Industrie et ruralité : le rôle multifacette des élus pour favoriser la dynamique

Avec la réindustrialisation que l'État souhaite enclencher, les territoires ruraux reviennent sur les devants de la scène. Mais comment les élus peuvent-ils favoriser le mouvement et agir pour l'implantation et le développement des entreprises industrielles face à des ressources naturelles à préserver ? Le webinaire organisé fin novembre par le Hub des Territoires a fourni quelques pistes d'actions et de stratégies.

Après des décennies de déclin, on constate un rebond de l'emploi industriel à partir de 2016 dans les territoires ruraux. Plus d'un tiers de l'emploi industriel se situe actuellement au sein des territoires ruraux, soit 1,1 million d'emplois. Cela représente 20% de l'emploi des EPCI ruraux. Et s'il y a eu un ralentissement des créations d'emplois après 2020, à la suite de la pandémie et de la guerre en Ukraine, la hausse des créations d'établissements industriels dans le rural est continue depuis 2016. Comment les élus peuvent-ils accompagner cette dynamique et favoriser l'implantation et le développement d'entreprises industrielles face à des ressources naturelles - eau, foncier, énergie notamment - à préserver ? Le Hub des Territoires s'est penché sur ces questions lors d'une conférence organisée le 26 novembre 2025.

Premier constat, établi par Patrice Joly, sénateur de la Nièvre et fondateur de l'Institut des hautes études des Mondes ruraux (IHEMRu) : la nécessité d'avoir une vision d'ensemble, une politique d'aménagement du territoire que la France a perdue au fil des ans.

"On a délaissé l'aménagement du territoire"

"On a délaissé cela il y a une trentaine d'années pour le développement local, qui est une notion que je défends mais qui ne doit pas conduire à renoncer à avoir une vraie vision de la France dans son entièreté", a souligné Patrice Joly, poursuivant : "Donner une vision, c'est permettre à tous les acteurs, publics ou privés, de s'inscrire dans ce mouvement et de développer au mieux les synergies". Et ce, même si les différents acteurs, entreprises, collectivités et autres, n'ont pas les mêmes temporalités.

"En tant qu'élus, il a fallu qu'on s'adapte dans nos décisions et dans l'accompagnement que l'on propose aux entreprises, a expliqué Sylvie Perrot, maire de Laveyron (Drôme) et conseillère régionale, quand l'entreprise Emin Leydier, fabricant de papier recyclé destiné au carton ondulé et de solutions durables d'emballages, a été rachetée par le groupe espagnol Saica, celui-ci a décidé d'investir 40 millions d'euros pour refaire la station d'épuration", dans l'objectif d'être autonome en énergie et de consommer le moins possible d'eau via la biomasse. "Le groupe était visionnaire et précurseur, car quand les prix de l'énergie ont flambé, il était en avance, mais cela a imposé à la commune des changements au niveau du PLU. On doit être à leurs côtés et se coordonner car nos temporalités ne sont pas les mêmes !" La question de l'acceptabilité des habitants est aussi importante.

Les collectivités, des médiateurs entre industriels et citoyens

"Nous sommes aussi des médiateurs entre les industriels et les citoyens pour que les uns ne soient pas en opposition avec les autres, a détaillé la maire de Laveyron, et sur ce point, la communication quand elle se fait réduit beaucoup de problématiques. Il a fallu notamment expliquer aux habitants que tout permis de construire de piscine ne pourrait être délivré, alors que dans le même temps les entreprises consommaient beaucoup d'eau !" Le projet s'est finalement très bien passé et le groupe développe maintenant un projet de 7.000 m2 pour tout entreposer sur le même site et réduire ainsi les transports par camions et donc son empreinte carbone.

Autre sujet de préoccupation pour les élus : l'investissement sur le "halo" des entreprises, c'est-à-dire tout ce qui permet leur installation au-delà de leur activité, comme la réhabilitation de logements pour faire venir des populations et accueillir des futurs salariés, les écoles, les infrastructures, les services aux entreprises… "On est sur du cousu main, du sur-mesure, et il faut pour cela être en contact permanent avec les industriels et les citoyens", a assuré Nicolas Lebeau, directeur général des Ateliers du Bocage. "On est à la manœuvre pour tout un tas de choses,  comme trouver des logements pour les apprentis", a aussi détaillé Gilles Noël, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Favoriser la création de réseaux d'entreprises fait aussi partie des missions indispensables à mener par les élus. "Il y a un problème d'ingénierie au sein des entreprises, a expliqué Patrice Joly, il faut trouver des collectifs, aider les chefs d'entreprise ; ils sont souvent isolés, et pour le rural ne sont pas souvent issus des grandes écoles. Pour eux, tout est plus compliqué quand ils ont des projets à mettre en valeur."

