Un nouveau plan de lutte contre la corruption, alors que les atteintes à la probité vont croissant
Publié avec retard alors que les atteintes à la probité vont croissant, le 2e plan national de lutte contre la corruption prévoit 36 mesures, dont trois ciblent directement les collectivités, en première ligne : clarification du cadre juridique, accompagnement des élus et des agents et renforcement du contrôle de l’application des dispositifs de prévention. Plus largement, le plan instaure un comité interministériel, prévoit des mesures spécifiques pour les zones sensibles (ports, aéroports) et des possibilités renforcées de criblage des agents publics ou, encore, tisse un lien entre CNCCFP et Tracfin.
© Capture vidéo Sénat/ Isabelle Jégouzo
Près de trois ans. C'est le temps qu'il aura fallu patienter pour prendre connaissance du 2e plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, qui vient seulement d'être publié, le 14 novembre dernier. L'heure n'est pourtant pas à la procrastination. Le document rappelle en effet que le nombre d'infractions pour des atteintes à la probité enregistrées par la police ou la gendarmerie "augmente régulièrement (+50,9% entre 2016 et 2024)". Et il souligne que les travaux de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (lire notre article du 16 juin) "ont mis en lumière le risque accru de développements de pratiques corruptives", notamment au sein des collectivités (lire notre entretien avec Michel Gandilhon du 13 mai 2024).
Les collectivités en première ligne, insulaires en tête
Le document rappelle d'ailleurs que "plus de 40%" des condamnations en matière d'atteintes à la probité concernent les collectivités (lire notre article du 2 juillet). Avec une concentration des faits "dans les territoires insulaires ou ultra-marins" : 424,4 condamnations prononcées par million d'habitants en Corse entre 2014 et 2023, 250,5 à Mayotte ou encore 217,3 en Guadeloupe, contre 15,8 en Bretagne ou 24,3 dans les Pays de la Loire. En métropole, Paca (115,2) et l'Île-de-France (107) font figure de mauvaises élèves. S'il est rappelé que ces faits d'atteintes à la probité sanctionnés par les tribunaux restent "peu nombreux au regard du nombre d'élus et d'agents territoriaux", l'aide aux collectivités pour prévenir ces atteintes n'en constitue pas moins l'axe 2 de ce nouveau plan.
Clarifier, accompagner, contrôler
Trois des 36 mesures de ce dernier visent ainsi directement les collectivités.
• La première entend "clarifier le cadre juridique applicable […] afin de se concentrer sur les cas les plus problématiques sans entraver l'action publique". Concrètement, il est notamment prévu de modifier celui de l'infraction de prise illégale d'intérêts pour supprimer cette dernière dans le cas de conflits entre deux intérêts publics. Une mesure qui ne devrait pas être difficile à tenir, puisqu'elle est déjà en cours d'adoption au Parlement (lire notre article du 13 novembre). Sont également visés "la clarification des règles relatives à l'encadrement des recrutements familiaux pour les postes pourvus sans concours dans les collectivités" et "le renforcement des dispositions déontologiques du code de sécurité intérieure applicables à la police municipale", également déjà prévu dans le projet de loi sur les polices municipales (lire notre article du 30 octobre).
• La deuxième vise à accompagner les élus et les agents dans la maîtrise des risques d'atteintes à la probité, en prévoyant classiquement la mise à disposition d'outils – tels que "Probi-cités", outil d'autoévaluation de la qualité des dispositifs mis en œuvre par les collectivités développé par l'Agence française anticorruption (AFA) au profit des maires – et de formation ainsi que le renforcement des échanges de bonnes pratiques.
• La troisième entend renforcer le suivi et le contrôle de la bonne application par les collectivités des dispositifs de prévention et de détection "du risque probité" (lire notre article du 25 avril 2022). Une "réflexion" sur l'élaboration d'un "recensement des collectivités respectant ou non leurs obligations de publicité des données essentielles de la commande publique" est également envisagée. De manière globale, le plan prévoit d'ailleurs de mettre l'accent sur la "sécurisation de l'achat public", notamment par le biais du label "Relations fournisseurs-achats responsables" (lire notre article du 6 avril 2021). Lequel n'avait été attribué, fin 2024, qu'à 119 acteurs publics et privés, selon le bilan 2024 du médiateur des entreprises, chargé de les attribuer.
Comité interministériel, criblage renforcé…
Parmi les autres mesures prévues par le plan, signalons :
- la création d'un comité interministériel dédié, dont les travaux seront coordonnés par l'AFA, et qui "se réunira régulièrement pour s'assurer d'une mobilisation pérenne de l'État" en ce domaine ;
- l'adoption de mesures spécifiques pour les ports et les aéroports, "zones particulièrement exposées" ;
- le renforcement des possibilités de criblage des agents publics, lesquels sont les premiers exposés, enseignait récemment l'AFA (lire notre article du 9 décembre) ;
- ou encore l'habilitation de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) recevoir des renseignements financiers de Tracfin. Commission qui alertait récemment sur les risques d'ingérences liées au narcotrafic lors des prochaines élections municipales (lire notre article du 12 novembre).
Soulignons enfin qu'alors que le premier plan était triennal (2020-2022 – lire notre article du 13 janvier 2020), le nouveau voit sa durée porter à cinq ans (2025-2029). "Quatre", selon les ministres Gérald Darmanin et Amélie de Montchalin, qui passent donc l'année 2025 – il est vrai bien entamée – par pertes et profits. De quoi laisser davantage de temps à l'Administration pour préparer le suivant.