Ressource en eau : la France en état de "stress chronique" à l’horizon 2050 si rien ne change

Dans une nouvelle note d’analyse sur la ressource en eau publiée ce 25 juin, le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan estime que 88% du territoire de France métropolitaine connaîtra fréquemment d'ici 2050 des situations de "tension hydrique" en été compte tenu du changement climatique, si le pays ne change pas radicalement sa politique de gestion de l'eau. Le Sud-Ouest et le Sud-Est pourraient être particulièrement affectés, notamment du fait de l’irrigation des cultures.

La crise de l'eau qu’a connue la France à l'été 2022 pourrait devenir la norme ou presque, si le pays ne revoit pas radicalement sa gestion de l'eau dans tous les secteurs, de l'agriculture à l'énergie, selon une note d'analyse du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan dévoilée ce 25 juin. L’organisme a identifié, à l’échelle de la France métropolitaine découpée en 40 bassins versants, les périodes de l’année où des tensions sur la ressource en eau de surface pourraient apparaître, autrement dit le risque de ne pas satisfaire les besoins environnementaux ou la demande humaine en eau.

Trois scénarios

L’institution qui s’est appuyée sur une étude pilotée par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), Explore 2, publiée l'an dernier, sur l'évolution de la disponibilité de la ressource en eau, a retenu trois scénarios pour son analyse : un scénario "tendanciel", qui prolonge les tendances passées, un scénario "politiques publiques" simulant la mise en œuvre de politiques annoncées récemment et un scénario de "rupture" prévoyant un usage sobre de l’eau dans tous les secteurs d’activité.

Résultat : à l'horizon 2050 "sans inflexion des tendances actuelles, 88% du territoire hexagonal pourraient être en situation de tension modérée ou sévère en été en matière de prélèvements", prévoit l’étude. A titre de comparaison, en 2022, les mesures de restriction effectives des usages de l’eau via des arrêtés sécheresse s’appliquaient début septembre à 86% du territoire hexagonal. Même dans le scénario de rupture, les experts du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan estiment que 64% du territoire connaîtra une situation de stress hydrique en été.

Dégradation de la situation en hiver aussi

"La tension relative aux consommations (partie des prélèvements qui n'est pas restituée au milieu) pourrait être forte dans le Sud-Ouest et le Sud-Est, en raison de la part importante de l'eau consommée, du fait notamment de l'irrigation des cultures", souligne l’étude qui s’inscrit dans la continuité des précédents travaux de l’institution sur l’eau - une cartographie des prélèvements publiée en avril 2024 et une étude sur l'évolution de la consommation en janvier dernier. Le bassin Adour-Garonne, qui cumule des situations de tensions hydriques en prélèvements comme en consommations (part évapo-transpirée, non restituée dans les milieux) apparaît particulièrement vulnérable. Dans le scénario tendanciel, pour une année marquée par un printemps-été sec, au mois de juillet plus de 85% de ce bassin pourrait être en situation de tension sévère sur les consommations. 

Autre constat de l’étude : "la situation hydrique calculée via les prélèvements devrait probablement se dégrader non seulement en été, mais également en hiver, entre les horizons temporels 2020 et 2050 dans la grande majorité du territoire de France hexagonale et Corse, et ce pendant plus de six mois de l’année, sous l’effet combiné d’une diminution de la ressource en eau et d’une augmentation de la demande en prélèvements. Seul le scénario de rupture permet de limiter cette aggravation, avec des périodes de tension moins longues et plus de 25% du territoire où la situation s’améliore".

Nécessaire sobriété

Si la France ne modifie pas ses pratiques en matière de gestion de l'eau ou s'en tient aux dernières mesures qu'elle a mises en oeuvre, en août, au coeur de l'été, "on a près de 90% des bassins versants qui sont touchés par une dégradation de la situation hydrique entre 2020 et 2050", a relevé Hélène Arambourou, co-autrice de la note. Dans le scénario de rupture, "cette dégradation de la situation hydrique survient dans environ la moitié des bassins versants", a-t-elle ajouté. "Les tensions pourraient de surcroît être aggravées par la dégradation de la qualité de l’eau, qui de fait réduirait la quantité d’eau disponible pour les différents usages humains, notamment pour la production d’eau potable", affirme aussi la note.

Réussir à contenir cette dégradation passe par "une sobriété dans tous les secteurs et toutes les activités humaines", a souligné Hélène Arambourou. Dans l'agriculture, par exemple, elle évoque "la régulation" par les pouvoirs publics du développement des surfaces équipées en irrigation, ou le développement des pratiques agroécologiques qui permettent de mieux stocker l'eau dans les sols. Pour le résidentiel, "la réutilisation de l'eau à l'échelle des bâtiments" et, dans le secteur énergétique, "une diminution de 80% de la production nucléaire".

Au-delà des usages, le Haut-Commissariat alerte sur les conséquences : même en cas de printemps-été humide, "dans près de la moitié des bassins versants de l'Hexagone", majoritairement dans le Sud-Ouest et le Sud-Est, "les besoins environnementaux sont non satisfaits au moins un mois de l'année" à l'horizon 2050. "Dans ces territoires, les écosystèmes pourraient se trouver en situation de stress chronique, chaque année, à l'horizon 2050, ce qui pourrait durablement obérer leur fonctionnement", avertit l’étude, qui prône, pour améliorer leur résilience, de préserver et restaurer les milieux "par une diversification des habitats".

Besoin d'études locales

"Un constat aussi grave nécessite une prise de conscience immédiate et des actions renforcées à court terme", estime le Haut-Commissaire à la stratégie et au plan, Clément Beaune. Il cite "l'amplification" des 53 mesures du plan eau lancé en mars 2023 ainsi que la mise en place d’actions "de protection et de restauration ambitieuses des milieux" telles que le "reméandrage".

La note préconise aussi d’approfondir encore les connaissances par la réalisation d'"études locales". Ces dernières devant permettre "d’identifier plus finement, en intégrant les nappes, la ressource potentiellement disponible dans le futur, ainsi que les différentes demandes". "Cette connaissance est aujourd’hui indispensable si l’on souhaite organiser un partage de l’eau le plus juste possible, associant étroitement toutes les parties prenantes." "C’est bien l’objectif des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) et des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE)", conclut la note.

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis