Le Sénat prête l'oreille aux victimes de la pollution sonore liée aux transports

Dans un rapport à paraître sur la pollution sonore liée aux transports, les sénateurs Guillaume Chevrollier et Gilbert-Luc Devinaz déplorent une réglementation "complexe, peu lisible et en mal d'efficacité" ainsi qu'une pluralité d'acteurs impliqués, tant à l'échelle nationale que locale, mais dépourvue de coordination et de pilotage. "Sujet au cœur du quotidien des Français, la lutte contre le bruit est loin d'être une priorité des pouvoirs publics", concluent-ils.

Beaucoup de bruit pour rien. À écouter les sénateurs Guillaume Chevrollier (LR, Mayenne) et Gilbert-Luc Devinaz (SER, Rhône), ainsi pourrait-on résumer l'efficacité de la réglementation en matière de lutte contre le bruit, singulièrement celui lié aux transports. Aux termes de travaux conduits pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de l'Assemblée, dont ils ont présenté les principales conclusions ce 25 juin, ils dessinent en effet une réglementation "éparse et complexe, forgée par strates successives, sans approche globale", mais avec des "outils qui se superposent", qui font qu'"un seul et même émetteur de bruit doit appliquer une multitude de normes". Le tout pour une efficacité plus que réduite.  

Manque de moyens

Ils mettent ainsi en exergue "l'échec de la lutte contre les points noirs de bruit (PNB)" – autrement dit, les zones les plus exposées au bruit des transports terrestres –, attribué "à la diminution progressive des crédits consacrés à [leur] résorption". Sur les 900.000 PNB estimés par le Cerema – "les pouvoirs publics ne disposent malheureusement pas d'une base de données identifiant finement l'ensemble des PNB", est-il souligné –, une part infinitésimale de ces PNB aurait été traitée : 2.200 par la SNCF sur les 53.000 PNB ferroviaires estimés, et 3.324 logements protégés via le plan bruit de l'Ademe sur les 850.000 situés sur un PNB routier à protéger. Et les élus de préconiser en conséquence un "recensement urgent" de tous les PNB, "préalable à la définition nationale de traitement en vue de financer presque intégralement les travaux pour les riverains". Pour le financement, les élus renvoient au principe "pollueur-payeur", sans plus de précision à ce stade.

Enchevêtrement des normes…

Autre outil dont l'inefficacité – et la complexité – est mise en avant, les plans de prévention des bruits dans l'environnement (PPBE), qui "peuvent se chevaucher", mais dont "les mesures qu'ils comportent n'ont pas de valeur normative" et dont "le non-respect ne fait l'objet d'aucune sanction. Il en résulte un manque d'appropriation de cet outil", concluent les rapporteurs. Et encore, quand ce dernier existe, puisqu'un certain nombre de ces plans manquent toujours à l'appel, ce qui vaut d'ailleurs à la France d'être traduite par la Commission devant la CJUE (lire notre article du 25 juillet 2024). Outre la rationalisation de leur élaboration sur un même territoire, les élus recommandent de faire de ces plans "un outil stratégique de réduction du bruit, et non un simple outil de reporting européen". 

Les sénateurs ne sont pas non plus sans proposer de nouvelles normes, ou de vouloir en réviser certaines. Ils plaident ainsi pour renforcer le couvre-feu en vigueur dans certains aéroports situés à proximité immédiate de zones densément urbanisées. Pour se rapprocher progressivement des recommandations mieux-disantes de l'OMS, ils suggèrent également "d'introduire des zones d'ambiance sonore très modérée avec des seuils de bruit plus exigeants à respecter pour les nouvelles infrastructures de transport" ainsi, toujours pour ces dernières, qu'un "seuil de bruit pour la soirée, intermédiaire entre les seuils applicables le jour et la nuit". 

