Congrès HLM : les maires au pied du mur

À l’heure où la crise du logement social s’aggrave, les maires, en première ligne, alertent : ils sont à la fois incontournables… et de plus en plus impuissants. Lors du congrès HLM, cinq élues locales ont partagé leurs expériences et leurs frustrations face à un système centralisé, des contraintes réglementaires étouffantes et une opinion publique de plus en plus rétive à l’idée de construire

Ils reçoivent chaque jour des demandes de logement, mais doivent faire face à des recours, des oppositions et un cadre contraint : les maires sont au cœur d’un paradoxe devenu inextricable. C’est ce constat qui a servi de fil rouge à une séance plénière du congrès HLM (voir en lien ci-dessous nos précédents articles relatifs à ce congrès), consacrée à la relation complexe, souvent tendue, mais toujours essentielle, qu'entretiennent les édiles avec le logement social.

Si la nécessité du logement social fait consensus, la première difficulté rencontrée par les maires est la contradiction permanente entre la demande pressante des ménages et l'opposition virulente des riverains.

Construire face à l’inquiétude

Nathalie Appéré, maire de Rennes, a souligné l'ampleur de cette pression : "La première demande qui est adressée à un maire, c'est comment loger chacune et chacun pour lui permettre d'habiter là où il veut, à un prix abordable qui correspond à ses revenus et construire sa vie". Elle note que cette demande forte contraste avec un débat public trop souvent trusté par les voix de l'opposition : "Ce que j'appelle les concerts de casseroles, émane souvent de collectifs, de propriétaires inquiets de voir leur environnement évoluer. Et c'est bien légitime d'être inquiet ! À nous de rassurer, de trouver les méthodes de concertation qui permettent que l'acceptabilité des projets soit possible, sans renoncer à cet objectif de loger chacune et chacun."

À Strasbourg, Jeanne Barseghian est confrontée à un paradoxe similaire. Alors que la métropole compte 30.000 demandeurs de logements sociaux, la maire doit faire face aux attaques contre les permis de construire : "Nous sommes interpellés à la fois par des habitants qui disent qu'ils ont besoin de logement, cela m'arrive quasiment tous les jours, et puis parfois attaqués en justice par des habitants qui dénoncent nos permis de construire, parce qu'ils considèrent qu'on est les pourfendeurs de la bétonisation..."

Pour elle, la réponse réside dans la recherche de l'intérêt général et dans l'exigence envers les promoteurs et bailleurs en matière de qualité architecturale et de création d'espaces de respiration, permettant ainsi de rendre la ville plus désirable, plus “bien habitable”.

Des stratégies locales face au foncier contraint

Face à la pénurie de foncier, surtout dans les zones denses, les maires doivent déployer des trésors d'ingéniosité.

À Vincennes, ville extrêmement dense (l'équivalent de Manhattan, selon sa maire Charlotte Libert Albanel), l'objectif est de "construire la ville sur la ville" pour passer de 7% à un objectif de 13% de logements sociaux. Dans ce contexte, l'acceptabilité des projets est un combat : "Chez moi, les recours sur les permis de construire sont systématiques. Alors ces projets peuvent durer des années et des années. Plus c'est dense, plus c'est compliqué. Et donc, il faut donner du positif." Le "positif" pour Vincennes, c'est construire "joli" et offrir des équipements publics ou, ici aussi, des espaces de respiration, comme transformer un jardin de maison préemptée en parc ouvert au public, pour rendre le changement acceptable.

À Chanteloup-les-Vignes, Catherine Arenou a mené une politique de renouvellement urbain visant à réduire la concentration de logements sociaux (passant de 65% à 46%) tout en offrant un parcours résidentiel aux habitants. Cette transformation profonde a nécessité de la démolition (350 logements sociaux) et de la reconstruction (650 logements différents, privés et sociaux). "Je reste persuadée que notre mission, ma mission, c'est donner la liberté aux gens de rester ou de partir. De venir, ou de ne pas venir. C'est toute la difficulté, effectivement, maintenant, du manque de logement social."

