'opinion des chefs d'entreprise sur des sujets précis : les marchés publics, le développement durable, l'emploi ou la formation. On apprend ainsi qu'une majorité des entreprises parisiennes (82%) juge que Paris est une ville propice à leur activité. En revanche, une forte proportion est inquiète pour la vitalité économique de leur ville et 70% ont le sentiment de ne pas être aidées dans leur développement. Des messages directs, adressés au futur maire de Paris et envoyés à tous les maires d'arrondissement. Le document permet aux entreprises d'instaurer un dialogue avec les futurs élus et de "co-construire" la stratégie économique de leur ville. "Nous aimerions notamment introduire l'idée de l'ambition économique de Paris avec des opérations de grande envergure, comme Vélib, Paris-plage ou la Nuit blanche, mais dans la sphère économique, explique Marie-Sophie Claverie. Il faut adopter comme Londres la 'business friendly attitude'". A Marseille, les commerçants ont quant à eux demandé aux candidats de s'engager sur un "PAC 13" intégrant treize propositions dont "faire de la propreté un objectif majeur, créer au sein de la municipalité un guichet unique commerce ou encore favoriser l'émergence d'une vraie stratégie d'implantation commerciale".
"Le bon sens n'a pas de couleur politique"
Le "PAC 13" a été élaboré par Terre de commerces, une fédération des commerces et services de proximité des Bouches-du-Rhône qui rassemble quelque 3.000 adhérents. "Aujourd'hui, on s'aperçoit que le commerce a des vertus pour assurer le lien social dans les villes, créer des emplois. Le rapport Rochefort rendu public le 20 février en témoigne", explique Thomas Chavane, président de Terre de commerces. "Nous devions nous exprimer. La meilleure façon était d'être force de propositions", ajoute-t-il. Résultat : tous les candidats se sont engagés sur ce PAC 13. Certains ont toutefois émis des réserves sur une des propositions qui consiste à créer un poste de "manager de centre-ville". "Pour les villes, le financement d'un nouveau poste est souvent difficile voire impossible mais les maires ont aussi peur de perdre du pouvoir en nommant un manager de centre-ville, souligne Thomas Chavane. C'est un mauvais calcul : le centre-ville est devenu un produit marketing qu'il faut vendre." Autre initiative dans les Bouches-du-Rhône, le collectif "Mon entreprise, ma ville" s'est donné comme tâche de faire parler d'une seule voix entreprises, salariés et syndicats. FO, CFTC, CFE-CGC, Medef 13, UPA 13 et UNAPL ont ainsi répondu à l'appel. "On a voulu montrer qu'on pouvait discuter en dehors des moments de conflits", explique Olivier Tarrazi, vice-président de l'UPA 13. Après un sondage réalisé par TNS Sofres auprès des entrepreneurs, le collectif a élaboré un manifeste, le "Pacte réussir mon entreprise, ma ville" sur lequel les candidats à l'élection municipale se sont engagés. "Pour nous, le bon sens n'a pas de couleur politique, assure Olivier Tarrazi. Nous nous adressons à tous les candidats et les faisons adhérer à un tronc commun." Conséquences : quel que soit le candidat finalement élu, les partenaires sociaux s'assurent que certains dossiers, comme la réforme du port autonome de Marseille, seront traités en priorité. Reste à savoir si les candidats qui s'engagent dans ce type de démarche, avec signature d'un pacte à la clé, tiennent leurs promesses une fois élus. "On saura leur rappeler qu'ils ont signé nos propositions", assure Thomas Chavane, tandis que le collectif de Marseille prévoit une réunion par an avec le candidat élu pour faire le point sur l'avancement des dossiers.
Emilie Zapalski