Ils préconisent encore "d'appliquer pleinement la loi d'orientation des mobilités (LOM) avec la fixation d'un calendrier précis pour les prochaines phases d'expérimentation d'indicateurs [sonores] événementiels [qui prennent en compte "l'intensité et le nombre d'événements sonores", plutôt qu'un "niveau moyen annualisé de bruit qui présente l'inconvénient de lisser les pics de forte intensité entrecoupés de silence"]" expérimentés depuis 2022" (lire notre article du 24 octobre 2022). Tout en reconnaissant que "pour l'heure, ces expérimentations n'ont pas encore permis la définition d'indicateurs fiables en raison des difficultés techniques rencontrées". 

Autre expérimentation toujours en cours que les élus entendent généraliser, "le déploiement des radars sonores sur l'ensemble du territoire" (lire notre article du 15 avril 2024), vantant "leur effet dissuasif sur les comportements de conduite excessivement sportive et agressive dans les agglomérations". Là encore, Guillaume Chevrollier concède toutefois la difficulté pour l'heure de passer à la phase verbalisation du fait de la "complexité de bien identifier l'origine du bruit". 

… des acteurs à l'échelon national…

À cet "enchevêtrement des normes", s'ajoute celui des acteurs. "La prévention de l'exposition des populations au bruit des transports mobilise une dizaine d'administrations et opérateurs de l'État" au niveau national, est-il observé. Pour autant, "on s'aperçoit qu'il n'y a pas forcément de pilote dans l'avion", déplore Gilbert-Luc Devinaz. Et de relever que "le Conseil national du bruit ne fonctionne pas. Aujourd'hui, il n'a même pas de président [le poste est vacant depuis un an]. De toute façon, il n'a pas de pouvoir décisionnel". Les élus notent que c'est à la "mission du bruit et agents physiques", entité de la direction générale de la prévention des risques, que revient la charge d'assurer le pilotage de ces différents acteurs. Ils observent toutefois qu'elle ne compte que trois équivalents temps-plein. Et de proposer en conséquence de "redéployer des moyens humains" à son profit. "Pas avec un budget supplémentaire, mais en rassemblant les forces et en clarifiant les compétences des uns et des autres", précise Guillaume Chevrollier. 

À titre personnel, Gilbert-Luc Devinaz évoque aussi la possibilité d'étendre le champ d'action de l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) aux transports routiers et ferroviaires, tout en reconnaissant que "la période n'est pas à l'augmentation des compétences des agences". "Il faut un gendarme du bruit", "avec des sanctions", plaide-t-il, recommandation qui ne figure là encore pas dans le rapport tel qu'adopté, souligne son co-auteur.

… et local

Le constat d'une "gouvernance de la prévention du bruit inadaptée" est également tiré à l'échelon local, où sont, ici aussi, impliqués "de nombreux acteurs locaux dans les collectivités territoriales et les administrations déconcentrées". Les sénateurs proposent en conséquence de "regrouper à l'échelle régionale les moyens humains et techniques de lutte contre le bruit des services déconcentrés de l'État" et de "renforcer et mutualiser les compétences territoriales", sans plus de précision. Ils préconisent toutefois d'y ajouter de nouveaux acteurs, en proposant de généraliser la mise en place d'observatoires régionaux du bruit, lesquels n'existent pour l'heure qu'en Île-de-France (BruitParif) et dans la métropole de Lyon (Acoucité). Autre recommandation : permettre au maire, pour les activités des aérodromes de loisir ou d'entraînement, de définir des niveaux sonores maximaux pour les aéronefs et des plages horaires de restriction d'exploitation des plateformes.

En conclusion, les sénateurs dressent un "constat sans appel : la lutte contre le bruit, sujet au cœur du quotidien des Français, est loin d'être une priorité pour les pouvoirs publics". "Ce rapport est une prise de conscience", confesse Gilbert-Luc Devinaz en conférence de presse. La situation n'est toutefois pas nouvelle. La Commission européenne (lire notre article du 24 mars 2023), puis la Cour des comptes européenne (lire notre article du 15 janvier), ont déjà tiré naguère ce même constat à l'échelle européenne, qui vaut également pour la France, loin d'être au premier rang en la matière.

 

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