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Accès à l'emploi des réfugiés ukrainiens : bientôt un décret... avant une loi ?

Le gouvernement a élaboré un projet de décret devant faciliter l'accès au travail pour les bénéficiaires de la protection temporaire, dispositif prévu par une directive européenne mis en œuvre pour la première fois et pour l'heure mal intégré dans le droit français. Le futur décret prévoit que "cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle". Une proposition de loi sénatoriale entend, dans le même objectif, retoucher le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Face à l'afflux de réfugiés ukrainiens, qui pourrait se révéler durable, la question de l'intégration se pose avec acuité. Au-delà de la question du logement, qui a déjà fait l'objet de plusieurs annonces, un séjour prolongé suppose nécessairement un accès au marché du travail. Sur ce point, la France, comme les autres pays de l'Union européenne, se trouve dans une situation inédite. Pour organiser au mieux l'accueil d'un flux de réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de l'Union européenne a en effet décidé, le 4 mars, de mettre en œuvre, pour la première fois, la protection temporaire prévue par une directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 (après le conflit en ex-Yougoslavie). Sans constituer une reconnaissance du droit d'asile au sens de la Convention de Genève, la protection temporaire, qui peut durer jusqu'à trois ans, permet aux personnes éligibles d'obtenir un statut légal et des droits similaires aux personnes réfugiées.

Projet de décret : un droit à l'exercice d'une activité professionnelle

Problème : jamais encore appliquée malgré plusieurs demandes infructueuses (notamment lors de la crise des réfugiés syriens en 2015), la protection temporaire est peu intégrée au droit national. En matière d'accès au travail, l'article L.581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoit uniquement que l'étranger bénéficiaire d'une protection temporaire "est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail".

Le gouvernement a donc élaboré un projet de décret en Conseil d'État "relatif au droit au travail des bénéficiaires d'une protection temporaire", soumis pour avis le 25 mars à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle (CNNCEPF). L'objectif est "d'assurer une protection aussi favorable que possible, dans le cadre des normes minimales fixées par ladite directive [de 2001 créant la protection temporaire], et dans un contexte d'urgence, une simplification de l'accès au travail pour les bénéficiaires de la protection". En pratique, le décret, qui tient en un article de contenu, ajoute à l'article R.581-4 du Ceseda un alinéa visant l'autorisation provisoire de séjour liée à la protection temporaire et précisant que "cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle". En cohérence, le même article du décret abroge la disposition du Ceseda (article R.581-6), qui prévoit actuellement la délivrance de l'autorisation de travail en complément de l'autorisation provisoire de séjour, celle-ci n'étant plus exigée au regard des nouveaux droits associés à l'autorisation provisoire de séjour pour les bénéficiaires d'une protection temporaire.

Une proposition de loi pour se mettre en phase avec la directive

Dans le même temps, une proposition de loi "tendant à rendre effectif l'accès au marché du travail des protégés temporaires et des demandeurs d'asile" a été déposée le 22 mars à la présidence du Sénat. Elle émane du groupe socialiste et est signée de son président, Patrick Kanner, et d'une quarantaine de sénateurs. Selon l'exposé des motifs, "s'agissant de l'accès au marché du travail, il apparaît que les dispositions légales qui figurent dans notre droit national ne confèrent pas à la directive 2001/55/CE sa pleine portée". Comme déjà indiqué, l'article L.581-3 du Ceseda prévoit en effet, dans sa rédaction actuelle, que le bénéficiaire d'une protection temporaire "est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail". Dans ces conditions, selon l'exposé des motifs, "l'accès au marché du travail, indissociable du régime de la protection temporaire en vertu de la directive 2001/55/CE, n'apparaît donc pas automatique dans notre droit national. Et de fait, l'étranger bénéficiaire d'une protection temporaire en France devra entreprendre de complexes et longues démarches afin de disposer d'une autorisation de travail distincte de son autorisation provisoire de séjour. Ainsi, la législation nationale ne parait conforme ni à l'esprit ni à la lettre de la directive 2001/55/CE".

La proposition de loi prévoit donc de remplacer les mots "assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail" par les mots "qui lui confère le droit d'exercer une activité professionnelle, sur le territoire métropolitain, dans le cadre de la législation en vigueur". En attendant une éventuelle modification législative, le projet de décret du gouvernement crée une automaticité de l'accès au travail qui est certes conforme à la directive européenne, mais apparaît contradictoire avec la rédaction restrictive de l'article L.581-3 du Ceseda. Alors que le Parlement ne se réunira pas avant la fin du mois de juin (après le second tour le 19 juin), le gouvernement a donc choisi la voie de l'urgence et de l'efficacité.

Un accès à l'emploi avant même le décret ?

Le gouvernement n'a d'ailleurs pas attendu son propre projet de décret pour intervenir sur la question de l'emploi. Dans un communiqué du 17 mars, Élisabeth Borne, la ministre du Travail, annonce le lancement d'un module dédié à l'accueil des réfugiés ukrainiens par les entreprises sur le portail gouvernemental "Les entreprises s'engagent". Outre les dons matériels et financiers ou les propositions de logements, "un module dédié est également développé pour l'accueil des personnes déplacées au sein des entreprises". Il reste maintenant à savoir si le gouvernement jugera nécessaire, dans les mois qui viennent, d'adapter le Ceseda pour que le décret (pour lequel l'accès au marché du travail est de droit) soit en phase avec l'article L.581-3 (pour lequel cet accès est conditionnel). Auquel cas la proposition de loi pourrait servir de véhicule législatif.

À noter : la proposition de loi sénatoriale ne s'arrête pas à la question de la protection temporaire. Elle entend en effet "réformer les règles relatives à l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile", en prévoyant notamment la possibilité de déposer une demande d'autorisation de travail dès le dépôt de la demande d'asile et l'instauration d'un accès de droit au marché du travail si l'Ofpra ou, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile n'ont pas statué dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande.

 

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