Investir dans le grand cycle de l'eau à l'heure du dérèglement climatique

Entre les sécheresses et les inondations, le grand cycle de l'eau subit de plein fouet les effets du changement climatique. Les territoires sont de plus en plus exposés aux déséquilibres hydriques et doivent adapter leur gestion de l’eau. Investir dans le grand cycle de l’eau – qui régit le parcours naturel de l’eau à travers les océans, l’atmosphère, les sols et les nappes – devient un impératif pour protéger les populations, préserver la ressource et anticiper les risques.

Quand le grand cycle de l’eau se dérègle : un coût humain et financier

L’eau occupe une place croissante dans l’actualité, tantôt absente, tantôt présente en excès. Dans le Sud de la France, principalement le département des Pyrénées-Orientales, les épisodes de sécheresse rappellent combien cette ressource est essentielle à la vie quotidienne. Les usages domestiques les plus élémentaires deviennent difficiles : à certaines heures, l'eau ne coule plus au robinet, empêchant les habitants de se doucher, de cuisiner, de faire des lessives…

En 2022, un millier de communes ont été touchées par une rupture d'approvisionnement. Les villes sont alors obligées de procéder à des distributions d'eau en bouteille ou d'opérer des approvisionnements grâce à des camions citernes. Le manque d'eau peut aussi créer des tensions entre les différents usages. Dans certains cas, des établissements touristiques, comme des hôtels, des centres de vacances et des campings, ont été soumis à des restrictions d'eau mais aussi à des restrictions de leur capacité d'accueil.

Les activités économiques sont également impactées avec des répercussions fortes dans deux secteurs essentiels : le tourisme et l'agriculture. Ces déséquilibres révèlent les fragilités du grand cycle de l’eau, de plus en plus perturbé par le dérèglement climatique.

Dans d'autres régions, comme le Nord, le Pas-de-Calais et plus récemment la Bretagne, l'eau s'est montrée dévastatrice lors d'inondations d'une ampleur exceptionnelle. Des habitations, des commerces, des équipements publics, des cultures ont été complètement détruits. Ces crues, plus violentes et plus nombreuses, donnent lieu à des indemnisations toujours plus coûteuses qui renchérissent le tarif des assurances.

Entre 1982 et 2022, les assureurs ont versé à l'échelle nationale 50 Md€ d'indemnisations, dont la moitié liée aux inondations. Le coût moyen annuel des inondations s'élève donc à plus de 600 M€ et ce montant est probablement amené à augmenter. En comparaison, la commande publique dédiée au grand cycle de l'eau se chiffre à 1,8 Md€ par an.

Investir dans le grand cycle de l'eau

Ces sécheresses et inondations ne sont que le reflet d'une gestion de l'eau de plus en plus exposée aux effets du dérèglement climatique. Pourtant, des solutions peuvent être déployées pour préserver cette ressource et limiter les dégâts des phénomènes extrêmes, en agissant sur le grand cycle de l'eau

Pour rappel, le grand cycle de l'eau désigne le cycle naturel de la ressource alors que le petit cycle de l'eau se focalise sur l'eau potable et les eaux usées. Les étapes qui composent le grand cycle de l'eau sont l'évaporation de l'eau des mers et océans, la condensation dans l'atmosphère, les précipitations sous forme de pluie ou de neige, la restitution dans les cours d'eau ou l'infiltration dans les nappes phréatiques. Avant que le grand cycle de l'eau recommence à nouveau.

Différentes mesures peuvent être prises pour ralentir le cycle de l'eau et ainsi mieux répondre aux besoins saisonniers. La restauration des milieux aquatiques, la désimperméabilisation, la végétalisation, la construction d'infrastructures sont les principaux leviers d'action.

Adrien Daros – Responsable de l'animation Grand cycle de l'eau à la Banque des Territoires

Aujourd'hui, 80 % des dépenses des acteurs publics se concentrent encore sur le petit cycle de l'eau. En effet, les collectivités locales détiennent la compétence Eau et doivent délivrer aux habitants une eau de qualité. Puiser puis rendre potable l'eau avant de traiter les eaux usées entrent donc dans leur champ d'action.

Toutefois, les collectivités sont de plus en plus conscientes de la nécessité d'investir dans le grand cycle de l'eau et sont désormais prêtes à entreprendre des actions.

​​Un service pour découvrir, comprendre et anticiper l'eau sur les territoires ​

Afin d'aider les collectivités à mieux comprendre et anticiper les enjeux liés à l'eau, la Banque des Territoires a lancé un nouvel outil : AquaRepère. Il vise à donner des points de repère sur l’évolution de la ressource en eau sur le territoire à différents échelons administratifs et géographiques.​

Renforcer le fonctionnement du grand cycle de l’eau : des solutions fondées sur la nature

Assurer un bon fonctionnement du grand cycle de l'eau se joue à plusieurs niveaux au sein d'écosystèmes différents. Parmi les mesures possibles :

  • la restauration des milieux aquatiques en renaturant et en préservant les zones humides comme les marais, les tourbières, les forêts, etc. ;
  • la désimperméabilisation couplée à la végétalisation pour favoriser la recharge des nappes phréatiques, éviter la saturation des réseaux et rafraîchir l'atmosphère dans les villes et secteurs urbanisés.