"Tous les territoires ruraux ne pourront pas trouver une place dans cette réindustrialisation"

Autre problématique : le bon niveau d'intervention. "On manque d'ingénierie technique, juridique, financière au sein des territoires ruraux pour accompagner le développement, a insisté Patrice Joly, il existait auparavant différents niveaux d'intervention pour le développement économique, et interdire certains d'entre eux d'intervenir, comme les départements, est une erreur. Aujourd'hui dans mon département de la Nièvre, à l'échelle des intercommunalités, il n'y a pas l'expertise ou l'ingénierie suffisante pour accompagner de grandes entreprises et la région n'est quant à elle pas en mesure d'avoir une présence suffisamment fine sur le terrain… À travers la réorganisation des compétences, on a amputé la capacité des territoires ruraux à accompagner le développement économique. Et dans le même temps, les chambres de commerce et d'industrie ont vu leurs moyens amputés".

Reste que certains territoires, du fait de leur histoire ou de leurs ressources naturelles, sont plus enclins à se développer sur le plan industriel. "Il y a une cassure, une disparité marquante entre Sud-Ouest et Nord-Est, a expliqué Céline Bonhomme, sous-directrice de l'aménagement durable, direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), il y a des ressources initiales, en eau par exemple et/ou un savoir-faire historique, le travail des métaux par exemple, qui expliquent que certains y arrivent plus facilement. Et il faut se dire que tous les territoires ruraux ne pourront pas trouver une place dans cette réindustrialisation."

La question des ressources naturelles

Le tout sans perdre de vue cette question des ressources naturelles à conserver ou à se partager. "Cette nouvelle souveraineté industrielle à réinventer doit prendre en compte la question des ressources, a insisté Michel-François Delannoy, directeur du département Appui aux territoires de la Banque des Territoires, et localement un territoire qui décide d'avoir cette ambition industrielle doit se poser la question autrement qu'il y a 20 ou 30 ans, en prenant en compte les limites quant aux ressources en eau, en foncier, en énergie… Il faut doter les territoires de la capacité à accompagner ces activités et à définir dans quelles conditions ils peuvent les développer. Il y a aussi tout un travail d'anticipation des impacts à mener, y compris en phase de chantier, anticiper les besoins en logement, réutiliser ce qui est déjà bâti..." Des questions sur lesquelles la Banque des Territoires apporte un accompagnement via un ensemble de produits et services dans le cadre du programme Territoires d'industrie.

Le rapport "L'industrie rurale face à la raréfaction des ressources", de Magali Talandier, professeure en aménagement et urbanisme à l'Université Grenoble Alpes, et Manon Loisel, consultante et chercheuse en politiques publiques, mené dans le cadre de la Caravane des ruralités et présenté dans le cadre du webinaire, fait le point sur ces enjeux spécifiques de ressources auxquels sont confrontées les ruralités industrielles. En matière d'eau notamment, il indique que les tensions dans les territoires ruraux sont plus aiguës que dans les territoires denses.


Des stratégies pour affronter les questions de pénurie de ressources

Plusieurs explications à ce phénomène : les industries présentes sont très consommatrices en eau (agroalimentaire, papeterie, chimie, pharmaceutique…), elles sont souvent en concurrence avec d'autres activités aquavores très présentes (tourisme, résidentiel), et les acteurs locaux sont en difficulté pour dégager des marges d'investissement dans leurs réseaux. Au-delà de l'eau, la question de l'énergie, des ressources humaines ou encore du foncier se pose. "Dans ces espaces de faible densité, ces problématiques se cumulent et deviennent des verrous si on n'intervient pas pour soutenir cette dynamique de réindustrialisation", a souligné Magali Talandier. En se basant sur trois terrains spécifiques (des EPCI dont l'essentiel des communes et de la population réside dans le rural, des EPCI qui concentrent les activités industrielles et des communes rurales des aires d'attraction des grandes métropoles), le rapport avance plusieurs pistes d'actions et de stratégies : l'adaptation par la mise en œuvre de renoncements (arrêts ponctuels de lignes de production quand l'énergie coûte trop cher, mise en attente de certains investissements faute de visibilité sur le cours des ressources, recours au chômage partiel en période de sécheresse, …), ou l'adaptation par l'innovation à travers des process de production (émergence d'industries sèches, augmentation des productions peu consommatrices d'énergie, captation du carbone émis, boucles locales énergétiques…), qui nécessitent de grosses capacités d'investissement.

Les chercheuses identifient aussi des stratégies d'adaptation par la réactivation du paternalisme industriel pour compléter l'offre publique jugée insuffisante (solutions de logement, de mobilité et de formation, de garde d'enfants, d'accès aux loisirs), ou encore par l'activation de nouveaux gisements de ressources (valorisation de la biomasse, développement du photovoltaïque ou d'énergie hydraulique par la réactivation des turbines, activation des friches ou des bâtiments sous-occupés, récupération des eaux usées) qui comporte toutefois de fortes contraintes réglementaires.

 

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