La France doit donner la priorité à l'électricité pour s'affranchir des importations d'énergies fossiles, selon RTE
En plein débat sur les choix énergétiques de la France, le gestionnaire du réseau de haute tension RTE sonne la mobilisation générale pour accélérer la transition vers l'électricité et réduire la dépendance coûteuse aux énergies fossiles, sans quoi le pays pourrait manquer ses objectifs de décarbonation et de réindustrialisation.
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"La pertinence d'une électrification rapide du pays pour réduire ses dépendances aux fossiles importés, améliorer sa balance commerciale et permettre sa décarbonation rapide est attestée", écrit RTE dans son bilan prévisionnel 2025, publié ce 9 décembre. Destiné à éclairer les politiques gouvernementales, ce document actualise les perspectives pour le système électrique à l’horizon 2035.
Alléger la facture énergétique du pays
Le gardien de l'équilibre électrique français rappelle que les importations d'hydrocarbures (gaz, pétrole) constituent la première source du déficit commercial, une note de 64 milliards d'euros en 2024, portée à près de 120 milliards lors de la crise énergétique. La stratégie de décarbonation consistant à transférer des usages d’énergies fossiles vers l’électricité permettrait de réduire de près de moitié les hydrocarbures importés dans la consommation finale d’énergie du pays à l’horizon 2035 (-500TWh d’imports de fossiles dont 40% grâce à l’électrification des usages), estime RTE, tout en réduisant la facture énergétique nationale.
"Pour ce faire, la France peut s’appuyer sur une production d’électricité nationale bas carbone, reposant sur un mix composé de nucléaire et d’énergies renouvelables (dont l’hydraulique), qui est aujourd’hui particulièrement abondante, souligne le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute et très haute tension. Le pays est en effet parvenu à rétablir son potentiel de production bas-carbone - suite aux crises sanitaire et énergétique - et le développe désormais au rythme nécessaire à l’atteinte de ses objectifs climatiques (environ 7 GW de volume cumulé de nouvelles installations solaires et éoliennes en 2025)".
Un rythme de croissance de la production d'électricité soutenu
Dans ce contexte, le rythme de croissance de la production électrique ne pose plus de problème stratégique pour les toutes prochaines années et peut alimenter sans conflit d’usage la décarbonation des secteurs des transports, de l’industrie et du bâtiment de manière prioritaire, ainsi que le développement du secteur du numérique (datacenters), estime RTE. Cette croissance amène, par ailleurs, le niveau de résilience de l’alimentation électrique à la survenue d’une forte vague de froid hivernale, a un niveau "historiquement élevé", selon lui. Tout le contraire d'il y a 3 ans quand la France frisait la pénurie de courant.
Le gestionnaire du réseau juge que la "concrétisation effective" des projets existants de décarbonation et d’électrification, qui ont émergé depuis son Bilan prévisionnel 2023, doit désormais être une "priorité", d’autant que, selon lui, la situation d’abondance d’électricité oriente les prix de marché actuels et projetés de la France à la baisse. Pour la première fois, son Bilan prévisionnel 2025 établit un état des lieux des volumes de projets à concrétiser pour mettre le pays sur une trajectoire de décarbonation, alors que de nombreux projets industriels ont déjà contractualisé leur accès au réseau pour les prochaines années (environ 30 GW). "L’hydrogène, l’industrie et les datacenters devraient ainsi concrétiser, respectivement, environ 2,9 GW, 3,4 GW et 4,3 GW de projets, anticipe-t-il. La réalisation de 60% de ces projets, d’ici 2030, permettrait d’augmenter la consommation de l’industrie à environ 113 TWh par an, environ 15 TWh pour les datacenters (contre 5 TWh en 2025) et environ 15 TWh pour l’hydrogène".
Cette situation de surcapacité n’est toutefois pas nouvelle, rappelle RTE : dès la seconde partie des années 1980, la production d’électricité française est devenue structurellement excédentaire par rapport à la consommation, les années 1990 ayant vu cet excédent s’accroître puis culminer au début des années 2000. "Ces situations ont généralement été avantageuses pour la France, poursuit-il. Elles ont conduit à développer les usages de l’électricité, à généraliser les heures pleines et les heures creuses, à développer la modulation du nucléaire, à augmenter progressivement ses exportations, et à fermer progressivement le parc de production thermique au fioul et au charbon, fortement émetteur de CO2".