L'échelle intercommunale : solidarité nécessaire ou contrainte ?

Le rôle de l'intercommunalité est apparu comme l'échelle pertinente pour penser l'équilibre territorial et la mixité sociale. Pour Catherine Arenou, il est impossible de concevoir l'équilibre au seul niveau d'une petite commune. L'intercommunalité permet la mutualisation des moyens et l'introduction de la solidarité.

Toutefois, cette échelle fait débat en fonction du territoire. Si, pour Nathalie Appéré, l'interco est essentielle dans un bassin de vie cohérent comme une métropole, elle s'oppose fermement à la mutualisation des amendes SRU, qui sert selon elle d'"instrument de pression amicale" pour aiguillonner les maires récalcitrants.

Charlotte Libert Albanel a quant à elle exprimé un bémol, notamment pour la première couronne parisienne : "On nous a imposé des intercommunalités en première couronne qui ne répondent pas à la logique que vous décrivez, c'est-à-dire du bassin de vie. Donc on se retrouve avec des structures ad hoc qui ne représentent pour certaines rien en termes de transport, de logement... Il n'y a pas de cohérence, d'ensemble." La maire de Vincennes insiste ainsi sur la nécessité de respecter l'identité et l'histoire des collectivités, même dans un cadre élargi.

La décentralisation… sans les moyens 

La question la plus pressante adressée à l'État concerne le financement et le débat sur la décentralisation. Les intervenantes ont été unanimes : déléguer des politiques sans allouer les ressources nécessaires est stérile.

Nathalie Appéré a résumé la position des élus avec une formule largement applaudie par l’assistance : "Décentraliser du rien, ça reste toujours du rien. Et donc, s'il n'y a plus d'aide à la pierre, avec une extinction du Fnap, s'il n'y a plus les moyens d'une politique de rénovation thermique, s'il y a un État qui ne tient pas ses engagements sur l'Anru 2, alors qu'on a tellement besoin de finir, et sur l'Anru 3, alors qu'on a tellement besoin d'aller plus loin, on peut toujours décentraliser… Pour ensuite dire aux maires à quel point ils sont mauvais !" L'État ne peut se désengager, selon elle, d'autant que le secteur de l'habitat contribue massivement aux recettes nationales (90 milliards d'euros de recettes pour 40 milliards de dépenses).

Amandine Demore a quant à elle plaidé pour un usage plus ciblé des fonds existants, notamment concernant les amendes SRU. "L'argent retiré aux communes carencées, mais volontaires, devrait être réinjecté dans la production à partir du moment où la commune est volontaire pour le faire", estime-t-elle.

Vers une politique systémique du logement

Face à ces défis, les maires ont souligné la nécessité d'une approche systémique, qui concilie production, rénovation thermique, mixité sociale et politique des loyers.

Abordant les outils à disposition, Nathalie Appéré a exposé l'expérience du loyer unique à Rennes, un dispositif visant à mettre fin à ce qu’elle appelle la "géographie ségrégative des loyers". L'effet pervers des anciens systèmes d'aides est manifeste, a-t-elle expliqué : un même logement social pouvait avoir un différentiel de 150 euros de loyer selon qu'il ait été construit dans les années 1960 (avec des aides massives de l'État, garantissant des loyers bas) ou dans les années 1980/90. Cette disparité entraînait une affectation ségrégative des ménages modestes vers les quartiers traditionnels d'habitat social. La politique de loyers harmonisée permet de rétablir un choix pour les locataires : "Avec une politique des loyers, on peut redonner un choix résidentiel. Subir la ghettoïsation, c'est la double peine : habiter dans un environnement qui ne vous convient pas, mais en plus ne pas avoir le choix."

Si les maires sont prêts à assumer la responsabilité du logement, ils exigent donc de l'État non pas un désengagement via une décentralisation factice, mais un engagement financier visible et une visibilité à long terme pour des opérations qui se projettent sur 40 à 50 ans. Sans quoi la crise du logement pourrait devenir le point de rupture d’un modèle territorial déjà fragilisé.

 

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