Les milieux aquatiques ont un rôle d'éponge pour reconstituer les réserves et ralentir le cheminement de l'eau vers la mer. Et en supprimant les espaces artificialisés, comme les grandes places ou les parkings bétonnés, pour recréer des espaces végétalisés, l'eau s'infiltre dans le sol pour arroser les plantes et les arbres avant d'alimenter les nappes phréatiques. L'eau de pluie ne vient donc pas surcharger les réseaux et les unités de traitement.

Dans les zones sensibles, à l'image des vallées agricoles, un travail sur les cours d'eau peut être envisagé afin de casser l'effet rectiligne souvent créé par la main de l'homme.

L'objectif est de redonner au cours d'eau son état hydromorphologique originel. Le reméandrage consiste à allonger le tracé du cours d'eau pour retrouver une morphologie plus sinueuse.

Adrien Daros – Responsable de l'animation Grand cycle de l'eau à la Banque des Territoires

Pour réduire les dommages occasionnés lors des épisodes extrêmes, des solutions existent également afin de gérer les excès d'eau. Des espaces naturels servant de champ d'expansion de crue ou des bassins de rétention ad hoc peuvent être construits en amont des zones à risque.

L'édification d'un barrage ou d'une digue vient, quant à elle, augmenter la capacité de ces zones tampons qui ont vocation à retenir provisoirement l'eau qui s'est déversée en trop grande quantité.

La Banque des Territoires lève le frein du financement

Les interventions sur le grand cycle de l'eau sont souvent coûteuses et la question du financement reste le premier frein pour les collectivités locales. Pour répondre à cet enjeu, la Banque des Territoires peut ponctuellement les accompagner en ingénierie pour les aider à construire un projet durable. Elle propose notamment l’Aqua Prêt.

Destiné à accompagner les collectivités locales, les syndicats et régies locales dans la gestion intelligente de l'eau, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, l'Aqua Prêt délivre un taux indexé sur le Livret A + 0,40 % avec une durée d'amortissement de 25 à 60 ans (voire même 80 ans pour la renaturation avec le Prêt Gaïa Territorial). Ce prêt permet de couvrir jusqu’à 100 % du besoin d'emprunt.

Pour marquer la volonté forte de la Banque des Territoires sur cette thématique et encourager les collectivités locales à accélérer le nombre de projets liés à l'eau, l'enveloppe de l'Aqua Prêt a été portée de 2 à 4 Md€ en 2023. L'an dernier, la Banque des Territoires a financé 400 projets à hauteur de 800 M€.

Parmi les projets soutenus, citons :

  • le syndicat du bassin Célé-Lot médian dans l'Aveyron qui a bénéficié d'un Aqua Prêt de 200 000 €, sur un investissement total de 800 000 €, pour sécuriser la traversée d'Auzits en rouvrant la rivière Riou Viou, qui traversait le village via un tunnel souterrain sous-dimensionné, et en renaturant les berges de ce cours d'eau ;
  • la commune de Puget-Ville dans le Var qui a obtenu un Aqua Prêt de 1,2 M€, soit le financement complet, pour mener un programme de désimperméabilisation et de réfection de son réseau d'eaux pluviales ;
  • le syndicat de la Vallée de l'Ognon en Haute-Saône qui a reçu un Aqua Prêt de 300 000 €, sur un investissement total de 870 000 €, pour réhabiliter un barrage.

La capacité des territoires à assurer une bonne gestion de l'eau et à répondre aux besoins en eau est un critère d'attractivité de plus en plus important pour les habitants comme les entreprises. Investir dans le grand cycle de l'eau est vital à plusieurs titres.

Adrien Daros – Responsable de l'animation Grand cycle de l'eau à la Banque des Territoires

Face à des événements climatiques de plus en plus intenses et imprévisibles, la gestion du grand cycle de l’eau est un enjeu prioritaire pour les territoires. Préserver les zones humides, désimperméabiliser les sols, restaurer les cours d’eau ou créer des dispositifs de rétention naturelle sont autant de solutions qui permettent d’agir.  

Si les coûts de ces investissements peuvent représenter un frein, ils doivent être envisagés comme une réponse nécessaire à l’urgence climatique. À travers une approche intégrée et des dispositifs de financement adaptés, les collectivités disposent aujourd’hui des leviers pour renforcer leur résilience hydrologique et territoriale. 

Adrien Daros

Responsable de l'animation Grand cycle de l'eau à la Banque des Territoires

Titulaire d'un Master Gouvernance de la transition écologique de Sciences Po Bordeaux, Adrien Daros a effectué son alternance à la Banque des Territoires. Il a ensuite intégré l'équipe du Programme Eau au poste de Responsable de l'animation Grand cycle de l'eau.