La Commission européenne se dote à son tour d'un "plan Eau"

La Commission européenne a adopté, ce 4 juin, sa "stratégie de résilience de l'eau". Mesure phare mais floue, la volonté affichée "d'améliorer l'utilisation de l'eau de 10% d'ici 2030", qui n'est pas sans évoquer le plan Eau français. Pour y parvenir, la Commission mise notamment sur la modernisation des infrastructures pour réduire les fuites : 15 milliards d'euros de prêts seront mobilisés par la Banque européenne d'investissement à cette effet.

"Un changement de mentalité". Tel est l'objectif recherché par la stratégie européenne de résilience de l'eau, adoptée par la Commission ce 4 juin, selon sa vice-présidente chargée de la "transition propre, juste et compétitive", Teresa Ribera. "Si nous voulons être durables, compétitifs et en sécurité en Europe, nous devons être beaucoup plus sérieux dans la façon dont nous gérons l'eau", prévient-elle. "Nous avons pris l'eau pour acquise depuis trop longtemps", appuie à ses côtés la commissaire Jessika Roswall, chargée de "l'environnement, de la résilience en matière d'eau et d'une économie circulaire compétitive", soulignant qu' "au cours des dix dernières années seulement, le nombre d'Européens touchés par la rareté de l'eau a presque doublé". Pour y parvenir, ladite stratégie fixe trois objectifs principaux.

Restaurer et protéger le cycle de l'eau

D'abord, "restaurer et protéger le cycle de l'eau comme base d'un approvisionnement durable en eau".

La Commission prévoit, entre autres mesures – la stratégie en compte plus d'une trentaine –, de lancer en 2027 une "initiative Corridors verts et bleus" visant à "soutenir la restauration des environnements écologiques et des infrastructures, y compris les rivières, les zones humides et la restauration côtière, afin de restaurer le cycle de l'eau avec une approche de la source à la mer". À court terme, elle promet cette année l'adoption d'une feuille de route sur les "crédits nature", instrument financier destiné à récompenser les actions de protection de la nature des propriétaires fonciers évoqué par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en septembre dernier. 

Afin d'accroître la capacité de rétention d'eau des terres, elle entend également développer un nouvel instrument, baptisé "facilité éponge", ou encore "organiser des échanges réguliers avec les régions, les villes et les autorités de l'eau afin de promouvoir l'échange de meilleures pratiques sur les 'paysages éponge', ainsi que la coopération transfrontalière sur l'eau, identifiée dans le cadre d'Interreg". Les "villes éponges" seront de même promues. Si l'accent est mis sur les solutions fondées sur la nature, la Commission souligne "la nécessité de s'appuyer également sur des structures artificielles", évoquant les réserves d'eau. 

Mettant par ailleurs en exergue que "la qualité et la quantité de l'eau sont deux faces d'une même pièce", elle entend continuer à travailler sur la prévention des pollutions à la source. Elle prévoit notamment de conduire d'ici 2027 une initiative public-privé afin de développer des technologies pour détecter et traiter les PFAS et autres polluants éternels, ou encore de fournir en 2026-2027 aux États membres une "boîte à outils" afin de les aider à réduire la pollution due aux nutriments.

Renforcer "l'efficacité de l'eau"

Deuxième objectif, "construire une économie intelligente de l'eau qui ne laisse personne derrière, soutient la compétitivité de l'UE et attire les investisseurs". Ici, la Commission fait de "l'efficacité de l'eau" (autrement dit, de son utilisation) – un concept calqué sur celui d'"efficacité énergétique" promu par ailleurs, et qui se distingue de la sobriété – "la clé et la priorité" de son action. A l'instar du plan Eau français (lire notre article du 30 mars 2023), elle fixe un objectif d'amélioration de cette "efficacité" d'au moins 10% d'ici 2030, sans toutefois préciser l'année de référence… Si le but est – imparfaitement – fixé, la méthode pour l'atteindre est laissée à la libre appréciation des États membres : "Nous sommes très attentifs aux différences régionales et locales, il n’y a pas de solution unique, il n'y a pas une approche unique qui pourrait s’adapter aux différents régimes météorologiques géographiques nationaux", argue Jessika Roswall. Non sans souligner que "les municipalités et les régions sont souvent les mieux placées pour agir". 

