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Déconfinement : Edouard Philippe précise son plan, le Sénat le rejette symboliquement

Edouard Philippe a une nouvelle fois présenté ce 4 mai la stratégie de déconfinement, cette fois devant les sénateurs. Avec, au passage, des précisions et développements. Y compris sur l'enjeu de la responsabilité des maires ou encore sur la logique du dépistage et traçage. Près de la moitié des sénateurs se sont abstenus.

Juste avant de se pencher sur le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire (voir notre article de ce jour), le Sénat était à son tour invité à se prononcer, ce 4 mai après-midi, sur la stratégie de déconfinement du gouvernement présentée la semaine dernière par le Premier ministre. Or les sénateurs ont majoritairement voté contre : 89 voix contre, 81 voix pour et 174 abstentions, avec une abstention "massive" des élus LR et un vote contre des groupes socialiste et communiste. Comme à l'Assemblée où le plan avait été approuvé, ce vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, avait surtout une valeur symbolique et pas d'impact sur le lancement du déconfinement.

En présentant ce plan devant les sénateurs, Edouard Philippe a naturellement repris les grandes lignes de son allocution du 28 avril (voir notre article). Avec, toutefois, quelques informations nouvelles, alors que la fameuse date du 11 mai approche à grands pas et suscite des interrogations croissantes, que la carte des départements rouges et verts (et, provisoirement, oranges) est rendue publique tous les soirs depuis jeudi dernier, que les plusieurs ministères ont, depuis le 28 avril, été conduits à préciser ce qui est prévu dans leurs domaines respectifs (éducation, transports, travail…) et que les échanges avec les représentants des élus locaux se sont multipliés ces derniers jours. 

Durant ses 50 minutes d'allocution, le Premier ministre a en tout cas de nouveau martelé que les "clés du déconfinement se trouvent sur le terrain, entre les mains des acteurs locaux", que "le bon sens invite à ce que le rythme et les modalités du déconfinement s’adaptent aux spécificités de chaque territoire" même si "nos exigences de santé publique et de reprise économique ont évidemment vocation à demeurer nationales".

Responsabilité des maires - Edouard Philippe souhaite conserver "l'équilibre" actuel de la loi Fauchon sur la responsabilité des maires, malgré leurs inquiétudes quant aux décisions à prendre pour le déconfinement. "Préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l'état des connaissances au moment où l'on a agi, ou pas agi, oui. Atténuer la responsabilité, je suis nettement plus réservé", a-t-il déclaré. "Ce n'est en rien un hasard si les mots de la loi Fauchon n'ont pas bougé depuis 20 ans" et ce régime "n'a pas empêché, depuis 20 ans, de prendre des décisions", a-t-il souligné. "J'en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre, je n'ai été empêché de prendre les décisions que j'estimais devoir prendre au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens", a ajouté l'ex-maire du Havre. Mais "les inquiétudes sont là, et il nous faut y répondre", avec "deux convictions", a poursuivi le chef du gouvernement. "La première est que notre Constitution nous invite à ne pas aborder cette question de manière segmentée, en pensant à telle catégorie de responsables ou à telle autre", selon lui. "La seconde est que cette question mérite d'être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs, publics ou privés, s'exonèrent de leurs responsabilités", a ajouté Edouard Philippe. Il appartient au Parlement de "trancher" si la question "doit être à l'occasion d'un amendement ou d'un texte spécifique", a-t-il conclu, s'en remettant à la "sagesse" des parlementaires. S'il a abordé cette question, c'est non seulement parce qu'elle est actuellement soulevée par les représentants des maires, mais aussi parce qu'elle a fait l'objet d'un amendement au projet de loi de prolongation de l'urgence sanitaire, amendement adopté ce 4 mai en commission des lois (voir encadré à notre article de ce jour). La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, invitée à répondre comme d'autres membres du gouvernement aux questions des sénateurs, a elle aussi jugé qu'en l'état actuel des choses, on voyait mal "comment la responsabilité d'un élu pourrait être engagée" dans le cadre des actions à mettre en œuvre en lien avec la crise sanitaire. Toutefois, si une "clarification du droit" devait s'avérer nécessaire, "nous sommes prêts à conduire ce travail", a-t-elle assuré.

Une nouvelle aide pour les jeunes - Après avoir rappelé les diverses mesures déjà prises sur le front social (aide exceptionnelle de solidarité, qui sera versée automatiquement par les Caf le 15 mai, hébergement, aide alimentaire…), Edouard Philippe a annoncé qu'une aide de 200 euros sera versée à 800.000 jeunes de moins de 25 ans. Les "étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage" et les "étudiants ultramarins isolés qui n'ont pas pu rentrer chez eux" se verront verser "début juin" cette somme de 200 euros et les "jeunes de moins de 25 ans, précaires ou modestes, qui touchent les APL" la percevront à la "mi-juin".

Masques - Il a confirmé l'annonce qu'il avait faite le 29 avril suite à sa visioconférence avec les associations d'élus (voir notre article) : la prise en charge de 50% du coût des masques grand public achetés par les collectivités locales interviendra "de façon rétroactive" afin de prendre aussi en compte "les commandes passées à compter du 13 avril dernier". Il a par ailleurs rebondi sur l'une des "polémiques" du weekend, au sujet des masques que la grande distribution doit commencer à vendre : "Je peine à comprendre quel intérêt aurait eu la grande distribution à cacher des stocks de masques, au lieu de les vendre en temps de pénurie. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de stocks cachés : il y a eu des commandes massives, et il faut un certain temps avant qu’elles se concrétisent en millions de masques disponibles pour l’ensemble de nos concitoyens".

