Thibaut Guilluy : il faudra "renforcer considérablement la capacité d’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi"

Préfigurateur du projet France Travail, Thibaut Guilluy souligne le rôle majeur des structures d’insertion par l’activité économique dans la réponse d’accompagnement promise dans le cadre du service public de l’emploi. Pour réussir une telle mission, ces dernières réclament davantage de moyens et de souplesse.

Quels moyens seront nécessaires pour qu’aboutisse le projet France Travail ? Au-delà des discussions en cours sur le futur cadre commun du service public de l'emploi et sa gouvernance qui se poursuivent jusqu’au 15 décembre (voir notre article du 15 novembre), se pose aussi la question des ressources humaines disponibles pour faciliter le retour à l’emploi des chercheurs d’emploi les plus en difficulté.

"On va avoir besoin de renforcer considérablement la capacité d’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi. Et ce n’est pas Pôle emploi ou les départements qui vont être capables de le faire", a reconnu mardi 6 décembre le préfigurateur de la réforme du gouvernement, Thibaut Guilluy, lors de la journée annuelle consacrée à l'emploi, organisée par la Fédération des acteurs de la solidarité, dont la matinée était consacrée au projet “France Travail”.

Une "transformation profonde" de Pôle emploi

Devant les adhérents de la tête de réseau, réunis pour débattre des perspectives autour de la réforme, il a souligné le rôle clé du secteur de l’insertion par l’activité économique dans le cadre du futur service public de l’emploi. L’expérience et l’expertise du secteur en matière d’accompagnement social et professionnel auprès des personnes en situation d’isolement ou d’exclusion sera utile afin de favoriser l’insertion professionnelle des chômeurs de longue durée, ciblés par la réforme.

D’où la nécessité d’une "transformation profonde de l’opérateur Pôle emploi" autant que de "l’écosystème". Sans livrer de nouvelles informations sur la future architecture du projet, où la position de l’établissement public n’est pas encore claire, il insiste sur les limites de cette institution. "C’est une très belle maison qui fait des choses magnifiques dans sa mission, qui est d’accompagner les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Donc le bénéficiaire du RSA qui n’est pas inscrit, le sans abri qui est dans un centre d’hébergement d’urgence, ou le primo-arrivant qui est dans un Cada [Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile], ce n’est pas sa préoccupation première. Si on n’aligne pas les intérêts de l’opérateur d’État avec vos intérêts, les coopérations resteront compliquées", a déclaré le Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises.

L’écueil d’une "gouvernance par les nombres"

Interrogés sur les conditions nécessaires pour garantir un accès adapté à l’emploi de tous, les autres intervenants de la table ronde ont cherché à interroger le fond de la future réforme. Pour le président de Territoires zéro chômeur de longue durée, Laurent Grandguillaume, "il faut des médiations humaines et une coalition pour l'emploi". En outre,  les acteurs de l’emploi ne doivent pas être considérés comme des "prestataires" mais des "partenaires". Lors de l’élaboration de la loi Inclusion, "on a résisté au Parlement au fait d'être mis sous tutelle du service public de l'emploi", rappelle l’ex-député de la Côte-d’Or. Ce qui consistait, par exemple, à garder le libre choix en matière de sélection des publics pouvant intégrer les entreprises à but d’emploi, qu’ils soient inscrits ou non à Pôle emploi, et ainsi échapper aux logiques de "ciblage". Mais aussi de limiter le reporting.

"Il ne faudrait pas une gouvernance par les nombres", poursuit Laurent Grandguillaume, car celle-ci est synonyme de "risques de sélection et d’exclusion". Un écueil que signale aussi Guillaume Blanc, coordinateur des programmes "Premières heures" et "Convergences" auprès de la Métropole européenne de Lille et qui visent à faire travailler des personnes sans abri tout en leur proposant un accompagnement global, associant solutions de logement et remise en santé. Il met en garde contre la tentation de fixer des objectifs de retour à l’emploi trop exigeants, au risque, analyse-t-il lui aussi, d’opérer un tri des publics à l’entrée. Car dans son programme, "les sorties positives ne sont pas toujours au rendez-vous".

Des chantiers d’insertion en difficulté

"La difficulté, c'est la question du temps que l'on accorde aux publics et aux acteurs pour travailler", a souligné de son côté la directrice de la Fédération des acteurs de la solidarité, Nathalie Latour. Fortement soutenues par les pouvoirs publics sous le précédent quinquennat, les structures d’insertion par l’activité économique se voient désormais rattrapées par l’inflation et la hausse du Smic, qui réduit le potentiel d’accueil de personnes en insertion. Contre l’avis du gouvernement et de la commission des Finances du Sénat, les sénateurs ont adopté en séance publique un amendement visant à augmenter de 30 millions d’euros le budget en faveur du secteur et ainsi poursuivre la croissance du nombre de postes en contrat d’insertion.

Mais pour les ateliers et chantiers d’insertion, structures les plus subventionnées par les pouvoirs publics car s’adressant aux publics les plus en difficulté, les problèmes budgétaires ne datent pas forcément de la crise mais renvoient à un sous-financement chronique. "Quel atelier et chantier d’insertion n’est pas déficitaire?" a interrogé le directeur du groupement associatif Aiden, Étienne Wasser. Augmenter les objectifs de production des salariés en insertion pour autofinancer la structure expose au risque de dégrader leur insertion professionnelle. Ayant choisi au contraire de leur libérer davantage de temps pour préparer leur retour à l’emploi, il fait valoir une hausse importante des "sorties dynamiques" (accès à un CDI, un CDD, emploi aidé ou formation). Une démarche coûteuse pour le budget de l’association. "L’insertion coûte 12 euros de l’heure alors qu’on en est financé à hauteur de 6 euros", explique-t-il. Une baisse des effectifs dédiés à l’accompagnement se traduirait, chez lui, par une plus forte sélection des publics accueillis.

 

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