Deux trajectoires de consommation
Aujourd’hui, RTE estime que cet épisode transitoire de surcapacité perdurera au moins deux à trois ans. Mais il prendrait fin si la France se plaçait sur une trajectoire de décarbonation rapide. Durant cette période, la poursuite de la transformation des outils de l’exploitation du système électrique est donc jugée "impérative".
Le Bilan prévisionnel étudie deux trajectoires de consommation. Une trajectoire de décarbonation rapide (consommation d’électricité de 510 TWh en 2030 à 580 TWh en 2035), permettant à la France d’atteindre l’objectif européen du Fit for 55, de réussir sa réindustrialisation avec une croissance de 1,1% du PIB par an, tout en réduisant les coûts complets du système électrique. Mais aussi une trajectoire de décarbonation lente, qui correspond malgré tout à une augmentation de 25 TWh de la consommation d’électricité par rapport à la consommation actuelle (470 TWh à l’horizon 2030 et 505 TWh en 2035), dont les impacts techniques et économiques sont décrits dans le Bilan prévisionnel.
L’ajustement temporaire du développement de la production renouvelable – par exemple du petit solaire – constitue un levier actionnable mais moins efficace économiquement que de réussir une électrification rapide du pays, prévient le gestionnaire du réseau.
Des outils pour faciliter la planification et la réalisation effective des projets
Le Bilan prévisionnel 2025 étudie ainsi 4 rythmes de développement, plus ou moins importants, de la production bas-carbone d’ici à 2030. RTE alerte néanmoins sur la nécessité d’utiliser ce levier "avec proportionnalité". En effet, "le pays aura besoin, à moyen terme, de filières de production d’électricité bas-carbone robustes, qu’il convient de ne pas mettre en péril, pour atteindre ses objectifs de décarbonation et de réindustrialisation, tout en assurant sa sécurité d’approvisionnement", avance-t-il.
Différents outils ont pour vocation de faciliter la planification et la réalisation effective des projets. RTE a ainsi déjà mis en place plusieurs dispositifs pour permettre les raccordements rapides de fortes puissances, à l’instar des sites "fast track" à plusieurs endroits du territoire pour l’industrie et les datacenters. En parallèle et conformément à une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du 23 juillet dernier, le gestionnaire du réseau pourra – à compter de juin 2026 – prioriser les projets les plus dynamiques et les plus matures. Par ailleurs, il prévoit d’engager avec l’Etat, au premier trimestre 2026, une démarche d’analyse des projets, par secteur, afin d’en déduire les volumes crédibles de consommation associés. Enfin, les investissements prévus dans le cadre du Schéma décennal de développement du réseau restent par ailleurs "impératifs", et en priorité le renouvellement, l’adaptation au changement climatique et le raccordement de nouveaux consommateurs notamment au Havre, à Dunkerque et Fos-sur-Mer, insiste-t-il.
Annonces gouvernementales à venir
Interrogé à l'Assemblée nationale, Sébastien Lecornu s'est engagé à s'appuyer sur le document de RTE pour "voir comment on peut accélérer l'électrification décarbonée du pays". "Je veux que nous ayons une clarification de notre stratégie en matière de transition énergétique", a-t-il déclaré. "On voit bien qu'on a beaucoup trop de dépendance aux énergies fossiles, notamment au gaz, ce qui n'est pas sans poser des difficultés ou de gros enjeux en matière de souveraineté", a-t-il encore déclaré. Ce rapport de RTE "confirme la nécessité d'accélérer sur l'électrification des usages pour atteindre nos objectifs", a réagi Bercy en citant notamment décarbonation de l'industrie, réindustrialisation et indépendance énergétique. Il doit ouvrir une séquence politique avec des annonces du gouvernement sur une "stratégie d'électrification complémentaire" à la future feuille de route énergétique de la France (programmation pluriannuelle de l’énergie ou PPE), selon le ministère.
La publication de ce décret a déjà plus de deux ans de retard en raison de profondes divisions politiques sur le partage entre nucléaire et énergies renouvelables, auquel est notamment opposé le Rassemblement national. Sébastien Lecornu a promis de réunir l'ensemble des formations politiques pour en discuter une fois passées les discussions budgétaires et de Sécurité sociale mais "avant le vote du PLF" (Projet de loi de finances). C'est sur la base de ce rapport "que je souhaite qu'on redémarre nos discussions sur la PPE, non pas pour amoindrir les objectifs (...) mais au contraire de voir comment on peut accélérer l'électrification décarbonée du pays", a-t-il déclaré en démentant tout "moratoire" sur les énergies renouvelables.