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Finances / Social - RSA : les négociations Etat-départements "sont rompues"

Au lendemain d'une réunion à Matignon sur les modalités de la recentralisation du financement RSA, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), parle d'"échec". Elus et représentants du gouvernement s'opposent sur le calendrier, l'année de référence et la nature des ressources que l'Etat récupérerait. Dominique Bussereau prévient : faute d'un arbitrage final favorable, des "mesures de rétorsion" ne sont pas à exclure.

Une délégation de l'Assemblée des départements de France (ADF) avait une nouvelle fois rendez-vous à Matignon le 19 janvier. Une nouvelle fois pour parler RSA avec des membres du cabinet de Manuel Valls. Au lendemain de cette réunion, le président de l'ADF, Dominique Bussereau, exprime un verdict sans appel : "Il ne s'est rien passé", "c'est un constat d'échec", "les négociations sont rompues".
La précédente réunion, fin novembre (lire notre article du 1er décembre), avait déjà donné lieu à des échanges assez "rudes". En jeu : la perspective d'une recentralisation du financement du RSA, dont le principe est certes désormais à peu près acté mais dont les modalités sont loin d'être établies. Celles-ci constituent précisément la cause de la "rupture".
Depuis son congrès d'octobre, l'ADF fait valoir que la réforme devra impérativement intervenir - par une loi de finances rectificative - avant fin mars, date à laquelle toutes les assemblées départementales devront avoir voté leur budget. La très grande majorité des départements ont d'ailleurs de ce fait renoncé à voter leur budget fin 2015. Parmi les autres, des parades ont été élaborées, comme le fait d'inscrire au budget 2016 le même volume de crédits pour le RSA qu'en 2015, sans tenir compte de la hausse prévisible. C'est par exemple ce qu'a fait Dominique Bussereau pour son département de Charente-Maritime, tout comme l'a décidé Stéphane Troussel en Seine-Saint-Denis (voir encadré ci-dessous).
Mais aujourd'hui, les représentants du gouvernement parlent d'inscrire la réforme… dans la loi de finances initiale pour 2017. Ce qui signifie que rien ne se passerait en 2016. "C'est inacceptable", a commenté ce 20 janvier Dominique Bussereau.
Tout aussi "inacceptable" : à l'ADF, il était apparu juste de choisir l'exercice 2014 comme année de référence (année sur la base de laquelle serait déterminé le volume des ressources concernées), 2014 étant "la dernière année où tous les départements avaient pu assumer le financement" du RSA. Lors de son assemblée générale extraordinaire de décembre dernier (lire notre article du 21 décembre), l'association en avait même fait un "prérequis". Or les représentants du gouvernement font aujourd'hui savoir que l'année de référence serait non pas 2014… mais 2016.
Troisième point de litige : quelles ressources les départements rendront-ils à l'Etat parallèlement à la "renationalisation" du RSA ? Pour l'ADF, il était à peu près clair qu'il s'agirait des ressources qui leur avaient été octroyées lorsque le RMI leur avait été transféré lors de la réforme Raffarin de 2004 (le FMDI et l'ex-TIPP, devenue TICPE). Pas question en revanche de toucher aux rares ressources fiscales "actives" des départements. Sauf que l'ADF a appris mardi que le gouvernement lorgne bien du côté des DMTO… et même peut-être de la CVAE. A l'heure où les départements perdent déjà une part de CVAE en lien avec les transferts de compétences inscrits dans la loi Notr, forcément, cela passe mal.
Jean-René Lecerf, le président du Nord, présent mardi à Matignon, résume les choses ainsi : "L'ensemble des propositions de l'ADF, validées à l'unanimité de ses membres, ont toutes été rejetées par la délégation de fonctionnaires ministériels. Quant aux propositions du gouvernement, elles ont toutes été considérées comme inacceptables et refusées par l'ADF."
Certes, les collaborateurs du Premier ministre ont fait savoir qu'en attendant la loi de finances pour 2017, une "petite mesure financière" ponctuelle - selon les termes de Dominique Bussereau - pourrait être accordée aux départements courant 2016 dans le cadre d'une loi de finances rectificative. Une mesure vraisemblablement du même type que le fonds de soutien aux départements les plus en difficulté décidé fin 2015… dont le montant de 50 millions d'euros (réparti sur dix départements) est jugé notoirement insuffisant. Donc pour le président de l'ADF, s'il devait à nouveau s'agir d'une "mesure placebo" de cet ordre-là, ce n'est pas cela qui permettra aux finances départementales de tenir le choc en 2016.
"Les départements vont réagir fortement si nous n'avons pas un geste très fort du chef de l'Etat ou du Premier ministre dans les jours à venir", prévient Dominique Bussereau. Celui-ci a déjà écrit à Manuel Valls le 11 janvier et compte sans tarder "informer" François Hollande. Un arbitrage au plus haut niveau est donc attendu.
Si cet arbitrage n'était pas favorable ? Le président de l'ADF brandit clairement l'éventualité de "mesures de rétorsion". Les départements pourraient par exemple cesser de participer au financement de certaines actions relevant de l'Etat, notamment dans le cadre des contrats de plan. Autre menace évoquée : les départements pourraient demander à tous les bénéficiaires du RSA de s'inscrire à Pôle emploi. Effet désastreux sur les chiffres du chômage garanti (sachant que près de 60% des bénéficiaires du RSA socle ne seraient pas inscrits à Pôle emploi). "Certes, ce ne serait pas joyeux", reconnaît Dominique Bussereau.
En 2015, les dépenses du RSA ont avoisiné les 10 milliards d'euros, dont près de 4 milliards restés à la charge des départements. Si rien n'est fait, fin 2016, "ce sont 40 à 50 départements qui seront en difficulté budgétaire, qui ne pourront plus assurer leurs missions sociales, et peut-être ne pas payer la totalité du RSA", avertit une nouvelle fois l'ADF.

