Le datacenter de proximité, premier maillon de la souveraineté numérique ?
La conjoncture internationale a replacé sur le devant de la scène la nécessité de maîtriser les infrastructures de stockage de données des collectivités, objet d'une table ronde organisée à Paris le 24 juin 2025 par Smart City mag. Leur mise en œuvre demande cependant de remettre en cause une certaine "facilité" dans les achats informatiques des collectivités. Et leur simple existence ne saurait suffire à atteindre la souveraineté numérique à laquelle aspirent de plus en plus d'élus.

© O.Devillers
Face à l'ancienneté et à l'ampleur de la dépendance des collectivités territoriales aux solutions numériques extra-européennes, les élus peuvent se sentir démunis. L'hébergement local des données constitue cependant un premier pas vers la souveraineté, pas que n'ont pas hésité à franchir les syndicats Val d'Oise numérique et Somme numérique depuis plusieurs années.
Une forte légitimité des collectivités pour agir
Il faut dire que les collectivités territoriales disposent d'une forte légitimité pour agir dans ce domaine. "Elles gèrent des données particulièrement sensibles : état civil, données sociales, informations de santé ce qui leur confère une légitimité particulière pour développer des solutions souveraines", souligne Rachid Adda directeur de Val d'Oise numérique. Le centre de données val d'oisien a été jusqu'à obtenir la certification HDS (hébergement de données de santé) ce qui lui vaut aujourd'hui d'avoir l'Inserm parmi ses utilisateurs. Devenue un équipement de référence régionale, le GIE d'infogérance publique communautaire (GIPC) est désormais en capacité de s'aligner sur les besoins que fait émerger l'IA générative. C'est ainsi qu'il va se doter de puces GPU à la demande de la région Île-de-France pour déployer ses IA.
Dans la lignée de la fibre noire
Les structures de mutualisation départementales disposent en outre d'une solide expérience acquise dans le cadre du déploiement de la fibre optique. Cette compétence en infrastructures télécoms constitue un socle pour développer les services numériques des communes et EPCI. Le directeur de Val d'Oise numérique établit à ce propos un continuum entre le droit des collectivités à établir des réseaux télécoms pour leurs besoins propres (réseaux dits "fibre noire"), obtenu de haute lutte en 2004 avec l'article 1425-1 du CGCT, et la création de datacenters publics pour assurer la maîtrise de leurs données.
Akim Oural, passé par la métropole de Lille et Open Data France avant de rejoindre le collège de l'Arcep, ajoute : "Il y a une convergence entre le déploiement de datacenters de proximité et la nécessité d'organiser une gouvernance des données territoriales." En clair, les datacenters sont potentiellement un atout pour accueillir les hubs de données et autres intermédiaires de la donnée poussés par l'Europe et sur lequel se positionnent des collectivités comme Rennes métropole, Recia ou l'Occitanie.
Opportunité pour les territoires ruraux
Les datacenters locaux s'imposent aussi pour les territoires ruraux, où la mutualisation est le seul moyen de proposer des services numériques abordables aux petites communes. Somme numérique a profité des aides du fonds européen de développement régional (Feder) pour créer un centre de données qui héberge depuis plusieurs années une offre d'applications à destination des communes et, plus récemment, des services associés à des objets connectés (voir notre article du 6 juin 2025). "Il est en cours de certification, c'est une démarche lourde mais c'est un gage de confiance" explique sa directrice, Marie-Laure Bertin.
La cybersécurité, autre levier
La cybersécurité constitue du reste un autre levier pour accélérer le déploiement des centres de données de proximité. La vulnérabilité des "serveurs maison", hébergés dans une cave inondable ou sur une machine obsolète, ajoutée à la multiplication des attaques par rançongiciels, aide les structures de mutualisation à convaincre les élus locaux de passer à un cloud maîtrisé si ce n'est souverain. Les datacenters de proximité peuvent en outre multiplier les redondances, fonctionner en réseau et s'intégrer facilement au paysage pour minimiser leur impact environnemental. C'est le concept datacenter "edge" défendu par un acteur comme Terralpha. Cette filiale de SNCF Réseau est en train de déployer plus une centaine de points de présence sur l'ensemble du territoire en s'appuyant sur le foncier et les infrastructures (énergie, fibre noire) de la SNCF. Avec comme objectif de proposer une offre de micro datacenters dont pourraient bénéficier des collectivités.
Dépendances logicielles
Comme le faisait remarquer un participant "c'est bien tout ça, mais le problème, c'est qu'on voit toujours les mêmes témoigner". Rachid Adda en convient : "Ce type de démarche demande à sortir de sa zone de confort." Or pour beaucoup de directeurs des systèmes d'information, il est plus facile d'acheter du cloud "sur étagère" en se contentant de cocher la case hébergement en Europe, au risque de faire une forme de "sovereignty washing"… Le diable se cache aussi dans les cahiers des charges des marchés publics, certaines formulations étant de fait plus favorables aux hyperscallers américains.
"On ne sait pas ce qu'il y a dedans"
L'hébergement de proximité n'est enfin qu'une petite partie du sujet. "Un centre de données ce n'est finalement qu'un hangar avec des câbles et des espaces pour stocker des machines. Mais on ne sait pas ce qu'il y a dedans", nous confie un professionnel. De fait, en dehors des applications déployées par les syndicats départementaux – qui privilégient souvent le libre pour des raisons de coûts, critère qui prime sur la souveraineté – chaque commune est libre d'héberger ses applications, qui sont pour leur part rarement souveraines. Dans cette couche logicielle, l'essentiel du travail reste à faire. Un premier pas a été fait avec le souhait de plusieurs grandes collectivités membres des Interconnectés d'évaluer précisément leur niveau de dépendance numérique (voir notre article du 10 avril 2025). La décision toute récente de la métropole de Lyon de se passer des services de Microsoft pour ses applications bureautiques et collaboratives constitue également un message fort. Car les alternatives libres ont besoin d'usages massifs pour avoir la capacité de rivaliser avec les outils américains.