Dans le cadre de la prochaine programmation, les agriculteurs "continueront d'être incités à améliorer leurs performances environnementales et climatiques, y compris dans le but d'améliorer la gestion de l'eau". L'accent sera également mis sur la réutilisation de l'eau et ce, "au-delà de l'agriculture", notamment dans les secteurs industriels les plus gourmands en eau. Des normes sont ainsi prévues pour les centres de données.

La BEI et la politique de cohésion à la rescousse

Pour améliorer cette utilisation de l'eau, la solution passera en particulier par "la modernisation urgente des infrastructures de l'eau", alors qu'en moyenne "30% de l'eau est perdue en Europe à cause des fuites" (entre 8 à 57% selon les États membres), juge la commissaire. Pour ce faire, la Banque européenne d'investissement (BEI) va mobiliser 15 milliards d'euros de prêts au cours des trois prochaines années. 

La stratégie rappelle par ailleurs que la récente révision à mi-parcours de la politique de cohésion propose "un ensemble exceptionnel de mesures pour encourager les États membres et les régions à investir dans la résilience de l'eau" (lire notre article du 2 avril). Constatant toutefois les difficultés rencontrées par certaines États membres (ou certaines régions) pour dépenser les fonds disponibles, la Commission prévoit d'adresser des recommandations à ces derniers afin de simplifier et de rationaliser les procédures pour des projets "prêts à l'emploi" dans le domaine de la réduction des fuites, via l'utilisation d'outils numériques (compteurs intelligents, etc.) "qui nécessitent une planification moins complexe". 

Innovation et formation

Plus généralement, la Commission mise sur le numérique et l'innovation pour améliorer la détection des fuites ou pour économiser l'eau. Elle entend ainsi lancer une "alliance de l'industrie intelligente de l'eau" pour stimuler l'innovation et la compétitivité et adopter une "stratégie de recherche & innovation sur la résilience de l'eau" d'ici 2026. La Commission indique qu'elle va également étudier la façon dont les marchés publics pourraient prendre en considération "la résilience à l'eau" dans les appels d'offres publics. Le renforcement de la formation sera par ailleurs recherché, alors que "les autorités publiques et le secteur privé sont confrontés à un vieillissement de la main-d'œuvre et à un déficit de compétences, en particulier dans des domaines techniques tels que le traitement et la gestion de l'eau". Une "académie européenne de l'eau" devrait voir le jour l'an prochain à cette fin.

Responsabiliser les consommateurs

Troisième et dernier objectif, "assurer une eau et un assainissement propres et abordables pour tous, à tout moment, et responsabiliser les consommateurs/citoyens". Outre une sensibilisation renforcée aux enjeux de l'eau, la Commission entend notamment prendre en compte l'empreinte hydrique des produits dans le cadre de l'écolabel UE ou du règlement relatif à l'écoconception pour des produits durables adopté l'an passé. Ou encore intégrer les économies d'eau dans son instrument "Nouveau Bauhaus européen" et dans le "plan pour un logement abordable" à venir. "En matière de logement et d'urbanisme, l'économie d'énergie et l'économie d'eau devraient toujours aller de pair", prône la Commission.

D'abord appliquer la législation existante

Cette "stratégie faible sur le plan des obligations et engagements juridiques" n'a pas convaincu le groupe écologiste du Parlement européen, qui réclame "une loi européenne contraignante". On rappellera que tel n'est pas le but de ce type d'exercice, qui entend en l'espèce surtout "montrer clairement la direction" de ce "voyage de long terme, difficile mais nécessaire, d'une Europe résiliente à l'eau", selon les termes de la commissaire Roswall. L'Union européenne a déjà "les outils, les lois et le premier secteur mondial de l'eau", observe par ailleurs Teresa Ribera. "Nous disposons d'un ensemble très solide de règles européennes sur l'eau, mais leur mise en œuvre reste souvent à la traîne" (lire notre article du 5 février), complète Jessika Roswall. 

Dans sa stratégie, la Commission met d'ailleurs en avant à plusieurs reprises sa volonté de s'assurer de la bonne mise en œuvre des législations existantes, tout particulièrement la directive-cadre sur l'eau et la directive sur les risques d'inondation, qui "restent une boussole pour l'action". Et que les aficionados de nouvelles réglementations se rassurent, la Commission entend bien recourir à l'arme réglementaire : elle prévoit ainsi de réviser la directive-cadre sur la stratégie maritime d'ici 2027 ou le règlement sur la réutilisation de l'eau d'ici 2028.

 

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