Claire Mallet

L'Essonne et la Seine-Saint-Denis ne peuvent plus payer, NPDC-Picardie veut bien aider...

La polémique sur le financement du RSA et son éventuelle recentralisation devient de plus en plus bruyante en ce début d'année. Pas une journée ou presque ne se passe sans qu'un département ne se fasse entendre sur le sujet.

Ainsi, en  Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, le président (PS) du conseil départemental, a présenté à ses élus le 14 janvier un "budget de révolte". Plus précisément, il a décidé d'inscrire au budget 2016 de la collectivité le même volume de crédits pour le financement du RSA que l'année précédente, alors que la dépense augmente de 5 à 8% par an. L'élu explique que "cette année encore, l'explosion continue des dépenses sociales obligatoires, et en particulier du RSA, pèse de manière insupportable sur le budget de la Seine-Saint-Denis, au moment même où nous devons faire face à la baisse des dotations de l'Etat et où les mécanismes de péréquation ne suffisent pas à corriger les inégalités entre les territoires". En 2015 - et malgré une hausse de 6% des crédits alloués au RSA -, les dépenses prévisionnelles ont été dépassées de cinq millions d'euros, tandis que le nombre d'allocataires du RSA franchissait la barre symbolique des 100.000. Stéphane Troussel demande donc que le gouvernement, qui "a pour la première fois accepté le principe de recentraliser le financement du RSA", passe "sans délai du discours aux actes".

La dette envers les associations étalée sur six ans

En Essonne, le président (Les Républicains) du conseil départemental a choisi une autre voie. A la fin du mois de décembre, François Durovray a annoncé que le département ne serait pas en état de régler sa dette aux associations du secteur. Il envisage donc d'étaler le règlement sur six ans, tout en l'assortissant d'intérêts. Cette mesure irait bien au-delà du RSA et concernerait aussi l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et, à travers elles, tout le secteur de l'aide à domicile. Si elle se confirme, cette mesure pourrait mettre en sérieuse difficulté les associations qui ne disposent pas d'un fonds de roulement suffisant. Lors du débat d'orientation budgétaire, le 14 décembre, François Durovray avait insisté sur la "situation financière catastrophique" de son département, tout en faisant porter la responsabilité sur son prédécesseur, auquel il a succédé en mars 2015. A cette occasion, il a également indiqué que l'agence Standard and Poor's avait décidé de baisser la notation du département "à A+ sous surveillance avec implication négative".

"Waterloo social"

Le président de l'Essonne a été rejoint ce lundi 18 janvier par ses homologues LR de trois autres départements de la grande couronne francilienne (Seine-et-Marne, Val-d'Oise, Yvelines) afin d'interpeller ensemble le gouvernement qu'ils accusent d'"organiser l'asphyxie départementale". Réunis au sein de l'association "Grande Couronne Capitale", les quatre élus ont dénoncé "le terrible effet ciseaux", entre forte augmentation des aides individuelles de solidarité et baisse "brutale" des dotations, "comprise entre 40 et 80% en quatre ans". "La France est en train de connaître un Waterloo social", a renchéri Pierre Bédier, à la tête des Yvelines. Selon Jean-Jacques Barbaux, président de Seine-et-Marne, les quatre départements vont devoir "avoir recours à la seule fiscalité qui nous reste, la taxe foncière, pour équilibrer nos budgets".
 

Aider sans empiéter

Xavier Bertrand, le nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie - et ancien ministre du Travail et de l'Emploi - a reçu, le 13 janvier, les cinq présidents des départements composant la région (dont trois - Aisne, Nord et Pas-de-Calais - figurent sur la liste des dix départements les plus en difficulté en matière de dépenses sociales). Xavier Bertrand, qui avait fait de la "valeur travail" un axe central de sa campagne, a affirmé l'intention de la région de s'engager aux côtés des départements sur le RSA. Il ne s'agit pas de les subventionner directement ou d'empiéter sur leurs compétences, mais "la région peut aider les départements en finançant davantage l'économie sociale et solidaire, les chantiers d'insertion, les chantiers écoles". Sans oublier la formation.  Pour concrétiser cet engagement, une convention doit être signée entre les trois collectivités "dans les prochaines semaines". Aussitôt après devraient commencer "les premières propositions pour les bénéficiaires du RSA".

Jean-Noël Escudié / PCA


 

 

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