Dépistage, traçage et isolement - On saura que "depuis la semaine dernière, les élus, les préfets et les directeurs généraux d’ARS disposent des éléments leur permettant de planifier la levée du confinement" et que tout cela se déploiera "à l'échelle de chaque département" : "Les professionnels de santé libéraux, à commencer par les médecins généralistes, seront en première ligne pour identifier les malades et leur entourage familial immédiat ; les équipes de l’Assurance Maladie prendront ensuite le relais pour tracer les cas contacts ; enfin, si des clusters apparaissaient, il reviendrait aux ARS et aux préfets de gérer ces cas, plus complexes encore".
Lors des échanges avec les sénateurs, Edouard Philippe a ensuite indiqué craindre davantage le manque de "bras" pour analyser les tests et remonter les "chaînes de contamination" que de tests en eux-mêmes. "Matériellement on va avoir ce qu'il faut, mais c'est la capacité de les faire, de les exploiter", a-t-il insisté, alors que le gouvernement compte sur quelque 700.000 tests par semaine à partir du  11 mai. Le Premier ministre vise notamment le déploiement des "brigades sanitaires" (environ 3 à 4.000 personnes) chargées d'identifier les personnes atteintes. "Ce qui est intéressant ce n'est pas seulement de faire le test, c'est de savoir, dès lors qu'il est positif, remonter les 25, 30 ou 12 personnes que la personne testée a croisées la veille ou le jour même", a-t-il souligné. Si cet instrument "n'était plus opérationnel quelque part", "soit parce qu'il est débordé, soit parce que nous avons constaté (...) que ça ne fonctionnait plus", il faudrait en tirer les conséquences", a-t-il poursuivi.  Concrètement, cela pourrait signifier que le département classé jusque-là en "vert" deviendrait "rouge" et encourrait des mesures plus strictes "car nous ne pourrions pas contenir l'épidémie", a-t-il prévenu. Il a aussi expliqué que c'est bien dans ce cadre là qu'interviendra le système d'information prévu par l'article 6 du projet de loi prorogeant l'urgence sanitaire, pour permettre aux brigades de "remonter les chaînes de contamination d’appeler les cas contacts, de leur indiquer où se faire tester, où être isolé".
S'agissant de "l’isolement des malades, ou la mise en quatorzaine des cas contact", il a rappelé que cela aura lieu "à domicile" (avec "isolement de tous les membres du foyer") ou "sans des lieux dédiés". Jusqu'ici, il avait surtout été question d'hôtels. Mais aujourd'hui, Edouard Philippe a aussi évoqué les "centres de vacances, ou autres types de lieux d’hébergement collectif", que les préfets seront chargés d’identifier pour conventionnement avec les bailleurs.

Ecoles - La fermeture des écoles est "une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents" et le décrochage scolaire "probablement une bombe à retardement", a souligné Edouard Philippe. Il a rappelé le plan de "réouverture très progressive des maternelles et de l'école élémentaire à compter du 11 mai, partout sur le territoire et sur la base du volontariat". Pour les collèges, cette réouverture commencera à partir du 18 mai pour des classes de 6e et de 5e et uniquement dans les départements verts.  Au collège, le masque ne sera finalement obligatoire pour les élèves que lorsque les règles de distanciation sociale "risquent de ne pas être respectées". La décision de rouvrir ou non les lycées sera quant à elle prise fin mai, a-t-il aussi redit. Le chef du gouvernement a aussi considéré que la carte de France vert/rouge "va guider le préfet et les maires dans l'appréciation" de la situation et donc la décision d'ouvrir ou pas telle ou telle école. Il a, enfin, appelé "au discernement de chacun – famille, équipes pédagogiques, rectorats – pour que les groupes de quinze élèves soient formés des jeunes des familles qui en ont le plus besoin". En sachant que les autres élèves "continueront à travailler" chez eux ou "dans des locaux scolaires et périscolaires mis à disposition par les collectivités, lorsque la disposition des locaux s’y prête et lorsque cela est possible". Interrogé par un sénateur, le ministre de l'Education a pour sa part reconnu que le protocole diffusé le 1er mai (voir l'encadré au bas de notre article de ce jour) était "exigeant", ajoutant : "Mais s'il ne l'était pas, on nous le reprocherait".

Activité partielle - Le dispositif d’activité partielle "restera en vigueur jusqu’au 1er juin, nous l’adapterons ensuite progressivement", a dit Edouard Philippe. Muriel Pénicaud a été un peu plus précise. Interrogée sur le fait que les parents qui n'enverraient pas leur enfant à l'école ne pourraient plus bénéficier du dispositif (sachant que le congé pour garde d'enfant a basculé en chômage partiel le 1er mai), elle a assuré que pour le mois de mai, "on ne change rien", du fait que la reprise de l'école sera "progressive". Ainsi, en mai, "un parent qui ne veut ou ne peut pas" mettre son enfant à l'école ne verra pas sa situation changer. A partir du 1er juin, il est "possible" qu'une attestation de non réouverture de l'établissement scolaire soit demandée… "mais on le verra fin mai, en fonction de la situation".

Culture - Le secteur des arts et de la culture a bénéficié "de 52 millions d’euros du fonds de solidarité", "les acteurs de la culture sont éligibles au plan de 8 millions d’euros d’accompagnement des secteurs particulièrement impactés"… et Emmanuel Macron "annoncera de nouvelles décisions mercredi".

Cultes - On saura que "si la situation sanitaire ne se dégrade pas au cours des premières semaines de levée du confinement, le gouvernement est prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai".

Edouard Philippe a également abordé la question des municipales (voir notre article) ainsi que le cas particulier de Mayotte (voir notre article).